Le nouveau plan Marshall: la nouvelle, et pourtant très ancienne, "Grande Idée" du capital européen et la réponse des communistes

Le déclenchement de la pandémie, sa propagation rapide, ses conséquences profondes sur la vie humaine et en particulier sur les économies capitalistes les plus développées, font remonter à la surface des problèmes qui, bien sûr, préexistaient, mais qui apparaissent aujourd'hui avec fracas. Les grandes contradictions s'affirment avec plus d'évidence dans tous les aspects de la vie et de la réalité sociale, économique, politique et culturelle, et ceci dans tous les pays. Il nous faut absolument faire un plus grand effort pour identifier les nouveaux problèmes qui se posent, mais aussi mieux les mettre en évidence et mieux en souligner les évolutions, afin d'en tirer toutes les conclusions nécessaires au niveau théorique et pratique. Pour l'heure, de nombreux aspects et de nombreuses questions restent en suspens.

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Les évènements survenus au cours du dernier mois dans notre pays, et un peu plus fortement dans d'autres pays, montrent et confirment une fois encore - mais cette fois avec plus d'intensité - que le véritable danger pour les peuples du monde entier est le capitalisme à son stade le plus élevé: l'impérialisme. En plus d'aller à l'encontre des besoins des peuples et du développement social lui-même, le capitalisme actuel ne cesse de causer, à grande échelle, des dommages irréparables dans tous les secteurs en raison de l'accentuation de ses contradictions. Aujourd'hui, il est évident que la santé, les soins, la protection et la sécurité des peuples sont incompatibles avec le profit, l'avidité du capital et le mode de production capitaliste. Dans ces conditions, soit une solution sera apportée en fonction des besoins réels du peuple, soit le peuple souffrira et vivra dans des conditions misérables, payant de sa poche pour que le petit nombre d'élus du capital puisse continuer à s'enrichir. Il est urgent, et il le sera encore plus à la fin de la pandémie dans les mois à venir, de renforcer l'Alliance sociale, anti-monopoliste et anticapitaliste, et faire avancer notre propre proposition alternative, notre propre réponse, la réponse d'une espérance socialiste pour demain. La nécessité du socialisme et de la révolution socialiste ont émergé ; avec le temps, elles s'imposeront au travers d'une nouvelle dynamique.

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Ces derniers jours, les initiatives se sont intensifiées au niveau européen et mondial quant à la manière de soutenir le plus efficacement l'économie capitaliste. Les effets de la pandémie de coronavirus ont certainement agi comme un catalyseur de l'aggravation des problèmes qui préexistaient dans l'économie capitaliste. Le KKE, même lorsque le gouvernement actuel et celui qui l'a précédé célébraient la "croissance", avait averti que le problème de l'accumulation du capital, au fondement de toute crise, n'a non seulement pas été surmonté mais a encore été accentué, rapprochant le risque d'une nouvelle crise. L'économie grecque est désormais plus sensible aux chocs en raison de son "extraversion" [ndlr: ouverture], c'est-à-dire sa grande dépendance vis-à-vis du tourisme et du transport maritime, et des transports en général [le terme "extraversion" fait référence à la théorie de la dépendance, souvent appliqué aux pays en développement, qui explique pourquoi la grande majorité des pays anciennement colonisés n'ont jamais réussi à accéder à un développement véritable]. Tous les gouvernements précédents de ND, SYRIZA et PASOK-KINAL ont unanimement vanté les mérites de cette "extraversion" tout en sapant le grand potentiel productif du pays (qui se révèle précieux et nécessaire dans des conditions comme celles que nous vivons actuellement), simplement parce que cela leur avait été imposé par les profits du capital et l'UE.

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C'est sur ce terrain que s'est engagée la discussion visant à une plus forte intervention de l'État dans l'économie, appelée "nouveau plan Marshall". Ce terme est employé à la fois par les partisans du mécanisme européen de stabilité MES (Allemagne, Pays-Bas, Autriche) et par les partisans des euro-bons ou d'un instrument intermédiaire, dont les pays du Sud lourdement endettés. Ce terme est aussi employé par toutes les forces bourgeoises, qu'elles se présentent ou non comme des opposants à la bourgeoisie gouvernant (néolibéraux, forces de droite, sociaux-démocrates de toutes tendances, etc.). Cet appel collectif à un "nouveau plan Marshall" traduit un accord de fond sur la nécessité, pour les États bourgeois et leurs alliés (comme l'UE), d'intervenir à travers une politique budgétaire expansionniste, non pas pour soutenir les travailleurs et les populations (à nouveau sacrifiés sur le plan de la santé et des droits) mais pour soutenir les grands groupes d'affaires et leur rentabilité. Dans le même temps, il s'agit de renforcer la position du capital européen face à ses concurrents, tels que les États-Unis, la Chine, la Russie, etc., dans la perspective des réajustements prochains du système impérialiste international. Cela ne veut pas dire, bien sûr, qu'il n'y aura pas de différences au sein de l'UE entre les pays qui gagneront et ceux qui perdrons - ce qui peut conduire à un compromis fragile. En effet, les pays dont les déficits et les dettes sont moins élevés affirment que les prêts aux économies devraient être l'affaire de chaque État, dans le cadre des mécanismes de soutien actuels. A l'inverse, les pays dont les déficits et les dettes sont plus élevés, comme l'Italie et l'Espagne, et qui auront besoin de mesures importantes pour soutenir leurs entreprises, plaident pour que ces prêts soient accordés sur la base d'une "mise en commun de la dette".

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Le caractère hautement fallacieux de la "solidarité européenne" est en train de se confirmer, une fois de plus. L'UE et la zone euro sont, par nature, des alliances d'États et d'économies concurrents qui, en particulier en temps de crise, se "montrent les dents" les uns les autres mais surtout les montrent aux peuples. Ceux qui se lamentent à nouveau sur le manque de cohésion de l'UE et sur la "maison commune européenne qui est menacée", doivent savoir que cette image trompeuse est en passe de perdre l'once de crédit qu'il lui restait auprès de la population. L'effondrement des systèmes de santé publique, déjà insuffisants, malgré l'héroïsme des professionnels de santé, les millions de licenciements dans tous les pays, une surpopulation de travailleurs mobilisée dans les usines au risque de leur santé pour ne pas endommager les bénéfices, la concurrence des entreprises pharmaceutiques et des fournisseurs de matériel de santé qui privent la population des fournitures essentielles, composent le portrait ignoble de l'UE mais aussi de l'ensemble du monde capitaliste, y compris des pays "vitrines" au sommet de la hiérarchie impérialiste. Il doit également apparait comme évident que la gestion mixte, à chaque fois soutenu par la bourgoisie en temps de crise, n'est pas déterminée par les opinions politiques particulières de tel ou tel gouvernement bourgeois, mais par les seuls besoins et les seules priorités du capital à un moment donné. Pour cette raison, nous avons vu des forces sociales-démocrates, comme SYRIZA en Grèce, adopter des politiques d'austérité auxquelles elles s'étaient prétendument opposées auparavant, et nous voyons maintenant des forces néolibérales mettre en oeuvre des politiques expansives, qu'elles avaient précédemment critiquée. Il n'y a cela rien de nouveau. L'histoire moderne est remplie de tels exemples. Dans tous les cas, l'issue est la même : ce sont les travailleurs qui seront appelés à payer le prix des nouveaux plans de sauvetage. Ce sont les travailleurs qui ont payé les mémorandums et les graves mesures anti-populaires de ces dernières années, et ce sont eux qui seront appelés à payer les nouveaux emprunts et déficits ainsi que les nouvelles mesures testées dans le "tube expérimental des soins de santé", sous prétexte de la pandémie.

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C'est ce que nous vivons actuellement en Grèce. D'un côté, il y a les milliers de licenciements, les changements drastiques et néfastes dans les statuts d'emploi, les travailleurs flexibles à qui il n'est même pas concédé le maigre avantage des 800 euros, la destruction de professionnels indépendants et d'agriculteurs. De l'autre côté, il y a d'énormes sommes d'argent versées pour les grandes entreprises et les banques. C'est la politique adoptée par le gouvernement ND. Cette politique, à quelques différences minimes tenant au calendrier, a été également proposée par le programme "front-loaded" [redémarrage] de SYRIZA . Cette accélération de la convergence entre ND et SYRIZA, revendiquée au nom de la responsabilité et de l'unité "nationales", peut déterminer le cours des évènements politiques futurs. A cela rien de nouveau non plus. L'encre de leurs signatures sur le troisième mémorandum est à peine sèche... Lorsque la stabilité du système l'exige, ND et Syriza mettent de côté leurs différences, qui sont désormais indiscernables. Et tous deux cachent l'essence de leur position : qu'il est impossible que le capital et les travailleurs sortent gagnants de cette crise énorme. L'un gagnera quand l'autre perdra. Cette lutte qui s'annonce demain doit être organisée dès maintenant par la classe ouvrière et les autres couches populaires. Avec des revendications et des objectifs de lutte nés d'aujourd'hui, dans la lutte pour la santé, la vie, la survie quotidienne, et qui visent le véritable adversaire : le capital, ses gouvernements et ses alliances.

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Par conséquent, la "Grande Idée", promue par le capital et ses représentants politiques nombreux et variés, en faveur d'un "nouveau plan Marshall" pour la reconstruction de l'Europe, qui est censé être sans engagements ni mémorandums pour les peuples, bénéfique à la fois pour le capital et pour les travailleurs, est parfaitement trompeuse. Les parallèles qu'ils établissent avec le plan Marshall de l'après-guerre, en le présentant comme un pure exemple de solidarité entre les peuples, seraient presque amusants. Cette manipulation historique n'est pas seulement le fait des héritiers idéologiques et politiques des partisans du plan Marshall, mais aussi des forces dites "de gauche", qui ne font ainsi que confirmer leur complète mutation social-démocrate bourgeoise. Il convient de rappeler que les fonds américains qui ont afflué dans l'Europe ruinée d'après-guerre, dans le cadre du plan Marshall, dans cette décisive cinquième décennie du siècle dernier, n'était en rien un acte de solidarité envers les peuples européens, mais une impulsion énergétique et vitale au bénéfice du système capitaliste. Ces fonds ont servi, d'une part, à la reconstruction capitaliste de l'Europe, déterminante pour les exportations américaines, et d'autre part, à stopper net le  socialisme et le mouvement ouvrier révolutionnaire, qui jouissait d'un grand prestige parmi tous les peuples du monde au sortir de la Seconde Guerre mondiale. C'est pour cette raison qu'une grande partie du plan Marshall a été orientée vers les infrastructures; par exemple, les infrastructures militaires, comme ce fut le cas en Grèce, menaçant directement le système socialiste et la lutte des peuples. Cependant, l'intervention nécessaire de l'État après la guerre pour la reproduction du capital et la création d'infrastructures essentielles n'a ni interrompu le cercle vicieux des crises ni n'a assuré la prospérité des peuples. Les prestations sociales concédées, participant du même effort visant à intégrer les forces ouvrières et populaires, portaient la marque des glorieuses réalisations sociales en URSS et dans les autres pays du socialisme, et des luttes concrètes des peuples d'Europe.

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Aujourd'hui, malheureusement, ce redoutable adversaire n'existe plus. Cependant, les peuples sortiront de cette crise avec une plus grande expérience. Les énormes impasses et la faillite historique du système d'exploitation actuel sont devenus encore plus évidentes. C'est aux peuples d'organiser la lutte, leur propre alliance. De répondre avec le plan et la proposition politique qui est actuellement proposée par le seul KKE dans notre pays. De réagir agressivement à la question de savoir d'où viendront les ressources qui, en fin de compte, produisent toutes ces richesses que peu usurpent. Promouvoir et exiger tout ce qui précède dès aujourd'hui, et dans les conditions particulières des restrictions, avec une plus grande intensité et d'autres moyens et formes demain, est la condition nécessaire pour préparer la contre-attaque du peuple, en cultivant un climat de préparation, de ralliement et de large alliance sociale au sein de laquelle la classe ouvrière se situe au premier plan. Promouvoir des revendications et des mesures de secours pour les employés des secteurs privé et public, les  indépendants (artisans et commerçants), les scientifiques aux contrats de travail précaires, les agriculteurs, les femmes et les enfants des familles populaires, pour la protection de la santé des personnes, pour l'éducation et la culture, pour résoudre la question des réfugiés, en rétablissant les droits et libertés démocratiques, en abrogeant toutes les lois qui restreignent l'action syndicale et politique, en arrêtant l'intensification de la répression. Tout ceci doit aller de pair avec la révélation des causes, des grandes responsabilités et de la nécessité que le fardeau de la crise incombe au capital et ne retombe pas sur la classe ouvrière et les couches populaires. Nous exigeons également l'abolition simultanée de toutes les dernières lois-mémorandums et de toutes les récentes mesures anti-populaires, l'abolition de l'exonération fiscale pour les groupes monopolistiques, car les impôts doivent être payés par la ploutocratie de ce pays. En luttant contre le profit et le recours au marché noir. Avec la demande d'annulation de la dette de l'État qui n'a pas été créée par le peuple qui la paie chèrement et continuellement depuis tant d'années. Avec le retrait du programme et des plans dangereux de l'OTAN, que la Grèce paie 4 milliards d'euros chaque année. Avec le désengagement des alliances impérialistes de l'OTAN et de l'UE. Et tout ceci afin d'éclairer la seule issue qui soit à cette crise et qui réside dans la supériorité du socialisme, la propriété sociale des moyens de production, la planification centrale scientifique, la participation au travail et au pouvoir, qui mène à la prospérité du peuple, à la paix et au progrès de l'humanité.

Dimitris Koutsoumbas

Secrétaire Général du CC du KKE

Traduction pour Solidarité Internationale PCF

Source: https://inter.kke.gr/en/articles/The-new-yet-very-old-Great-Idea-of-the-European-capital-and-the-communists-response/

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