Interview du secrétaire général du Parti communiste de Turquie (TKP) sur la pandémie de Covid-19
03 mai 2020Le secrétaire général du Parti communiste de Turquie (TKP), Kemal Okuyan, a répondu le 2 mai 2020 aux questions du quotidien communiste grec Rizospastis sur la pandémie de Covid-19, la crise capitaliste et la mobilisation de la classe ouvrière en Turquie
Traduction NK pour Solidarité Internationale PCF
Dans une interview accordée au quotidien du Parti communiste de Grèce (KKE), Rizospastis, le secrétaire général du Parti communiste de Turquie (TKP), Kemal Okuyan, commente la pandémie de Covid-19, ses effets sur la classe ouvrière et les initiatives du TKP pour protéger la santé et les droits des travailleurs. Okuyan souligne également que les cellules de quartier du TKP ont mis en place des réseaux de solidarité pour la population.
- Quelle est l'évolution de la pandémie de Covid-19 en Turquie ? Comment le TKP juge-t-il les mesures du gouvernement Erdogan et les positions des autres partis bourgeois ?
Toutes les données indiquent que la pandémie a démarré en Turquie bien avant le moment où elle a été officiellement annoncée en mars. Il y a de nombreuses raisons de croire que certains des cas diagnostiqués de grippe saisonnière ou de décès survenus en février étaient en réalité liés au Covid-19. Par conséquent, la fiabilité de ce qui est dit aujourd'hui sur l'évolution de la maladie reste controversée. Les tests ont commencé bien trop tard, aujourd'hui encore, nous avons des exemples de personnes présentant des symptômes graves mais qui ne sont pas testées. C'est pourquoi le nombre total de cas annoncé n'est pas fiable, non seulement en Turquie mais partout ailleurs dans le monde. Malheureusement, la donnée qui se rapproche le plus de la réalité concerne le nombre de personnes qui ont perdu la vie. Mais là aussi, le gouvernement AKP n'inclut dans les statistiques que ceux qui ont été préalablement testés positifs au Covid-19. Cependant, le gouvernement a bénéficié d'avantages importants en ce qui concerne la pandémie. La Turquie ayant une population plus jeune, la mortalité due au virus s'est retrouvé moins élevée que dans d'autres pays et les personnes âgées étant pour la plupart isolées de la vie sociale, pour des raisons économiques et culturelles, ont été moins exposées. Et le pays se trouve dans un état relativement meilleur en termes d'unités de soins intensifs, de respirateurs et de médicaments disponibles. Néanmoins, la primauté des idéologies réactionnaires sur la science ainsi que les mesures anti-populaires du gouvernement ont eu un impact croissant sur le bilan de la pandémie. La pandémie va probablement commencer à perdre ses effets dans le monde entier. Il est évident que les gouvernements en feront un usage abusif pour en faire leur propre réussite. Pourtant, partout, les deux principales caractéristiques de la domination du capital ont été révélées : Premièrement, leurs compétences en matière de gestion des crises ont complètement disparu et ils se retrouvent incapables de protéger la vie humaine. Deuxièmement, ils ont divisé la population en deux catégories : ceux qui ont le droit de se protéger contre le virus, c'est-à-dire ceux qui peuvent rester chez eux, et ceux qui n'ont pas ce droit, ceux qui doivent continuer à travailler.
- Quelles sont les conditions du système de santé publique (financement, personnel, équipement, unités de soins intensifs, etc.) Comment fonctionne le secteur privé ?
Les 20 dernières années de l'évolution du système de santé en Turquie peuvent être résumées par l'expansion continue du secteur privé, par le biais de l'utilisation de ressources publiques. En termes de nombre de lits et d'équipements médicaux, la situation du pays est comparable à celle des autres pays. Cependant, le système de prévention et de soins de santé primaires a été complètement détruit. La pandémie l'a une fois de plus clairement démontré. En outre, dans les premières semaines de la pandémie, les travailleurs de santé n'ont pu avoir accès aux produits de première nécessité et aux produits les plus essentiels, aux masques ou aux équipements de protection individuelle. C'est pourquoi de nombreux travailleurs de la santé ont été contaminés. Il y a toujours aujourd'hui une pénurie de masques dans le pays. Le secteur privé est également impliqué dans la lutte contre la pandémie, dans la mesure où il reçoit de l'argent des ressources publiques, mais bien sûr, seules les classes privilégiées peuvent se tourner vers des structures privées. Les hôpitaux publics se retrouvent quant à eux submergés, surtout ceux d'Istanbul, car le gouvernement n'a pas prêté attention à la revendication de nationalisation de tous les hôpitaux privés, que le TKP avait exprimée au début de la pandémie.
- Comment la crise capitaliste se manifeste-t-elle, quelles mesures anti-populaires le gouvernement promeut-il et comment les attaques du capital évoluent-elles ?
Avant la pandémie, le capitalisme en Turquie traversait déjà une crise sévère et cette crise ne fait aujourd'hui que s'aggraver. Il est clair que la crise a maintenant atteint une dimension historique suite à cette pandémie. L'économie turque est confrontée à un grave problème d'approvisionnement. Le reflet de cette situation pour la population sera une nouvelle vague de chômage ainsi qu'une augmentation du coût de la vie. Les droits de la classe ouvrière, dont certains avait déjà été rognés auparavant, leur sont désormais complètement retirés. Le gouvernement a pris des mesures qui libèrent totalement les attaques de la classe capitaliste contre les travailleurs, même si elles sont qualifiées de temporaires. Les congés sans solde ont été renforcés, le droit de grève a été pratiquement éliminé. Des millions de travailleurs continuent à travailler dans des conditions sanitaires déplorables. Dans la période à venir, les inégalités vont continuer de s'accroître, l'économie turque va se contracter, il y aura une intense monopolisation, la base sociale du capital va se rétrécir et le pouvoir de négociation de la classe ouvrière va diminuer. D'autre part, les réactions des travailleurs, leur volonté de lutte et de recherche d'alternatives au-delà des frontières de l'ordre social existant vont se renforcer. Nous pouvons déjà clairement en observer les preuves. Dans ces conditions où notre activité politique est limitée, nous constatons le taux d'organisation le plus élevé à ce jour dans l'histoire du TKP.
- Pouvez-vous nous parler des initiatives du TKP visant à protéger la santé et les droits des travailleurs ?
Au début de la pandémie, nous avons demandé que "tous les travailleurs des secteurs non vitaux puissent bénéficier de congés administratifs payés". De cette manière, des ressources leur seraient allouées et les conditions pour la protection des travailleurs des secteurs de la santé et de l'alimentation seraient améliorées. Cependant, les patrons, qui voulaient à nouveau faire porter le fardeau de la crise sur les épaules des travailleurs, et même en tirer de nouvelles opportunités, ont empêché le gouvernement de prendre des mesures de quarantaine généralisée. Pourtant, si une quarantaine généralisée de 15 à 20 jours avait été mise en place à la mi-mars, la pandémie aurait déjà été maîtrisée. La santé et l'avenir de la classe ouvrière, en particulier des travailleurs de santé, du fret, de la vente au détail et des coursiers, sont gravement menacés. Le TKP dispose d'une stratégie multidimensionnelle pour lutter contre cette situation :
- Le TKP exprime à nouveau avec force qu'il est impératif de renverser l'ordre social existant.
- Le réseau de solidarité et de lutte "PE" ( "Soyons sur le dos des patrons!"), que le TKP avait mis en place, suit et divulgue les problèmes liés à la santé et aux droits des travailleurs sur tous les lieux de travail, les publie et défend les travailleurs par des interventions juridiques et pratiques.
- Nous avons construit des réseaux de solidarité au sein de différents quartiers organisés, qui sont animés par les cellules de quartier du Parti. Ces réseaux distribuent des ressources à la population telles que des masques, etc. et dans le même temps, organisent des collectes de fonds en solidarité avec les travailleurs qui ont été licenciées.
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