Politique indigéniste en temps de pandémie
04 juin 2020L'intensification des attaques contre les indigénistes et les peuples indigènes
À aucun moment dans l'histoire de notre pays, la politique indigéniste de l'État ne s'est résolument tournée vers la garantie de la totalité des droits des indigènes [ndlr.: l'indigénisme au Brésil renvoie aux professionnels qualifiés servant d'intermédiaire dans les relations sociales, culturelles et politiques entre l'Etat fédéral et la société brésiliennes et les peuples indigènes]. Auparavant marqué par l'extermination des peuples natifs, l'État brésilien a créé au début du 20ème siècle un organisme pour développer des activités conjointes avec les populations indigènes - le Service de Protection des Indiens (SPI), qui est devenu en 1967 la Fondation Nationale des Indiens (FUNAI).
Jusqu'à la Constitution Fédérale de 1988, la politique de l'État était marquée par une incapacité à travailler conjointement avec les peuples indigènes et par une conception les réduisant à des êtres incapables et inférieurs qu'il fallait intégrer à la dite civilisation blanche. Grâce à la forte mobilisation et aux luttes du mouvement indigène, la Constitution Fédérale a reconnu les Indiens comme citoyens et a garanti leurs droits, en particulier leurs droits à la terre.
Malheureusement, plus de trois décennies après la promulgation de la Constitution Fédérale, les droits des peuples natifs ne sont toujours pas intégralement respectés. D'innombrables peuples indigènes ne possèdent pas de terres délimitées comme "Terre indigène", et ceux qui ont obtenu la légalité institutionnelle de leur territoire subissent des attaques de la part des bûcherons, des orpailleurs et autres "entrepreneurs". Au-delà de la question territoriale, les politiques spécifiques et différenciées pour les peuples indigènes en matière d'éducation et de santé sont encore insuffisantes. Encore aujourd'hui, de nombreux villages ne bénéficient pas de ce droit fondamental pourtant garanti par la Loi de Responsabilité de l'État brésilien.
Dans les années suivant la Constitution Fédérale de 1988, et en particulier dans la période actuelle, le démantèlement de l'organisme indigéniste (FUNAI) a prédominé et s'est même intensifié. Ce mouvement a suivi les prérogatives néolibérales d'un État minimal et le mouvement de précarisation des service publics brésiliens. Le nombre de fonctionnaires dédiés aux populations indigènes est très faible et, dans de nombreux endroits, les conditions de travail sont extrêmement précaires. Le budget alloué aux actions conjointes avec les peuples indigènes a toujours été très faible, mais il a encore constamment diminué au fil des dernières années.
L'État brésilien n'a pas seulement relégué au second rang la politique indigéniste et a définitivement mis au rebut son organisme prinicipal (la FUNAI), il a également encouragé l'intensification de l'"agrobusiness" qui provoque de nombreux dommages environnementaux, sociaux et territoriaux pour les peuples indigènes.
Cette politique indigéne d'État n'est pas spécifique à la période que nous vivons. L'incapacité à garantir les droits des indigènes est une marque de fabrique de l'État brésilien et de ses gouvernements successifs. Mais le gouvernement Bolsonaro a multiplié les attaques contre les droits des indigènes et à faire régresser les menues avancées que les organisations indigènes avaient obtenues avec beaucoup de peine.
Bolsonaro a toujours fait preuve de mépris à l'égard des indigènes. Cela était déjà le cas lors de sa campagne électorale truquée de 2018, lorsqu'il avait déclaré que s'il était élu président, il ne céderait pas un centimètre supplémentaire de "Terre Indigène". Bolsonaro a repris à son compte la politique archaïque de l'intégrationnisme, affirmant que les indigènes doivent être intégrés à la société dite civilisée. Il est même allé jusqu'à dire que "de plus en plus, les Indiens sont des êtres humains comme nous". Cette énorme absurdité montre toute l'ignorance et toute la perversité de la politique indigéniste actuelle.
En outre, Bolsonaro s'en est pris fermement à l'organisme indigène de l'État brésilien, en nommant aux postes de direction de la FUNAI des personnes sans aucune expérience ni connaissance de la question indigène. Ces personnes sont fermement opposées aux droits des indigènes, comme l'actuel président de la FUNAI lui-même, Marcelo Augusto Xavier, lié aux propriétaires fonciers ruraux et défenseur de l'exploration minière sur les terres indigènes. Furent également nommés à la direction de la FUNAI des pasteurs évangéliques, défendant la conversion des indigènes (en somme, une deuxième évangélisation), et des militaires, marquant ainsi le processus de militarisation de toute l'administration publique fédérale.
De telles nominations sont extrêmement graves, car elles placent l'Organe indigène - dont la fonction est de protéger et de promouvoir les droits des indigènes - sous le contrôle des propriétaires fonciers, rendant impossible l'attribution de nouvelles terres indigènes et augmentant le risque de revenir sur celles qui leur ont été attribuées. Parallèlement à ces nominations, les fonctionnaires de la FUNAI attachés aux droits des indigènes sont persécutés du simple fait d'avoir maintenu le principe de défense des droits des indigènes et avoir cherché à répondre à leurs demandes.
Le démantèlement de l'organe indigène (FUNAI) s'est intensifié et il n'a pas été prévu de recruter du nouveau personnel. Dans plusieurs endroits, le nombre de fonctionnaires chargés de défendre les intérêts des indiens est très faible, ce qui les rend incapables de répondre adéquatement à leurs demandes. Bolsonaro n'a pas encore totalement épuisé la capacité d'action de la FUNAI, mais il a saigné à blanc l'ensemble du corps fonctionnarial dédié aux peuples indigènes, renforcé le soutien aux propriétaires terriens ruraux et détourner la finalité institutionnelle de cette entité.
Le gouvernement Bolsonaro cherche évidément à restreindre les attributions de la FUNAI aux seules terres indigènes déjà attribuées, négligeant les situations dramatiques de nombreux peuples indigènes qui n'ont toujours pas vu leurs territoires dûment institués comme "Terre Indigène". En d'autres termes, l'État brésilien ne garantit plus le droit territorial des peuples indigènes.
En période de pandémie, cette situation s'est aggravée. Le Secrétariat Spécial pour la Santé Indigène (SESAI), responsable de la santé spécifique et différenciée des peuples indigènes est incapable de pouvoir répondre aux besoins des populations autochtones sur l'ensemble du territoire national. Par ailleurs, l'intention du gouvernement Bolsonaro d'anéantir le SESAI est notoire, comme le montrent les tentatives de municipalisation ou de privatisation du (sous-)système de santé indigène.
Il en résulte une sous-déclaration des cas de malades et de décès des indiens à cause du COVID-19 dans le Bulletin épidémiologique du SESAI, qui ne prend déjà pas en compte toutes les populations indigènes de notre pays. Cette sous-déclaration aggrave encore plus l'invisibilité des peuples indigènes dans le pays. Pendant la pandémie, le gouvernement Bolsonaro a encore démontré tout son mépris à l'égard des populations indigènes, puisqu'il n'a présenté aucune proposition concrète de protection sociale pour ces populations. Face à la vulnérabilité de ces populations, la distribution de paniers de nourriture de base - qui n'a pas encore atteint tous les territoires indigènes - est clairement insuffisante.
La reconnaissance du droit territorial se révèle ici déterminante pour permettre aux populations indigènes de faire face à leur isolement social et leur assurer des conditions d'alimentation objectives. En effet, les populations indigènes qui ne disposent pas de terres délimitées se trouvent dans une situation encore plus vulnérable en termes notamment d'accès à l'eau, d'assainissement et d'espace dédié pour la auto-production alimentaire.
Le gouvernement Bolsonaro - par le biais de la direction du FUNAI - paralyse les procédures de démarcation des terres indigènes actuellement en cours. A titre d'exemple, citons l'annulation des procédures administratives de démarcation du territoire indigène Tekoha Guasu Guavirá, dans les municipalités de Guaíra et Terra Roxa [Etat du Parana], du peuple Avá-Guarani. Dans le cas où la sentence judiciaire de première instance se règlererait en faveur du peuple Avá-Guarani, la FUNAI a prévu de ralentir le processus et de faire appel de la décision devant une instance judiciaire supérieure. En satisfaisant les intérêts des propriétaires fonciers ruraux, au détriment des revendications des indigènes et de sa propre mission institutionnelle, la FUNAI a renoncé à sa mission de défendre les indigènes !
Le point culminant du désengagement du gouvernement Bolsonaro envers les populations indigènes est peut-être la publication de l'Instruction normative n° 09 de la Fondation nationale des Indiens le 22 avril 2020. Par cette instruction, l'Organe Indigène (FUNAI) se transforme en instance de certification de l'invasion des promoteurs fonciers ["posseiros" e "grileiros"] sur les Terres Indigènes. Les envahisseurs des terres indigènes peuvent désormais demander un document à la FUNAI pour régulariser leur propre invasion des territoires indigènes, aussi chargée de l'octroi de licences pour pratiquer des activités à fort impact sur l'environnement comme l'extraction du bois.
Cet Instruction Normative nº 09/2020 est lié à la Mesure Provisoire 910/2019, qui cherche à faire avancer la "grilagem" dans notre pays (la falsfication de documents officiels attestant d'une propriété foncière), pouvant conduire à l'appropriation irrégulière de terres et à de graves conflits fonciers. Ce n'est pas pour rien que cette mesure provisoire (MP) est désormais connue sous le nom de "MP da grilagem" car elle porte préjudice aux populations indigènes, entraînant une concentration des terres et une déforestation encore plus importantes, notamment dans la région amazonienne.
Le gouvernement Bolsonaro a donc fait reculer le droit territorial des populations indigènesa en adoptant un language qu'on croyait dépassé depuis la Constitution Fédérale de 1988. Ce gouvernement a aussi démontré son caractère autoritaire et antidémocratique au sein de l'organisme indigène FUNAI, en nommant des personnes opposées aux droits des indigènes et en persécutant ceux qui s'opposaient à ce nouvel état de fait et continuaient à défendre les peuples indigènes. Le gouvernement Bolsonaro vise ainsi, paradoxalement, à transformer la FUNAI en une institution agissant activement contre les droits et les intérêts des peuples indigènes.
Le contexte est donc plutôt morose. Mais il y a de la résistance et de la lutte ! Les peuples indigènes de tout le pays sont organisés et se sont récemment retrouvés à la 16e édition de l'"Acampamento Terra Livre - ATL", qui s'est déroulée de manière virtuelle du 27 au 30 avril 2020. L'ATL représente un moment important pour l'articulation et le renforcement des luttes du mouvement indigène dans notre pays. Pendant une semaine, les organisations et dirigeants indigènes de tout le pays ont discuté de la situation nationale et sont restés fermes dans leur volonté de lutter pour leurs droits et contre la politique mortifère du gouvernement Bolsonaro [le document final de l'ATL 2020 est consultable ici].
Les indigènistes de la FUNAI, engagés dans la défense des droits des peuples indigènes, ont eux aussi dresser leurs barricades pour lutter contre le démantèlement de l'organisme indigène. A cet égard, il faut rendre hommage à l'organisation "Associated Indigenists - INA" qui a joué un rôle important dans la dénonciation des récentes transformations de la FUNAI, dans la mobilisation pour garantir les droits des fonctionnaires et dans la lutte pour un "Plan de Carrière Indigéniste".
Le Parti communiste brésilien (PCB) se tient fermement aux côtés des peuples indigènes dans leur lutte pour la démarcation de leurs territoires et pour la plénitude de leurs droits. Nous sommes convaincus que les propositions des peuples indigènes dans la lutte pour leurs droits fondamentaux doivent être élaborées et dirigées par les indigènes eux-mêmes, qui, plus que quiconque, connaissent leurs besoins réels en tant que peuples menacés en permanence d'invasion sur leurs terres ancestrales, d'expulsion, voire d'extermination.
Nous défendons une politique indigéniste d'État qui rompt avec son caractère répressif et autoritaire. Que cette politique soit construite en dialogue avec les organisations indigènes et indigénistes et garantisse la totalité des droits territoriaux, sociaux et environnementaux pour toutes les Terres Indigènes, ainsi qu'un Plan de Carrière Indigéniste effectif pour les fonctionnaires et des conditions de travail adéquates. Nous restons fermes dans la lutte !
Fora Bolsonaro e Mourão!
Demarcação Já!
Pelo Poder Popular e Pelo Socialismo!
Auteur: Mauro Iasi
le 28 mai 2020
Traduction MR pour Solidarité Intenationale PCF
Política indigenista em tempo de pandemia
Charge: Mauro Iasi A intensificação de ataques aos indigenistas e aos Povos Indígenas Nota Política da Célula do Serviço Público do PCB/RN Em nenhum momento da história de nosso país, a po...
https://pcb.org.br/portal2/25605/politica-indigenista-em-tempo-de-pandemia/
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