Revenu de base universel: un cheval de Troie
16 déc. 2020Le revenu de base universel a longtemps été critiqué sur le site vivelepcf comme une fumisterie social-démocrate censée pallier d'un coup toutes les carences du capitalisme moderne. Les propositions sont nombreuses et variées, les justifications aussi (le fort taux d'auto-censure des bénéficiaires du RSA, l'intensification du chômage technologique, etc.). Toutefois, ces propositions ont toutes en commun de fermer les yeux sur les conditions actuelles du rapport de force qui conduirait à introduire un revenu de base au rabais. Les promoteurs du revenu de base, y compris ceux qui sont bien intentionnés (ou naifs), ont également en commun de fermer les yeux sur l'enthousiasme que ce projet suscite au sein de la classe capitaliste. Voilà un moyen de mettre fin à tout ce qu'il reste de services publics et de prestations sociales sous couvert d'une mesure dite "progressiste". Même les plus découragés du combat politique, qui voient dans ce revenu "tombé du ciel" un moyen de vivoter et de se détrourner des luttes, seront formidablement déçus. Le revenu de base ne compensera jamais la perte des concessions qui seront faites pour permettre son introduction. Car il va de soi que le revenu de base ne sera pas introduit sans contreparties - sinon quel intérêt pour la classe capitaliste? La fumisterie du revenu de base universel agite les milieux de gauche en Irlande depuis quelques années, et plus encore depuis l'épidémie du Covid. Assez pour que le Parti Communiste Irlandais commence par dénoncer cette idée à travers l'article de Jimmy Doran, paru le 4 décembre 2020 dans "Socialist Voice" (journal officiel du Parti Communiste Irlandais). Traduction MR pour Solidarité Internationale PCF - Vivelepcf - Cahiers Communistes.
La crise du covid-19 a révélé les inégalités flagrantes en matière de logement, de santé, d'éducation et de travail en Irlande comme dans le monde dit "développé". Cela a conduit à des appels renouvelés de la part de certains milieux en faveur d'un revenu de base universel au bénéfice de tous les citoyens.
Certains de ceux qui le proposent sont bien intentionnés et pensent que c'est un moyen de mettre fin à l'inégalité et à la pauvreté. Il n'est ni l'un ni l'autre: le revenu de base permettra un transfert massif de richesses des plus pauvres vers les plus riches et de privatiser ce qu'il reste de services publics.
La proposition social-démocrate originelle du revenu de base universel était d'offrir un complément aux prestations sociales afin d'aider les citoyens les plus vulnérables. Malheureusement, l'œil avide du capitalisme, comme toujours, y a vu une opportunité de tourner cela à son avantage.
En 1791, Theobald Wolfe Tone écrivait dans le "Manifeste aux amis de la liberté en Irlande" :
"Quand l'aristocratie avance, le peuple recule ; quand le peuple avance, l'aristocratie, craignant d'être relayée, s'immisce dans nos rangs et s'élèvent en chefs timides ou en auxiliaires perfides."
Le langage est un peu archaïque, mais la réalité qu'il décrit est tout à fait actuelle. Avec le revenu de base universel, les capitalistes ont vu un terrain fertile pour s'emparer de tous les biens de l'État et se sont immiscés dans le débat, se tenant prêts à bondir.
La partie bien intentionnée du mouvement en faveur du revenu de base universel doit prendre en compte le système politique au sein duquel nous vivons en Irlande et dans le reste du monde développé. Nous vivons dans un monde impérialiste néolibéral, où l'approche politique dominante est en faveur d'une faible taxation, du capitalisme de libre marché, de la déréglementation des entreprises, de la privatisation et du désengagement de l'Etat vis-à-vis des services publics.
Le revenu de base universel est un cheval de Troie pour la classe capitaliste. Ne vous y trompez pas : si elle devait être introduite, elle ne serait pas une aide pour les plus vulnérables de la société ; ce serait davantage une méthode par laquelle les gouvernements pourraient assurer leur retrait de tous les services publics. Ces services seraient privatisés, un à un, et remis aux mains des véritables décisionnaires du monde développé : les sociétés transnationales et le capital financier.
Le gouvernement remplacerait alors ses responsabilités sociales par un revenu de base universel. A mesure que la privatisation de ces services se déveloperait, le revenu minimum universel serait légèrement et temporairement augmenté. Du moins jusqu'à la prochaine crise du capitalisme, qui servirait d'excuse pour réduire le revenu de base à un niveau plus acceptable pour la classe capitaliste.
La privatisation des services conduirait à un transfert massif de tous les actifs de l'État aux mains du privé, dans une inondation de richesses jamais vue depuis le pillage colonial par ce qui est devenu par la suite le "monde développé". Lorsque les gouvernements se retireront des services public, les impôts pourront être réduits pour les entreprises, entraînant des bénéfices encore plus élevés pour le capital.
Comme si cela ne suffisait pas, les plus vulnérables, que l'on espérait voir aidés par le revenu de base, seront contraints de reverser ce revenu à la classe capitaliste sous forme de loyers privés, de services de santé privés et d'une pléthore d'autres services désormais aux mains des capitalistes depuis la privatisation des biens de l'État.
Au lieu du revenu de base, les travailleurs devraient bénéficier de services publics universels. Avec toute la richesse produite par les travailleurs, le minimum que l'État se doit de garantir devrait être la santé publique universelle, le logement et l'éducation, un emploi public à travers lequel les travailleurs disposeraient d'une protection syndical et des droits de négociation collective complets.
La société n'a pas été construite par les entreprises ou les gouvernements : elle a été construite par les travailleurs. Comment se peut-il qu'il n'y ait pas d'emplois alors que nous avons une crise du logement, une crise sanitaire, des salles de classe surpeuplées et des infrastructures inadéquates, qu'il s'agisse de l'eau ou de la connexion internet, et bien plus encore. Le travail devrait être décidé en fonction des besoins de la société et non des besoins de profit des entreprises. Tant que le travail dépendra des profits de quelqu'un d'autre, ces besoins ne seront jamais satisfaits. Les ressources seront gaspillées pour fabriquer une autre marque de peinture, de yaourt, de dentifrice - tout ce qu'il faut pour remplir les comptes bancaires de l'élite.
Beaucoup de gens à gauche, tels que ceux défendant le revenu de base universel, ont été convaincus par de perfides auxiliaires immiscés dans nos rangs qu'il n'y avait pas d'alternative à un impôt sur les sociétés limité à 12,5%; et que, si celui-ci était augmenté, il provoquerait une fuite des investissements étrangers. Ces investissements sont venus en Irlande pour disposer de notre main-d'œuvre jeune, éduquée et qualifiée. Ils en bénéficient de fait pour un impôt illusoire de 12,5%. La grande majorité ne paie qu'un pourcentage minime ; d'autres ne paient presque rien.
Lors d'une récente affaire judiciaire à New York, il a été révélé que Coca-Cola n'a payé que 1,4 % d'impôts sur les bénéfices en Irlande sur les 7,2 milliards de dollars réalisés entre 2007 et 2009, volant ainsi au peuple irlandais près de 800 millions de dollars - le tout facilité par l'État irlandais.
Nous devons construire une économie pour le bien commun, qui puisse profiter à tout le monde profite et dans lequel personne n'est laissé pour compte, une Irlande dans laquelle nous pourrons réaliser notre potentiel réel, où nous travaillerons ensemble, les uns pour les autres, collectivement, et pas seulement pour le seul profit d'une petite élite.
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