pci ricostruireilpartitocomunista90ème anniversaire de la fondation du PCI (1) – La nécessité de la constitution du Parti communiste italien, article d'octobre 1920 du co-fondateur du PCI Antonio Gramsci


Introduction et traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/



Congrès de Livourne, 21 janvier 1921. Inspirés par l'élan de l'Octobre russe, animés par une volonté de rupture vis-à-vis de l'attitude capitularde du Parti socialiste dans le mouvement révolutionnaire des occupations d'usines qui secouait alors l'Italie, un groupe dirigeant mené par Antonio Gramsci et Palmiro Togliatti décidait de faire scission et de fonder le Parti communiste italien, section italienne de la IIIème internationale.


Pendant cinq ans, la lutte du noyau dirigeant communiste recoupant celui de la rédaction du journal de la section turinoise de l'ex-PSI « Ordine nuovo » (Gramsci, Togliatti, Terracini) – avec la bénédiction de Lénine qui voyait dans ces dirigeants les organisateurs du Parti communiste de l'avenir – sera âpre tant contre les tendances centristes et opportunistes que contre la direction sectaire de Amedeo Bordiga.


Certes, le fascisme privera le mouvement communiste de ces éléments les plus brillants et les plus valeureux, Gramsci en tête. Mais dans l'épreuve de la résistance se forgera le « Parti nouveau », le plus grand parti communiste d'Europe occidentale. Le parti de la Résistance au fascisme et de la démocratie progressive, le parti de la classe ouvrière et de la rupture avec la vieille Italie cléricale et bourgeoise.


La dissolution du Parti communiste en 1991 fut un traumatisme dont non seulement les communistes italiens mais l'ensemble de la classe ouvrière ne se sont pas remis. Après vingt ans de d'hésitations et d'équivoques quant aux tentatives de « refondation », la nécessité d'une reconstruction du Parti communiste italien, 90 ans après Livourne, 20 ans après la liquidation, est désormais mise au premier plan par nombre de dirigeants du PdCI et de Refondation communiste.


Afin de participer à ce travail de reconstruction, il paraît opportun de republier certains textes fondamentaux du fondateur, théoricien et dirigeant du Parti communiste italien, Antonio Gramsci, rappelant la raison d'être d'un Parti communiste en Italie.



GramsciLe Parti communiste



par Antonio Gramsci



« L'Ordine Nuovo », 9 octobre 1920

 

 

Le mouvement prolétarien, dans sa phase actuelle, tend à accomplir une révolution dans l'organisation des choses matérielles et des forces physiques; ses traits caractéristiques ne peuvent être les sentiments et les passions diffuses dans la masse sur lesquels repose la volonté de la masse; les traits caractéristiques de la révolution prolétarienne ne peuvent être recherchés que dans le parti de la classe ouvrière, dans le Parti communiste, qui existe et se développe pour autant qu'il est l'organisation disciplinée de la volonté de fonder un État, de la volonté d'apporter une organisation prolétarienne à l'ordre des forces physiques existantes et de poser les bases de la liberté populaire. (…)

 

L'ouvrier dans l'usine n'accomplit que des tâches purement d'exécution. Il ne saisit pas le processus général du travail et de la production; il n'est pas un point qui se met en mouvement pour créer une ligne; il est une épingle plantée en un poste déterminé et la ligne résulte de la succession des épingles qu'une volonté extérieure a disposées à ses propres fins. L'ouvrier tend à étendre cette façon d'être à tous les milieux dans lesquels il est impliqué; il se résigne facilement, partout, à son poste d'exécutant matériel, de « masse » guidée par une volonté qui lui est étrangère; il est paresseux intellectuellement, il ne sait pas et ne veut pas prévoir au-delà de l'immédiat, c'est en cela qu'il manque de tout critère dans le choix de ses chefs et se laisse duper facilement par les promesses; il veut croire qu'il peut obtenir sans grand effort de sa part et sans devoir trop penser.

 

Le Parti communiste est l'instrument et la forme historique du processus de libération intime par lequel l'ouvrier, d'exécutant devient créateur, de masse devient chef et guide, de bras devient cerveau et volonté; dans la formation du Parti communiste on peut voir le germe de la liberté qui aura son développement et sa pleine expansion après que l'Etat ouvrier aura organisé les conditions matérielles nécessaires. (...)

 

Le Parti communiste, même en tant que simple organisation, s'est révélé la forme particulière à la révolution prolétarienne. Aucune révolution du passé n'a connu les partis; ceux-ci sont nés après la révolution bourgeoise et se sont décomposés sur le terrain de la démocratie parlementaire. Même sur ce terrain s'est vérifiée l'idée marxiste que le capitalisme crée des forces qu'il ne parvient pas ensuite à dominer.

 

Les partis démocratiques servaient à faire remarquer les hommes politiques de valeur et à les faire triompher dans la compétition politique; aujourd'hui les hommes de gouvernement sont imposés par les banques, les grands journaux, les associations patronales; les partis se sont décomposés en une multiplicité de cliques personnelles.

 

Le Parti communiste, surgissant des cendres des partis socialistes, répudie ses origines démocratiques et parlementaires et révèle ses caractères essentiels qui sont originaux dans l'histoire: la révolution russe est la révolution accomplie par les hommes organisés dans le Parti communiste, qui dans le parti se sont façonnés une personnalité nouvelle, ont acquis de nouveaux sentiments, ont réalisé une vie morale qui tend à devenir conscience universelle et fin pour tous les hommes.

 

Les partis politiques sont le reflet des classes sociales, et contribuent à leur donner un nom. Ils surgissent, se développent et se décomposent, se renouvellent, selon que les diverses strates des classes sociales en lutte subissent des changements d'une réelle portée historique, voient leur conditions d'existence et de développement se transformer radicalement, acquièrent une conscience plus grande et plus claire d'elles-mêmes et de leurs intérêts vitaux.

 

Dans la période historique actuelle et à la suite de la guerre impérialiste qui a profondément transformé la structure de l'appareil national et international de production et d'échange, est devenue caractéristique la rapidité avec laquelle se déroule le processus de dissociation des partis politiques traditionnels, nés sur le terrain de la démocratie parlementaire, et d'apparition de nouvelles organisations politiques: ce processus général obéit à une logique interne implacable, alimentée par la désagrégation des vieilles classes et des vieilles couches sociales et par le vertigineux passage d'une condition à une autre connu par des strates entières de la population sur tout le territoire de l'Etat, sur tout le territoire du domaine capitaliste.

 

Le Parti socialiste s'auto-proclame champion des doctrines marxistes; le parti devrait donc trouver, dans ces doctrines, une boussole pour s'orienter à travers la complexité des événements, il devrait posséder cette capacité de prévision historique qui caractérise les partisans intelligents de la dialectique marxiste, il devrait avoir un plan général d'action, basé sur cette prévision historique, et être en mesure de lancer à la classe ouvrière en lutte des mots d'ordre clairs et précis; au contraire le Parti socialiste, le parti champion du marxisme en Italie est, comme le Parti populaire, comme le parti des classes les plus arriérées de la population italienne, exposé à toutes les pressions des masses etse met en action et se distingue quand les masses se sont déjà mises en action et déjà distinguées. En vérité ce Parti socialiste, qui se proclame guide et dirigeant des masses, n'est rien d'autre qu'un piètre notaire qui enregistre les opérations accomplies spontanément par les masses; ce pauvre Parti socialiste, qui se proclame chef de la classe ouvrière, n'est rien d'autre que les impedimentade l'armée prolétarienne.

 

Si cet attitude étrange du Parti socialiste, si cette condition bizarre du parti politique de la classe ouvrière n'ont pas encore à ce jour provoqué une catastrophe, c'est qu'ils se trouvent au sein de la classe ouvrière, dans les sections urbaines du Parti, dans les syndicats, dans les usines, dans les villages, des groupes énergiques de communistes conscients de leur rôle historique, énergiques et réfléchis dans l'action, capables de guider et d'éduquer les masses locales du prolétariat; c'est qu'il existe potentiellement, au sein du Parti socialiste, un Parti communiste auquel ne manque que l'organisation explicite, la centralisation et sa discipline propre pour se développer rapidement, conquérir et renouveler l'ensemble du parti de la classe ouvrière, donner une nouvelle orientation à la Confédération générale du travail et au mouvement coopératif.

 

Le problème immédiat de cette période, qui succède à la lutte des ouvriers métallurgiques et précède le congrès où le Parti devra prendre une position sérieuse et précise vis-à-vis de l'Internationale communiste, celle justement d'organiser et de centraliser ces forces communistes déjà existantes et opérantes.

 

Le Parti socialiste, de jour en jour, avec une rapidité fulgurante, se décompose et part en lambeaux; les tendances dans un laps de temps très court, ont déjà acquis une nouvelle configuration; placés face aux responsabilités de l'action historique et aux engagements pris au moment de l'adhésion à l'Internationale communiste, les hommes et les groupes se sont recomposés, ont changé; l'équivoque centriste et opportuniste a gagné une partie de la direction du Parti, a jeté le trouble et la confusion dans les sections.

 

Le devoir des communistes, dans cette débâcle générale des conscience, des fois, de la volonté, dans ce déchainement de bassesses, de lâcheté, de défaitisme est celui de resserrer les rangs, de se mettre d'accord, de se tenir prêts à entendre les mots d'ordre qui seront lancés. Les communistes sincères et désintéressés, sur la base des thèses adoptées par le IIème Congrès de la IIIème Internationale, sur la base de la discipline loyale à l'autorité suprême du mouvement ouvrier mondial, doivent réaliser le travail nécessaire afin que, dans les plus brefs délais, soit constituée la fraction communiste du Parti socialiste italienne, qui, pour se vêtir du nom correct du prolétariat italien, doit, au Congrès de Florence, devenir, de nom et de fait, le Parti communiste italien, section de la IIIème Internationale communiste;afin que la fraction communiste se constitue avec un appareil de direction organique et fortement centralisé, avec ses propres articulations disciplinées dans tous les lieux dans lesquels travaille, se réunit et lutte la classe ouvrière, avec un ensemble de services et d'instruments pour le contrôle, pour l'action, pour la propagande qui la mettent en condition de fonctionner et de se développer dès maintenant comme un véritable parti.

 

Les communistes, qui dans la lutte des métallurgistes ont, avec leur énergie et leur esprit d'initiative, sauvé d'un désastre la classe ouvrière, doivent aller jusqu'aux ultimes conclusions de leur attitude et de leur action: sauver la cohésion primordiale (en la reconstruisant) du parti de la classe ouvrière, donner au prolétariat italien le Parti communiste qui soit capable d'organiser l'État ouvrier et les conditions de l'avènement de la société communiste.

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