Après les régionales en Italie (4) – Reconstruire le parti communiste italien, c'est maintenant ou jamais pour Andrea Catone (PRC)
20 avr. 2010Reconstruire le parti communiste italien, c'est maintenant ou jamais
Par Andrea Catone, membre de la direction du PRC, directeur de l'Ernesto
Revoir aussi notre analyse du scrutin régional et du bilan de 20 ans de liquidation communiste en Italie: L’Italie après les élections régionales: droitisation du pays, une opposition qui ne s’oppose pas, les communistes marginalisés… Le bilan de 20 ans de liquidation communiste s’approfondit
Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
Les moments électoraux d'une part expriment – bien que déformées par la fausse conscience – les positions politiques du pays (y compris celles de ceux qui s'abstiennent): ce sont un « thermomètre » que les communistes ne peuvent ignorer. D'autre part, ils constituent un changement dans les rapports de force entre classes sociales – même si, comme nous le savons, ils n'expriment pas tous les véritables rapports sociaux qui se trouvent dans la structure socio-économique – parce qu'ils remettent à telle ou telle autre force politique.
Les élections régionales 2010 se sont tenues en plein cœur de la plus importante crise capitaliste de l'après-guerre, qui a déjà causé une grave détérioration des conditions socio-économiques du prolétariat et de larges couches de la petite et moyenne bourgeoisie (avec des suicides qui n'ont rien de métaphoriques de plusieurs petits patrons du Nord-Est) et qui est bien loin d'être résolue, en dépit des messages rassurants de propagande. De plus, aux contradictions générales du capitalisme, s'ajoute en Italie l'anomalie du berlusconisme: les différentes fractions des classes propriétaires (avec le poids important en leur sein du nano-capitalisme, qui différencie fortement notre pays des autres grands capitalismes de l'UE) n'ont pas encore trouvé la formule politico-institutionnelle la plus adéquate pour gérer, dans la phase actuelle, les rapports internes aux dominants d'une part, et ceux avec les classes subalternes, d'autre part. Le berluscnonisme a été la formule qui pendant plus de 15 ans a répondu, bien que non sans contradictions, à la phase de transition de l'histoire italienne après 1989, avec la démolition de la République née de la Résistance. Mais ses pulsions subversives, le conflit permanent avec un des pouvoirs de l'Etat, la magistrature, et une politique étrangère qui n'est pas toujours alignée sur les Etats-Unis et l'UE (les rapports avec la Russie, la Biélorussie, la Libye... même si c'est pour des raisons tout sauf limpides) font qu'il n'est pas nécessairement le bienvenu au sein de la grande bourgeoisie européenne et des pouvoirs outre-Atlantique, qui préféreraient aujourd'hui une Italie gouvernée, pour paraphraser d'Alema, par une « droite normale » (option Fini).
Maintenant, dans une situation qui devrait marquer un fort affaiblissement de l'hégémonie des dominants à cause de la double crise (économique, qui révèle les contradictions structurelles du capital; politique, via les frictions entre les diverses fractions bourgeoises), le résultat électoral d'une part, tout en changeant les rapports internes aux forces politiques dominantes à l'avantage de la Ligue, consolide le gouvernement, d'autre part il confirme, accentue même, les rapports de subordination des dominés.
Après ces régionales, le prolétariat est plus pauvre en représentation politico-institutionnelle, plus marginalisé, plus aphone.
Dans le camp des forces de gouvernement – au vu de leur résistance et de la faiblesse des oppositions – on ouvre la voie au pacte d'acier Bossi-Berlusconi avec l'appariement létal du fédéralisme et du présidentialisme, qui pourrait donner le coup de grâce à la Constitution avec une nouvelle forme d'Etat et de gouvernement. Nous ne savons pas si ils réussiront à mettre en œuvre effectivement la formule adaptée à la phase actuelle capitaliste, s'ils réussiront à construire une domination durable de type « droite normale ». Sur la manière d'arriver à cela, ils sont encore divisés: l'aile Berlusconienne parlait de réformes constitutionnelles à mettre en oeuvre par la majorité seule, celle de Fini de « réformes partagées », avec l'aval du président Napolitano et les ouvertures au PD (avec le « projet Violante » de réforme constitutionnelle comme cheval de troie).
C'est une partie – mais cela n'est pas rassurant du tout – qui se joue essentiellement sur le terrain des classes propriétaires et de leurs formations politiques.
Aux camarades qui se sont battus généreusement dans la campagne électorale, avec aucun moyen si ce n'est quelques tracts, et dans un obscurantisme médiatique qui n'est évidemment pas fortuit, va toute la gratitude des communistes. Leur militantisme a évité – comme cela était dans les desseins du patronat – que le PRC et le PdCI soient anéantis, qu'ils subissent le coup de grâce. Cela aurait facilité et accéléré les processus d'érosion et de désagrégation, et rendu beaucoup plus difficile le travail de reconstruction d'un parti communiste adapté aux défis difficiles de notre temps. Nous sommes fermement opposés à la politique du pire, ni, depuis deux ans que L'Ernesto s'est fait le promoteur du processus d'unité des communistes, nous n'avons jamais cru que la reconstruction du parti puisse être le fruit d'une sorte de « nouveau début », faisant table rase des groupes dirigeants et des structures. Sur la désagrégation, on ne construit pas. La résistance relative des forces communistes qui sont l'épine dorsale et la force dominante, et de loin – dans la plupart des cas, la seule – de la Fédération de la Gauche (FdS), bien que réduites à leur minimum, est un élément positif qui doit être souligné, contre les pessimistes de nature et les défaitistes: nous n'avons pas été balayés.
Mais, si on ne regarde pas les pourcentages, qui se réfèrent aux nombres de votants – étant donné la forte abstention, ils déforment les données réelles – mais le nombre effectif de votes dans les 13 régions où on a voté, les deux partis communistes PRC et PdCI perdent – et pas sur quelques années, mais en l'espace seulement de 10 mois et à l'intérieur du même contexte politico-social (crise économique, gouvernement Berlusconi) – presque 1/3 des voix qu'ils avaient obtenu aux européennes: ils passent de 910 472 voix de Juin 2009 à 620 021 de mars 2010 (sans tenir compte du fait que dans certaines régions comme les Pouilles ou la Toscane la Fédération de la Gauche s'est présentée avec les Verts). Avec toute la différence que l'on peut faire entre un vote régional (où peuvent valoir aussi des intérêts locaux particuliers) et un vote politique européen, les données sont quand même alarmantes et ne doivent absolument pas être sous-estimées. Car le vote aux européennes était déjà dans une large mesure un vote militant, de communistes, de ce « noyau dur » qui ne s'était pas laissé ensorcelé par le chant des sirènes de Vendola et n'acceptait pas l'effacement de la faucille et du marteau. En quelques mois, près de 300 000 camarades ont décidé de ne pas voter pour nous (et probablement de ne pas voter du tout). Nous ne pouvons pas ne pas voir que la résistance relative porte la marque d'une résistance résiduelle, non de la relance d'un fort projet politique et organisationnel. Ce serait absurde – et aussi politiquement coupable –de se retrancher derrière la maigre consolation que, tout compte fait, on survit encore.
Face au résultat électoral, plusieurs voix se lèvent désormais pour proposer un élargissement d'alliances pour la construction d'un front de « gauche alternative » contre les droites de Berlusconi et de la Ligue, contre la dénaturation totale de la Constitution. On propose le renforcement de la Fédération de Gauche et une forme d'alliance avec Gauche Ecologie et Liberté (SEL). Cela en soi, dans la situation donnée, n'est certainement pas erroné: la politique des alliances est dans la tradition communiste. Mais, il y a un mais.
Toute proposition d'alliance, sous la forme de pacte fédératif ou de simple bloc électoral (ce qui évidemment n'est pas du tout la même chose) nécessite, si on ne veut pas finir phagocyté par l'allié, un parti communiste fort et structuré. La question de l'unité des communistes pour la reconstruction d'un parti communiste adapté aux problèmes de notre époque est plus que jamais à l'ordre du jour.
La question fut posée avec clarté il y a deux ans, au lendemain de la débâcle de « l'Arcobaleno ». Le congrès du PdCI (2008) la fit sienne, celui, très difficile, du PRC, tout en sauvant le parti du projet liquidateur de Bertinotti et Vendola, non, sauf des composantes minoritaires, comme celle de l'Ernesto. La liste PRC-PdCI aux européennes de 2009 a ouvert de nouvelles formes de collaboration, qui n'ont pas débouché toutefois sur un processus authentiquement unitaire, qui est resté au contraire au milieu du gué, bloqué par les hésitations de la majorité du PRC (certains au sein de la direction du PRC disent explicitement que le PdCI a « du plomb dans l'aile »). La FdS est née en juillet 2009 comme un compromis possible entre les exigences divergentes, de l'unité communiste d'un côté, et de conceptions ancrées dans des cultures non-communistes, lointaines et étrangères à l'expérience historique du communisme du XX ème siècle et aux mouvements anti-impérialistes (voir par exemple l'article de veine anti-palestinienne de Lidia Menapace, du 25 mars, dans Liberazione). La vie même de la FdS a été affectée par ces éléments divergents (à partir du nom, qui a effacé même le mot « communiste », alors que la FdS est composée à 95% du PRC et du PdCI), et le projet politique en découlant est resté flou, faisant perdre un temps précieux. Et le temps ne travaille pas pour nous.
Quand nous parlons de reconstruction communiste, nous n'entendons pas la seule fusion organisationnelle des deux partis – qui représenterait quand même un pas en avant. Il faut construire un parti qui sache récupérer et réactualiser la meilleure partie du patrimoine d'idées, politique, organisationnel des communistes. Nous ne le disons pas par une pulsion passéiste-identaire, mais parce que nous croyons qu'il est indispensable aujourd'hui dans la lutte anti-capitaliste. Un parti qui ait une élaboration politique et programmatique insérée dans une vision stratégique, qui sache remplir une fonction dirigeante des luttes sur le terrain économique et sociale (et donc aussi capable de peser sur la ligne syndicale), politique, culturel, qui sache s'enraciner sur le territoire. Ce n'est pas un modèle du passé.
La boutade circule selon laquelle la Ligue, la formation politique qui a aujourd'hui le vent en poupe, est le seul parti organisé sur le territoire sur le modèle du PCI (avec une ligne politique et idéologique férocement anti-communiste). Elle croît électoralement même si sa présence dans les médias est faible, mais elle est enracinée sur le territoire, elle fait de la politique au quotidien.
On discute pour savoir si les résultats électoraux sont plus ou mins favorables si on se présente en coalition avec le PD, ou seul, ou avec SEL (Gauche Ecologie et Liberté) en opposition par rapport au PD, comme dans les Marches. Et, avec des résultats aussi différents, chacun peut emmener de l'eau à son moulin, soutenant la nécessité d'alliances plus organiques avec SEL ou avec le PD. Mais en réalité les communistes récoltent des voix là où ils ont essaimé, là où ils travaillent sur les territoires et se présentent avec une ligne politique claire, « de classe », là où ils se présentent comme une force utile, parce qu'elle a un poids. La question des alliances possibles vient après (et pas en termes temporels): on ne peut s'allier avec quelqu'un si on est quelqu'un, si on a sa propre force et son propre projet.
Ce dont nous avons besoin avant tout, ce ne sont pas des raccourcis en dehors du processus conscient de reconstruction communiste. Les communistes grecs du KKE (que cependant nous n'indiquons pas comme « modèle »: nous évitions les caricatures banales dans le débat): ils ont démontré dans les dernières semaines qu'un parti structuré et organisé comme le leur sait être le force protagoniste et directrice d'importantes luttes ouvrières et populaires contre les politiques dictées par l'UE et le FMI qui entendent faire porter le poids de la crise de la dette public du pays par les masses populaires.
Notre tâche prioritaire est de reconstruire le parti communiste, ouvert au reste de la gauche. Ce qui aujourd'hui, n'est pas seulement très difficile à faire, mais n'est pas non plus facile à dire, car la question est refoulée, éludée, occultée derrière le débat sur les « alliances ». Comment on reconstruit le parti? Cela ne se fait pas en laboratoire, c'est un processus qui vit dans les rapports sociaux, dans les luttes sociales, politiques, culturelles, idéologiques. Le parti communiste se construit en travaillant dans la société. Mais il se construit s'il y a une volonté consciente de le faire, si on dépasse une mentalité et une pratique opportunistes qui tendent à ajourner la question, à se mouvoir dans la contingence du jour le jour sans indiquer d'objectif.
Et, c'est maintenant ou jamais.
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