lozano« Où sont les efforts de paix du gouvernement colombien ? »


Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/


Entretien réalisé par l'Agenda Colombie-Brésil avec Carlos Lozano, avocat et journaliste, directeur du journal communiste Voz, membre du Comité central du Parti communiste colombien et de « Colombiennes et Colombiens pour la paix



Il a fait partie d'une équipe de conseillers, dans le cadre du processus de paix de « Caguan », entre la guérilla des FARC et le gouvernement de Colombie entre 1998 et 2002



Comment analyses-tu les potentialités d'un processus de paix en Colombie ?



Carlos Lozano : Bon, ce qui est clair, c'est que résoudre ce conflit social et armé en Colombie, qui existe depuis plus de cinq décennies, ne passera que par la voie politique, la voie du dialogue, sur la base de solutions démocratiques, d'une ouverture sociale, progressiste, qui éradiquent les racines du conflit, racines historiques et les racines les plus récentes qui touchent au tissu social et à la précarité de la démocratie en Colombie. Historiquement, de nombreux efforts ont été faits au sein de la guérilla et de la gauche pour ouvrir la porte au dialogue, à la résolution démocratique du conflit. Mais, la classe dominante y a toujours fait obstacle, opposant ses résistances à ses transformations de fond. Ce qu'elle veut, c'est une paix qui tombe du ciel, ils veulent la démobilisation de la guérilla, mais sans produire les transformations nécessaires au renforcement de la démocratie et de la justice sociale.



L'oligarchie colombienne continue à opposer ses résistances à un dialogue qui suppose une paix avec justice sociale ?



Carlos Lozano: De ce point de vue, les choses n'ont pas beaucoup changé en Colombie, c'est comme si l'histoire s'était arrêtée. L'oligarchie colombienne continue à résister à l'idée d'un dialogue qui supposerait une paix constructive, une paix avec démocratie et justice sociale. Mais je n'ai pas le moindre doute sur le fait qu'à moyen-terme va s'imposer une sortie par la voie du dialogue, va se dégager un espace pour le dialogue. C'est le scénario prévisible des prochains mois, car, il ne fait pas de doute, après plus d'un demi-siècle de conflit, que cette guerre qui a dégénéré ne laisse plus d'autre alternative au gouvernement comme à l'insurrection que la recherche d'une possibilité de rapprochement, de dépassement des réticences réciproques pour que, avec le travail d'accompagnement de la société colombienne, et pourquoi pas, de la communauté internationale, puisse s'ouvrir un dialogue sur la base d'un agenda politique et social de transformations concrètes.



La classe dominante a-t-elle intérêt à la paix...



Carlos Lozano : La classe dominante colombienne, l'oligarchie colombienne a intérêt à la paix car l'essentiel des ressources publiques, des ressources de l’État, au-delà de l'aide apportée par les États-Unis et plusieurs autres pays, sont consacrées à la guerre. Il s'agit de près de 8% du PIB, l'équivalent de ce que le pays investit dans le cadre de son propre budget pour les secteurs sociaux, des ressources qui pourraient donc être mieux utilisées dans la satisfaction des besoins sociaux fixes, dans un pays qui enregistre le triste « record » d'être le pays du tiers-monde avec les inégalités les plus fortes, un pays dans lequel existent les indices les plus élevés de concentration terrienne et où il existe une poignée de groupes économiques, cinq ou six groupes qui monopolisent toute la production industrielle et qui réalisent des profits colossaux dans le secteur financier. Il s'agit d'une situation intenable. Une telle situation, même pour ces groupes dominants, devient une sorte d'entrave à la croissance de l'économie. Voilà pourquoi il faut la paix, mais la paix avec la démocratie, avec la justice sociale. On ne peut pas penser qu'il faut la paix pour maintenir le statu quo. Je crois que nous sommes au seuil d'une atmosphère plus favorable. Tant que le conflit persistera, nous serons devant des situations tragiques, des affrontements, des situations regrettables au niveau national et international. Mais, de toutes les manières, j’estime que nous agissons dans un nouveau cadre, dans une nouvelle époque de la vie politique nationale, où la question de la paix et de la guerre va occuper le premier plan de l'agenda du gouvernement, des partis politiques, des organisations sociales et également de la communauté internationale qui sera attentive au processus colombien.



Désormais, avec la libération unilatérale des prisonniers de guerre, la question des prisonniers politiques et d'opinion est revenue sur le devant de la scène. Où en est-on ?



C.L: C'est curieux que le gouvernement colombien reconnaisse juste maintenant l'existence du conflit après sa non-reconnaissance par le gouvernement Uribe, Santos a fait un pas audacieux en apparence en reconnaissant qu'il existait un conflit en Colombie. Mais, la reconnaissance du conflit a aussi ses implications : il y a des combattants, d'autres ne sont pas combattants ; il est nécessaire d'établir un principe de distinction entre les uns et les autres. Il faut appliquer le droit international humanitaire et il faut reconnaître que la seule voie de résolution du conflit, c'est la voie politique du dialogue et non celle de l'affrontement armé. Mais, le gouvernement, même s'il reconnaît le conflit, ne franchit pas ce pas. Et ce que nous voyons ici, c'est que le gouvernement ne reconnaît pas l'existence de prisonniers politiques, de prisonniers de guerre. Qu'ils existent, cela nous le savons, car il y a des combattants, il y a des prisonniers politiques qui sont des prisonniers de conscience, des prisonniers d'opinion, des camarades arrêtés dans le cadre de leurs activités syndicales, sociales ; adhérents de partis de gauche qui sont portés devant les tribunaux, accusés en tant que sympathisants et collaborateurs de la guérilla. On les poursuit pour rébellion, ce qui est un délit typiquement politique, quand on ne les étend pas à d'autres types de délits, des accusations bricolées pour donner plus de force à ces procès montés de toute pièce. C'est une question que le gouvernement ne peut pas éluder, surtout en ce moment que la guérilla a fait des gestes humanitaires.



Les gestes de paix de la guérilla des FARC...



La guérilla des FARC a dérogé à la « Loi 002 », qui instaurait des réquisitions économiques. Elle a libéré 10 membres des forces de l'ordre qui étaient les dernières à être sous son emprise, tandis que, au cours de ces dernières années, de ces dernières décennies, elles en avaient gardé en qualité de prisonniers de guerre. Il s'agit donc bien de gestes de paix qui aident à diminuer l'intensité du conflit.



Et les gestes de paix du gouvernement ?



Où sont les gestes de paix du gouvernement, quand on ne veut même pas reconnaître l'existence de prisonniers politiques, pendant qu'on persévère avec la même politique néo-libérale de liquidation des acquis des travailleurs, du peuple et de dégradation des conditions de vie. Pendant que se poursuivent les privatisations, les offensives contre la gauche, les violations des droits de l'Homme, les exécutions que les Nations Unies qualifient d'extra-judiciaires, qui ne sont rien d'autre que ce que nous appelons des « faux positifs ». Alors, ils sont où les gestes de paix du gouvernement ? Voilà ce que nous disons. C'est pour cela, qu'en tant que Colombiens et Colombiennes pour la Paix, nous avons dit au gouvernement que la moindre des choses, une fois les libérations acquises, est de permettre les visites de missions humanitaires internationales dans les prisons. Elles pourront ainsi vérifier sur place quel est l'état des prisonniers politiques et des prisonniers de guerre en Colombie. C'est très important que le pays et la communauté internationale en prennent connaissance, pas seulement comme un problème d'agitation et de publicité mais bien pour que le gouvernement soit contraint de faire changer les choses en prison. Il faut humaniser les prisons colombiennes, que les personnes incarcérées puissent avoir le minimum de dignité, et ce n'est pas seulement le cas pour les prisonniers politiques mais aussi pour tous les autres. Les prisons sont des cachots qui deviennent des espaces où les droits de l'Homme sont violés. Ce sont les Nations Unies et le Procureur de la République qui le disent, ce n'est donc pas seulement un discours gauchiste. Il est temps que le gouvernement affronte cette question et fasse preuve de gestes de paix. Santos dit qu'il tient dans ses mains les clés de la paix, mais celles-ci ne marchent pas, il ne semble pas à disposer à faire des gestes identiques à ceux que réalise en ce moment la guérilla colombienne.



Pour ce qui est de la solidarité politique internationale, quel rôle pensez-vous que pourrait remplir le Brésil par exemple pour contribuer à un processus de paix et à résoudre la situation que l'on connaît en Colombie ?



Fondamentalement, je dirais que les contributions peuvent être de trois types : soutien aux organisations sociales colombiennes qui défendent la paix, pas seulement « Colombiens et Colombiennes pour la paix » qui est, peut-être, la plus connue, mais il y en a d'autres, une multitude d'organisations qui œuvrent en ce sens et il faut les soutenir. La communauté internationale doit les soutenir et faire entendre leurs voix, celle de l'exigence de mettre un terme à la guerre en Colombie et d'ouvrir un scénario de paix, de dialogue, d'issue politique à la crise colombienne. En second lieu, la question des droits de l'Homme, en Colombie, il continue à y avoir des violations de droits de l'Homme avec des personnes déplacées par la force, la question des dirigeants de gauche, dirigeants syndicaux menacés, qui subissent les attentats et les persécutions de la part des services secrets étatiques. Troisièmement, la question des prisonniers politiques en Colombie. Il y a près de 9 000 prisonniers politiques en Colombie, selon les organisations de solidarité et qui sont cachés aux yeux du monde, car personne ne parle de leur situation, et c'est comme si ils n'existaient pas, mais il se trouve vraiment dans des situations de grande précarité. Ils sont en ce moment en grève de la faim, attirant l'attention du pays et de l'étranger sur leur situation, appelant de leurs vœux la mise en place de visites humanitaires.

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