georgia-nato-eu.jpgGéorgie : il y a dix ans, la « révolution » des roses

 

Le 24 novembre 2003, le président géorgien Edouard Chevardnadze, ancien ministre des affaires étrangères de Gorbatchev à la tête de l’URSS, était chassé du pouvoir, à la faveur d’un mouvement de protestation contre les fraudes électorales, par celui qui allait s’avérer l’homme de Washington, Mikheil Saakachvili. Dix ans plus tard, les élections législatives de 2012 et présidentielles de 2013 ont mis fin à un régime autoritaire et corrompu, marqué par la casse sociale et économique, l’alignement euro-atlantique et l’aventure guerrière. Au nom de quoi ? La nouvelle équipe au pouvoir, menée par un milliardaire arriviste semble faire en sorte que tout change pour que rien ne change.

 

Article de BL pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

 

En 2003, la Géorgie, indépendante de l’Union soviétique depuis douze ans, est un Etat enclavé, appauvri et miné par la corruption.

 

Elle est dirigée de manière autoritaire par Edouard Chevardnadze, ancien ministre des affaires étrangères de l’URSS sous Gorbatchev : l’ancien apparatchik opportuniste du gouvernement qui a ruiné l’Union soviétique s’est replié dans son fief, qu’il dirige en seigneur dans la plus grande indifférence aux souffrances d’une population qui subit la destruction du système socialiste.

 

Alors que Chevardnadze est réélu « triomphalement » à la faveur d’élections largement frauduleuses, le mécontentement populaire est grand. Instrumentalisées par le Kmara, un mouvement étudiant piloté par George Soros et la CIA, les manifestations populaires de novembre 2003 à Tbilissi aboutissent à la démission de Chevardnadze et à l’élection en janvier 2004 au poste de Président de Mikheil Saakachvili.

 

Enfant choyé de l’intelligentsia soviétique, Mikheil Saakachvili quitte son pays en 1992, ayant reçu une bourse du gouvernement américain. Diplômé de l’Université de Columbia, de l’Université George Washington et de l’Institut international des droits de l’Homme à Strasbourg, il travaille successivement pour les plus gros cabinets d’avocats d’affaires américains et les institutions euro-atlantistes, avant de revenir en Géorgie servir le gouvernement qu’il contribuera plus tard à renverser.

 

Néolibéral et pro-américain, Saakachvili devient alors l’homme de George W. Bush, qu’il remerciera en donnant son nom à la principale artère de Tbilissi, la capitale géorgienne.

 

Arrivé au pouvoir, Saakachvili oriente sa politique autour de trois axes : la libéralisation brutale de l’économie, l’alignement sans faille sur Washington et l’aventurisme militaire.

 

Un laboratoire de l’ultra-libéralisme : « vendre tout ce qui peut être vendu » !

 

Dirigée par une équipe qui a forgé sa vision du monde au prisme des gouvernements, médias et lobbys d’Amérique et de l’Union européenne, la Géorgie de Saakachvili devient le véritable laboratoire postsoviétique du libéralisme américain.

 

La politique économique de Saakachvili pourrait se résumer à la formule de son nouveau « ministre des réformes économiques »  Kakha Bendoukidze : « vendre tout ce qui peut être vendu ».

 

Absolument tout ce que l’Etat possède encore est passé à la moulinette des privatisations afin de rembourser les dettes colossales imposées par les bailleurs de fonds occidentaux : la production et la distribution de l’énergie, le système ferroviaire, les postes et communications, les bâtiments administratifs, les infrastructures de santé et même les cimetières !

 

Dans le même temps, le Code du travail est laminé et les impôts sur les sociétés et les capitaux, ainsi que les cotisations sociales, sont réduites à la portion congrue. Dans les deux premières années de la présidence Saakachvili, un quart des fonctionnaires ont été limogés.

 

Bon élève du libéralisme mondial, la Géorgie reçoit régulièrement les louanges du FMI et de la Banque Mondiale, qui la classera même 9e en 2013 dans son palmarès Ease of doing business des pays où il fait bon être patron.

 

Pendant ce temps, la libéralisation et la concurrence étrangère outrancière entraînent la ruine du secteur productif géorgien, notamment de l’agriculture qui emploie encore 55% de la population pour 8,8% du PIB.

 

Alors que le taux de chômage officiel atteint 16%, près de 30 à 40% de la population vit en réalité sans revenus fixes, les deux tiers des emplois relevant du travail indépendant, résultat de la déréglementation totale du travail.

 

Plus du quart de la population vit sous le seuil de pauvreté, chiffre qui ne cesse d’augmenter. L’exode est massif et le taux de fertilité – 1,4 enfant par femme – est un des plus bas du monde. L’Etat, quant à lui, pratiquement privé de ressources, recommence à s’endetter massivement.

 

Alignement sur l’OTAN et l’Union européenne et aventures guerrières : de l’Irak à l’Ossétie du nord

 

Animé par une haine dévorante de l’Union soviétique et de la Russie, Saakachvili choisit d’aligner la politique étrangère de la Géorgie sur l’OTAN et l’UE qui lui font miroiter de lointaines perspectives d’adhésion.

 

Après avoir rencontré le président de la Commission Européenne Romano Prodi en 2004, Saakachvili annonce la candidature de la Géorgie à l’UE, « pour 2009 au plus tard ». Deux ans plus tard, il quitte la Communauté des Etats Indépendants qui réunit la plupart des anciennes républiques soviétiques.

 

Saakachvili s’efforce de nuire à son voisin septentrional en bloquant notamment l’entrée de la Russie dans l’OMC et en développant les projets d’oléoduc la contournant, comme le BTC (Bakou, Tbilissi, Ceyhan). A l’inverse, il déploie des efforts considérables pour plaire à son sponsor états-unien.

 

Alors que Washington subventionne largement l’équipement et l’entraînement des forces intérieures et de l’armée géorgienne, celle-ci est de toutes les aventures impérialistes de l’administration Bush, envoyant d’importants contingents de conscrits défendre les intérêts des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan.

 

C’est dans ce contexte qu’intervient la guerre d’août 2008 qui restera dans les mémoires populaires comme la grande erreur criminelle de Saakachvili.

 

Encouragé par le soutien apparemment indéfectible de l’ « hyper puissance » étatsunienne, et par ses précédents succès dans l’éradication violente des séparatismes dans la région côtière de Batoumi, Saakachvili imagine reprendre par la force le contrôle des régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, dont l’autonomie est garantie par Moscou.

 

Lâché par Washington et Bruxelles, qui n’entendent pas mener le soutien à un petit pion caucasien jusqu’à un affrontement armé avec la Russie, Saakachvili subit une débâcle militaire humiliante pour son régime et dramatique pour les populations touchées par les combats.

 

Sauvé de peu par le grotesque ballet diplomatique des BHL et Sarkozy, Saakachvili y aura perdu définitivement le contrôle des deux régions que Moscou considère dorénavant comme indépendantes, et le peu de crédit dont il jouissait encore dans les milieux nationalistes.

 

Le régime, affaibli, devient de plus en plus autoritaire et violent.

 

Alors que, dès après la « révolution » de 2003, le nouveau régime s’était empressé d’emprisonner les tenants du précédent régime, d’éradiquer les partis d’opposition, à l’exception du Parti Communiste Unifié de Géorgie, qu’il avait fait interdire dès 2001, alors qu’il était ministre de la Justice d’Edouard Chevardnadze.

 

L’ensemble des médias passe sous la coupe du nouveau pouvoir. En 2005, le premier ministre et bras droit de Saakachvili Jourab Zvania meurt dans des circonstances troubles. En 2007, des manifestations massives ont lieu à Tbilissi pour protester contre les orientations économiques du régime ; elles sont réprimées avec une violence rare et non seulement l’indifférence, mais encore le soutien complice des « experts » américains et européens.

 

Saakachvili est néanmoins réélu en 2008, au prix de fraudes importantes et de promesses nationalistes qui conduiront au désastre d’août 2008, face à une opposition pratiquement criminalisée.

 

Alors que les ONG occidentales commencent même à point les entorses de plus en plus graves aux droits de l’Homme en Géorgie, que le pays et l’Etat sont ruinés, que la corruption réapparait, un scandale éclate en 2012 suite à la fuite de vidéos montrant les tortures pratiquées en prison.

 

De la chute de Saakachvili à l’avènement de la première fortune du pays : tout changer pour que rien ne change

 

C’est le coup de grâce pour le régime de Saakachvili, qui vacille aux élections législatives d’octobre 2012. Alors que Saakachvili, ne pouvant de présenter pour un troisième mandant présidentiel, avait fait modifier la constitution afin de donner la majorité des pouvoirs au premier ministre, c’est finalement le milliardaire Bidzina Ivanichvili, étant parvenu à réunir une coalition hétéroclite d’opposants, qui hérite du poste.

 

Né en Géorgie soviétique, Ivanichvili fait partie des « oligarques » qui ont accumulé une fortune colossale en Russie et dans les autres Etats d’ex-URSS dans les années 1990 en rachetant à vil prix les fleurons de l’industrie soviétique bradés par des dirigeants corrompus et opportunistes.

 

Devenu milliardaire en ruinant la métallurgie soviétique, puis en trustant le secteur bancaire russe dans les manipulations interlopes qui caractérisent les années Eltsine, il échappe au sort grotesque de ses comparses Mikhaïl Khodorkovski et Boris Berezovski en vendant ses actifs russes au début des années 2000 lorsque s’installe le pouvoir poutinien et revient en Géorgie pour sponsoriser le régime de Saakachvili dont il finance sur ses deniers propres les mesures clientélistes : financement des écoles et des hôpitaux abandonnés par le budget public, équipement et nourriture des soldats conscrits, paiement des traitements non versés des fonctionnaires.

 

A la tête de la 153e fortune mondiale – 6,4 milliards de dollars – dans un Etat où plus du quart de la population vit sous le seuil de pauvretéet où dix ans de capitalisme sauvage ont exacerbé les inégalités, Bidzina Ivanichvili, qui a rompu avec Saakachvili à la suite de la répression des manifestations de 2007 et s’est fait construire un palais à Tbilissi en face de la présidence, est ainsi devenu un Etat dans l’Etat.

 

C’est ainsi que, au prix de la campagne électorale la plus chère de l’histoire des pays d’ex-URSS, il a pu être élu premier ministre, profitant de sa position pour emprisonner les tenants de l’ancien pouvoir.

 

Alors que le mandat présidentiel de Saakachvili a pris fin ce mois-ci, Ivanichvili a fait élire son candidat à la présidence : Guiorgui Margvelachvili. Ivanichvili, désormais, peut se retirer de la vie publique qu’il apprécie si peu et placer ses pions.

 

Si, le jour de son investiture, le nouveau président a assuré qu’il était urgent de restaurer les relations avec la Russie, rompus depuis 2008, le successeur d’Ivanichvili au poste de premier ministre, Irakli Garibachvili, s’est empressé de préciser que « l’intégration dans l’UE et l’OTAN demeurent la priorité absolue du gouvernement géorgien ».

 

 

Au Caucase aussi, il faut que tout change pour que rien ne change.

Retour à l'accueil