Haiti: Obama et l'impérialisme humanitaire
21 janv. 2010Obama et l'impérialisme humanitaire
par Tommaso Di Francesco
dans Il Manifesto du 17 janvier 2010
Traduit par JC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
« Que fait Obama, le premier président noir des Etats-Unis? », demande face à la caméra un jeune homme parmi les survivants désemparés qui errent dans l'enfer de Port-au-Prince dévasté par une catastrophe qui n'a pas d'égal. Il faudrait répondre que ce jeune ne sait pas encore ce qu'a décidé Obama, il ne peut pas le savoir. Ou alors, il ne le sait que trop bien, et s'interroge sur les limites de cette intervention.
Parce qu'Obama en a fait beaucoup, peut-être trop: il a parlé deux-trois fois à la Maison blanche, la dernière fois il y est apparu accompagné de ses ministres, rangés sur le côté de la tribune, cela n'était même pas arrivé pour annoncer sa décision d'intensifier la guerre en Afghanistan. Et il a pris la décision d'envoyer 6 000 marines, et tout de suite après d'en ajouter 10 000 autres, presque la moitié de ceux qui partent en guerre pour Kaboul. Là-bas il y a le terrorisme – sans le nommer – de al Qaeda à combattre, ici il y a le séisme, c'est-à-dire la terreur de la nature aidée par la destruction environnementale causée par l'homme, la terreur de la mort due à la catastrophe naturelle, de la faim, du désespoir. Et dans le plus parfait style présidentiel américain, il a nommé responsables de la task force pour Haïti les deux anciens présidents, Bill Clinton – protagoniste des défaites politiques de l'Amérique dans la gestion de la crise haïtienne de 1994 et d'après – et même George W. Bush, dont tout le monde se rappelle comme le « grand expert » des catastrophes naturelles dans l'affaire de l'ouragan Katrina et de ses conséquences meurtrières à la Nouvelle-Orléans.
Ainsi, dans ce que certains voudraient voir comme une grande hétérogénèse des fins où un gigantesque appareil de guerre serait désormais à la disposition des forces du bien, arrivent déjà à Haïti les premiers milliers de militaires. Quand on aurait besoin de 16 000 médecins, infirmiers, ingénieurs, psychologues, boulangers et cuisiniers. Alors que ces marines ont tous les mêmes peintures de guerre, sur leurs casques voyants ils portent encore la lumière des visées laser de leurs armes ultra-sophistiquées, tout en portant à l'épaule de volumineuses mitrailleuses. S'il en arrivait 16 000, il faudrait des montagnes de ravitaillement seulement pour que survivent les soldats américains (quatre repas par jour, de l'eau, des vivres, du matériel de santé, des provisions, des tentes pour dormir). L'organisation de guerre, dira-t-on, servira finalement aux civils et, entre-temps, elle servira tout de suite à disperser les mal-intentionnés qui attaquent à la machette les aides qui doivent être protégées – et aux révoltes des pauvres contre les quartiers des riches intacts malgré le séisme, comment y répondront les soldats américains, avec des bombardements?
Ce partage des tâches – ou ce double jeu? – entre militaires et civils se révèle inutile et n'a même pas été payant dans les zones de guerre afghanes et irakiennes. Encore moins à Haïti, ou plus qu'un corps expéditionnaire militaire, c'est d'une police internationale rompu à l'exercice qu'il faudrait. Mais personne ne met en évidence le fait que nous nous trouvons face à une énième occasion perdue: celle de restituer le pouvoir politique, son caractère central, son rôle et sa capacité d'intervention aux Nations Unies, par ailleurs touchée à Haïti par les effondrements de bâtiments, car elle y est présente avec ses propres structures et, à cette heure, malgré tout, ce sont presque les seuls avec le PAM et les médecins de l'OMS à porter véritablement secours à la population.
Il existe, malheureusement, une géopolitique des catastrophes. Cela valait pour le désormais plus qu'oublié tsunami qui a ravagé le sud-est asiatique il y a seulement cinq ans. Et cela vaut toujours, avec les Etats-Unis qui ont décidé une « intervention militaire contre le séisme »: ce n'est pas un paradoxe, car les choses sont bien ainsi. Se pourrait-il que dans un an, quand on parlera beaucoup moins de la tragédie de Haïti, nous ayons en plus, à côté des dizaines de milliers de fosses communes, quelques bases militaires américaines placées stratégiquement à Haïti – si ce n'est la 51ème étoile de l'Union – entre le Vénézuela et Cuba, aux portes de Guantanamo, et engagées dès maintenant dans le contrôle de la dangereuse émigration des désespérés fuyant les décombres du séisme?
Ne nous faisons pas d'illusions: sans la centralité d'une organisation humanitaire internationale avec laquelle on peut construire un véritable pouvoir d'intervention civil, ce que seul l'ONU peut être – et qui est le seul à avoir effectivement apporté 550 millions d'aides civiles – le besoin d'aides pour survivre ne peut que créer la subordination et, à Haïti, cela ne peut qu'aboutir à reproduire une soumission à l'impérialisme humanitaire, aux politiques économiques de « thérapie de choc » et à ceux qui en tirent les ficelles.
Site de L'Ernesto: http://www.lernesto.it/
Site de Il Manifesto: http://www.ilmanifesto.it/
Commenter cet article