L'Union Européenne et les pays de l'Est: intégration ou annexion?



par Andrea Catone, de la direction du Parti de la Refondation Communiste (PRC)



dans la revue italienne Marxismo Oggi



Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/



La crise révèle au grand jour le rapport de domination/dépendance. Vingt ans après la chute du mur de Berlin, les puissances occidentales sont arrivées à annexer de vastes territoires regroupant une population de 100 millions de personnes, à les intégrer dans ses institutions et dans le marché commun européen. Nous sommes en aucun cas confrontés à l'unification de pays mis sur un pied d'égalité, mais nous sommes face à une expansion du noyau dur de l'UE vers l'Est, à une conquête et une annexion réalisée avec les armes de l'impérialisme moderne. Comme la RDA n'a pas « fusionné » avec l'Allemagne de Bonn, mais a été annexée par elle dans un rapport de dépendance et de subordination, avec un processus dans lequel aucune nouvelle Constitution n'a fourni la base du nouvel État, dans lequel s'est maintenue la Loi fondamentale de la RFA.



En mars de cette année, Olli Rehn, commissaire européen à l'élargissement, dans la préface d'une brochure de propagande rédigée par la Direction Générale de la Commission à l'élargissement, annonçait triomphalement:



« L'année 2009 marque un double anniversaire historique. A l'automne, cela fera déjà vingt ans que le mur de Berlin est tombé. En mai prochain, nous célébrons le cinquième anniversaire de l'élargissement de l'Union Européenne, qui aura permis de réunifier l'Europe de l'Est et l'Europe de l'Ouest. Durant cinq ans, l'élargissement de l'UE a bénéficié aussi bien aux citoyens des anciens Etats membres qu'à ceux des nouveaux. Sur le plan économique, l'élargissement a offert de nouvelles opportunités pour l'exportation et les investissements, créant ainsi de nouveaux emplois pour les citoyens des anciens Etats membres, tout en améliorant les conditions de vie dans les nouveaux Etats membres. »1



La préface est rythmée par l'annonce de chiffres exaltants:



« Le commerce entre les anciens et les nouveaux membres a pratiquement triplé en moins de 10 ans (de 175 milliards d'euros en 1999 à environ 500 milliards d'euros en 2007. La multiplication par cinq du commerce entre les nouveaux Etats membres eux-mêmes est encore plus éloquente (il est passé de 15 à 77 milliards d'euros durant cette même période). C'est un facteur clé qui a contribué à une solide croissance annuelle de l'emploi de 1,5% dans les nouveaux Etats membres au cours de la période entre leur adhésion en 2004 et l'éclatement de la crise financière. (…) L'intégration dans un marché intérieur de plus de 100 millions de consommateurs ayant un pouvoir d'achat en hausse a accru la demande de biens de consommation fabriqués dans les entreprises des anciens Etats-membres contribuant à préserver et à créer des emplois au niveau local. De même que chaque machine vendue en Pologne par une entreprise allemande offre un bénéfice pour les citoyens allemands, chaque transaction effectuée par une banque hollandaise dans les nouveaux Etats membres bénéficie à l'économie hollandaise dans son ensemble »2



Après la promesse des lendemains qui chantent, les peuples de l'Est déchantent



Vingt ans après la chute du Mur de Berlin, les puissances capitalistes occidentales ont réussi à annexer de vastes territoires regroupant une population de 100 millions de personnes, à les intégrer dans ses institutions et dans le marché unique européen. Et on envisage à court terme l'entrée d'autres pays, en premier lieu les « Balkans occidentaux » (c'est-à-dire les petits Etats issus du démembrement de la Yougoslavie martyrisée, et l'Albanie3), ensuite la Turquie. Donc, un bilan enthousiaste du « grand élargissement » de l'UE qui ouvre la voie à des adhésions ultérieures de pays qui tapent avec insistance à sa porte, comme si c'étaient les portes du paradis.



Les avantages, selon la brochure de propagande, seraient réciproques, tant pour les anciens membres que pour les nouveaux arrivants. Toutefois, d'autres sources officielles, de la Banque centrale européenne, du FMI, laissent entendre une toute autre musique vis-à-vis de la grande crise capitaliste. Les « lendemains qui chantent » promis par l'élargissement laissent place au tableau d'une région sévèrement touchée par la crise, même après les résultats moins négatifs du second trimestre 2009:



« Les principales économies d’Europe centrale et orientale appartenant à l’UE, à l’exception de la Pologne, ont enregistré un recul significatif du PIB en volume au premier trimestre 2009. Sur la même période, le PIB en volume s’est contracté en rythme trimestriel de 2,5 % en Hongrie, de 3,4 % en République tchèque et de 4,6 % en Roumanie. (…) Parmi les autres pays de l’UE, ce sont les États baltes qui ont enregistré le plus fort recul de l’activité économique au cours des derniers trimestres. Ces pays ont accumulé, lors des années récentes, d’importants déséquilibres internes et externes. (…) Ces derniers trimestres, une hausse prononcée du taux de chômage, à des niveaux proches de 15 %, a contribué au recul de la consommation. (…) En revanche, en Bulgarie, jusqu’ici moins affectée par la crise que les autres petites économies d’Europe centrale et orientale, certains indicateurs conjoncturels (comme les ventes au détail et la confiance dans le secteur industriel) se sont encore détériorés ces derniers mois.  »4



La crise frappe plus fortement, certes de manière différenciée selon les pays, les économies des soi-disant « pays émergents européens », révélant toute la fragilité des taux de croissance relativement élevés des années précédentes, qui se transforment aujourd'hui en taux négatifs, avec une forte augmentation du chômage et le risque de banqueroute.



Les causes de la crise à l'Est: des économies dépendantes et subordonnées aux grands groupes occidentaux



Une des causes – si ce n'est la principale – est clairement à chercher dans les froids rapports entre grands centres de la finance internationale, dans la dépendance du système bancaire et industriel des nouveaux Etats-membres (et ceux qui sont sur le point de le devenir) vis-à-vis des grands groupes capitalistes occidentaux. « La plupart des pays émergents européens sont fortement dépendants des banques d'Europe de l'Ouest, qui possèdent la grande majorité des banques de ces pays » - retrouve-t-on dans le rapport du FMI d'avril 2009, craignant la possibilité d'un effet boomerang sur les grandes banques d'Europe de l'Ouest, fortement exposées au risque d'insolvabilité des « pays émergents » débiteurs: « les maisons mères sont en grande partie concentrées dans quelques pays (Autriche, Belgique, Allemagne, Italie et Suède), et, dans certains cas, les créances des banques d'Europe occidentale vis-à-vis des pays émergents européens sont de grande importance rapportés au PIB du pays d'origine (Autriche, Belgique et Suède) »5Les banques créancières ont fermé le robinet du crédit, laissant les nouveaux arrivants en rade, avec de lourdes conséquences sur toute leur activité économique:



« Les pays émergents d’Europe ont été très durement touchés par le repli des flux internationaux bruts de capitaux et la fuite devant le risque. Nombre d’entre eux étaient fortement tributaires des apports de capitaux des banques occidentales pour soutenir localement l’expansion du crédit. Les engagements internationaux intra-européens des banques étaient considérables et, dans les pays émergents d’Europe, beaucoup de banques étaient détenues par des établissements étrangers en difficulté. La situation s’est brutalement dégradée à l’automne 2008 : on a observé une hausse généralisée des marges sur les titres souverains et les monnaies se sont rapidement dépréciées dans les pays dotés de régimes de change souples. Le reflux de la demande d’importations dans les pays avancés, conjugué à l’effondrement des prix de l’immobilier, à la pénurie de crédit et à la dépréciation des monnaies dans un contexte d’asymétrie prononcée des bilans, a entraîné des ajustements très brutaux, voire de véritables crises dans certains pays. Face à l’effondrement des exportations et de la production et à la diminution des recettes publiques, plusieurs pays ont reçu une aide du FMI et d’autres institutions financières internationales pour fi nancer leur balance des paiements. »6



Le bulletin d'Octobre 2009 de la Banque d'Italie résume la situation de cette manière:



« La récession se poursuit dans la plupart des pays d'Europe centrale et orientale, qui ont énormément souffert de la crise à cause de l'ampleur des déficits des comptes courants et de leur dépendance vis-à-vis des financements étrangers. La récession en 2009 sera particulièrement forte dans les pays Baltiques, en Roumanie et en Bulgarie (avec des taux compris entre – 7 et – 19% »7



Annexion de la RDA et colonisation de l'Europe de l'Est



Ce ne sont pas des marxistes, mais les institutions financières les plus importantes, celles qui décident du destin du monde et de milliards d'êtres humains, à inscrire en toute lettre que les rapports économiques entre les Etats membres de l'UE ne sont pas des rapports d'égal à égal, mais reposent sur la dépendance des nouveaux arrivants d'Europe centrale et orientale qui faisaient partie du COMECON jusqu'en 1989 vis-à-vis des banques occidentales. Nous sommes confrontés, donc, non pas à une unification de pays égaux, mais à une expansion du noyau fort de l'UE vers l'Est, une conquête et une annexion avec les armes de l'impérialisme moderne. Comme la RDA en 1990 n'a pas été « unifiée » avec l'Allemagne de Bonn, mais annexée par celle-ci avec un rapport de dépendance et de subordination (ainsi le nouvel Etat n'a reposé sur aucune nouvelle Constitution mais bien sur la Loi fondamentale de la RFA), ainsi les pays qui en 2004 et 2007 sont entrés dans l'UE, et ceux des Balkans occidentaux qui s'apprêtent à y entrer dans les prochaines années, se sont transformés en « colonies internes »: un marché tout ouvert aux investissements de capitaux, avant tout du capital bancaire – qui contrôle aujourd'hui pratiquement toute la vie économique de ces pays – et du capital industriel, pour y implanter des productions (dans de nombreux cas en les délocalisant depuis l'Occident) à faible contenu technologique8, tout en utilisant une force de travail sous payée et en bénéficiant d'un régime fiscal très avantageux; ainsi qu'un marché et des débouchés pour les marchés « occidentaux ».



En analysant le poids économique des 27 pays membres de l'UE (dont 16 ont adopté la monnaie unique), on remarque de grandes disparités. Le pays le plus puissant par le PIB et la population est l'Allemagne, avec un PIB en 2007 de 2 422, 9 milliards d'euros, soit 26,9% du PIB global de l'UE (12 353 milliards d'euros). La France (21%), l'Italie (17,2%), l'Espagne (11,7%) constituent les économies les plus solides de la zone euro, tandis que le Royaume-Uni (16,6%) est de loin la principale économie de l'UE en dehors de la zone euro.9



Les nouveaux arrivants entre 2004 et 2007 étaient, à l'exception de Malte et de Chypre, des économies socialistes jusqu'en 1989, que la grande bourgeoisie « européiste », avec sa politique d' « élargissement », a eu la capacité de transformer, dans le temps historiquement plutôt bref d'une décennie, en « économies de marché », compatibles et intégrées au capitalisme occidental. Il s'est agi toutefois d'une intégration subordonnée et dépendante du grand capital financier européen. Le poids total des nouveaux arrivants d'Europe centrale et orientale est plutôt faible: tout en pouvant compter sur une population qui représente plus de 20% de celle de l'UE (102,2 millions sur 496 millions), la part du PIB des 10 anciens pays socialistes dans le PIB total de l'UE ne dépasse pas les 7% et seules la Pologne (avec 2,5%,) la République Tchèque et la Roumanie (toutes les deux avec 1%) dépassent les 1%.



Un projet qui vient de loin: une transition vers le capitalisme à l'Est dans les intérêts des capitalistes de l'Ouest



Mais il se s'agit pas seulement d'être les parents pauvres. La conception d'une intégration/subordination de l'Europe centrale et orientale – intégration qui prévoit aussi la soumission complète des Balkans (et ceci explique la guerre de 1999 contre la Serbie qui a eu le tort de s'y opposer) et la perspective aussi de ne faire qu'une bouchée de l'Ukraine (peut-être par le biais des « révolutions colorées ») - vient de loin. Planifié dans les centres d'études de la Nomisma et de l'Union des Banques Suisses, cela été explicité en toutes lettres à la fin des années 80, déjà avant la « chute du mur de Berlin ». De Benedetti à Giscard d'Estaing, on parlait de « plan Marshall » financé par la Communauté Européenne pour les pays de l'Est pour trouver des nouveaux marchés pleins d'opportunité pour « nos capitalistes », des marchés sans lesquels le système industriel capitaliste n'aurait plus pu croître.10 « Il est dans notre intérêt égoïste qu'il y ait une évolution sociale, culturelle, politique, économique de la partie orientale du continent. Cela favorisera notre propre développement », a déclaré en octobre 1989 le ministre de Michelis.11



C'est l'Allemagne de Kohl qui a été la principale bénéficiaire et le principal artisan de l'expansion à l'Est. Celle-ci a imposé l'incorporation de la RDA (avec laquelle, encore le 22 décembre 1989, la CEE commençait à négocier la signature d'un accord commercial!), qui entre automatiquement dans la CEE et l'OTAN. L'OSCE, organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, à la conférence de Paris du 21 novembre 1990 annonce la fin de la division de l'Europe. La Charte de Paris crée « un bureau des institutions démocratiques » qui supervise la mise en œuvre des engagements pris de « pluralisme » par les nouveaux régimes. Le 22 juin 1993 les chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Copenhague décident l'élargissement de l'UE aux Etats d'Europe centrale et orientale, fixant les conditions générales des futures adhésions: institutions stables, qui garantissent la « démocratie », « l'État de droit », les « droits de l'homme », et le respect des minorités nationales; « une économie de marché » capable de s'insérer dans la concurrence européenne; intégration et application des acquis communautaires et adhésion aux objectifs de l'union politique et économique. Le « pacte de stabilité » en Europe, proposé par la France et adoptée à la conférence de Paris les 26 et 27 mai 1994, a pour objectif explicite de favoriser l'adhésion des Etats d'Europe centrale et orientale prêts à régler leurs différends bi-latéraux relatifs aux frontières et aux minorités.12



Dix ans de privatisations, dix ans de régression sociale



Entre 1991 et 1999, avec la thérapie du sang et des larmes, cela a été le temps des privatisations: en moyenne la part apportée par le secteur privé au PIB est la même que celle des autres pays européens, mais en Hongrie elle atteint même les 90%. Les restructurations dans les campagnes ont réduit la population agricole à moins de 10% de la population active. Le commerce extérieur a été complètement réorienté après la disparition de l'ancienne division du travail dans le camp socialiste. 13La première décennie de transition du système socialiste, basée sur un secteur dominant et essentiel reposant sur la propriété d'Etat et la planification, à des économies de marché reposant sur la propriété privée et la dérèglementation néo-libérale, a été marquée par les effets désastreux des « thérapies de choc » qui, faisant fi des différences et des particularités des pays de l'ancien COMECON, ont été mises en œuvre, suivant les recettes du FMI. De manière plus ou moins violente, la grande partie de la population a été privée du système de protection sociale dont elle jouissait et a été contrainte de se mettre au pas des nouveaux seigneurs de l'Ouest, qui avaient pris possession des meilleurs industries et démantelé les industries locales, toutefois viables, pour imposer de manière vorace les propres marchandises sur des nouveaux marchés ouverts grâce aux « révolutions » de 1989 (dans la zone est de Berlin déjà en 1991 on ne trouvait plus de bière des industries de l'Est, à Bucarest les excellents jus de fruit locaux ont été progressivement remplacés par des jus de la Parmalat).



En 1999, pour le dixième anniversaire de la « chute du Mur », tous les indicateurs des pays de l'Est indiquaient que, dix ans après le renversement du socialisme, les conditions de vie des populations et de ces pays étaient pires qu'en 1989. Il n'y avait pas un seul indicateur fondamental, dans aucun des pays qui ont choisi la voie de la « transition du socialisme au capitalisme », qui ait manifesté une évolution positive depuis 1989... excepté le taux de chômage! « Dans chaque pays sans exception (…) la mutation économique s'est accompagnée d'une récession profonde et dans de nombreux cas prolongée (Kornai parle à juste titre de récession transformationnelle), de 20% du PIB en Pologne, le pays le moins touché, de 40% en moyenne dans l'ancienne URSS, avec des pointes à 65%, par exemple en Géorgie et en Arménie (…) non seulement il y a eu une véritable récession, mais elle a été bien pire que la récession mondiale de 1929 »14, écrivait Nuti, faisant le parallèle entre le passage à « l'économie de marché » et « la peste noire » d'il y a cinq siècles, à la différence près que « la peste ne faisait pas seulement diminuer la production mais aussi la population, donc elle ne faisait diminuer ni le revenu ni la consommation par tête comme cela s'est passé sous la transition ».



Intégration européenne et intégration atlantique: les deux faces d'une même pièce



Pour que l'on puisse mettre en œuvre cette « thérapie de choc », dont on pouvait attendre qu'elle provoquerait de fortes tensions sociales et des crises politiques fragilisant les nouvelles classes dirigeantes, il fallait un contrôle politique et militaire strict sur ces pays. L'intégration de ces économies à l'UE a été précédée par l'intégration politico-militaire de ces pays à l'OTAN, qui devait être réalisée de gré ou de force. Ceux qui résistent sont bombardés (agression et destruction militaire de la Yougoslavie au printemps 1999). On installe ainsi un condominium concurrentiel sur les anciens pays socialistes entre les Etats-Unis, qui ont une force militaire sans équivalent, et les pays du noyau fort européen, en premier lieu l'Allemagne, en collaboration (mais avec des différences) avec la France et en concurrence avec le Royaume-Uni, allié fidèle des Etats-Unis et à bien des égards sa « cinquième colonne » au sein de l'UE.



La conquête et l'assimilation des anciens pays socialistes d'Europe centrale et orientale et balkanique est un modèle classique de politique impérialiste et de « division du travail » entre puissances impérialistes: pénétration économique et pénétration militaire se combinent en une action commune, et dans le même temps emprunte de rivalités, notamment entre les monnaies américaines et européennes. Au lendemain de la chute du mur, le président américain George Bush, dans son intervention au sommet de l'OTAN à Bruxelles le 4 décembre 1989, annonce clairement que les Etats-Unis resteront une puissance européenne. La stratégie d'élargissement à l'Est de l'OTAN est présentée au sommet de Londres en juillet 1990, quand elle est acceptée au sein de l'OTAN la nouvelle Allemagne unifiée et est réaffirmée aux sommets de Rome (novembre 1991) et d'Oslo (juin 1992), quand l'OTAN se met à disposition pour d'éventuelles actions de « pacification » requises par le conseil de sécurité de l'OTAN ou par la CSCE, jusqu'au sommet de Bruxelles (janvier 1994), lors duquel est entérinée la politique d'élargissement à tous les pays d'Europe centrale et orientale, y compris les morceaux de la Yougoslavie en voie de démembrement, laboratoire martyrisé et sanglant dans lequel ont été attisées les haines ethniques, ont été armées les forces séparatistes, afin de créer le casus belli qui pouvait justifier la « médiation » et l'intervention militaire américaine, de la Krajne serbe en Croatie, à la Bosnie – premier test pour les opérations de l'OTAN au-delà de son territoire – à la Macédoine, à l'Albanie, au Kosovo.15



Le processus d'intégration/subordination des anciennes économies socialistes en transition au sein de l'UE a été formidablement accéléré justement à partir de la guerre contre la Serbie en 1999, au fur et à mesure que les Etats-Unis, en imposant leur suprématie militaire, montraient qu'ils étaient les seuls à vouloir et à pouvoir intervenir militairement en Europe. La période entre 1999 et 2004 – année du plus grand élargissement de l'histoire de la communauté européenne – est celle du Grand jeu entre impérialismes franco-germano-européens et états-uniens. La politique américaine est particulièrement agressive à cette époque et vise, avec des accords militaires séparés avec les pays de l'Est candidats à l'entrée dans l'UE, à créer une « nouvelle Europe » philo-américaine, opposée à la « vieille Europe » franco-allemande. Le conflit au sein du condominium impérialiste impérialiste est devenu évident, avec une véritable tentative de diviser l'Europe, entre 2002 et 2003, quand les Etats-Unis et l'Angleterre ont agressé l'Irak, mais sans l'accord des pays européens du noyau dur franco-allemand, qui a réussi, grâce à l'action tenace du ministre des Affaires Étrangères françaises de Villepin, également à éviter qu'un verdict favorable ne soit rendu au Conseil de Sécurité, isolant ainsi les Etats-Unis.



Entre l'agression de l'OTAN contre la Yougoslavie en 1999 et celle anglo-américaine contre l'Irak en 2003, ce qui était aussi en jeu c'étaient les rapports de force au sein de l'arène européenne. A l'interventionnisme militaire des Etats-Unis, le noyau fort de l'UE répond en relançant l'intégration accélérée de l'Est, prenant le risque de se retrouver avec des « cinquièmes colonnes » dans son enceinte. A marche forcée, pour réaliser la plus grande opération de conquête « consentie » de territoires et de populations après la seconde guerre mondiale, on a imposé aux parlements des pays candidats la transposition dans leurs législations nationales, avant même leur adhésion, plus de 470 règlements communautaires, tout en adoptant plus de 100 lois par an (sur la libre circulation des biens, les marchés publics, les assurances, la propriété intellectuelle, créant ou réformant les structures administratives appelées à appliquer les mesures communautaires, en particulier celles judiciaires). Le 13 décembre 2003 à Copenhague le Conseil européen déclare closes les négociations avec les 10 pays candidats, qui sont entrés en 2004 dans l'UE (Bulgarie et Roumanie en 2007).16





La Hongrie: tout comme les capitaux étrangers, les illusions des peuples de l'Est envers l'UE s'envolent progressivement



Parmi les anciens pays socialistes entrés dans l'Union, l'Hongrie se révèle être le pays qui a subi le plus fort contre-coup pas seulement de la crise financière actuelle, mais aussi du modèle de transition vers un capitalisme dépendant vis-à-vis de l'extérieur. Celle-ci dans les années 1990 a eu recours plus que les autres aux politiques de privatisations et de mise en conformité de ses institutions juridiques et économiques avec l'organisation capitaliste de la société (droit de propriété, garantie des investissements, droit des faillites, droit de la concurrence) conformément aux normes européennes. Elle a connu un afflux massif d'investissements. « Jusqu'à la moitié des années 1990, grâce à cette politique de « bon élève européen », ce pays peuplé seulement par 10 millions de personnes – a capté la moitié des IDE (venant de l'UE et des Etats-Unis) pour une zone économique qui comptait pourtant presque 100 millions d'habitants. Prospérité artificiel et éphémère qui aujourd'hui s'essouffle: si Budapest continue à accueillir les sièges régionaux des grandes entreprises internationales, la grande majorité du pays traverse une crise profonde. Une grande partie de l'économie du pays est dans les mains des étrangers qui souhaitent désormais récolter les fruits de leurs investissements initiaux »1770% des groupes bancaires hongrois sont détenus par de grands groupes européens, parmi lesquels Unicredit, KBC et Intesa Sanpaolo.



La tempête financière qui a ravagé le monde en septembre 2008 trouve une Hongrie où le modèle de capitalisme dépendant de l'étranger est déjà lourdement en crise. La grande crise semble lui avoir asséné le coup de grâce: en octobre 2008 elle est au bord de la faillite et doit avoir recours dans les premiers jours de novembre à la BCE (pour la première fous avec une intervention au-delà de la zone euro, avec un prêt de 6,5 milliards d'euro), au FMI (12,5 milliards d'euros) et à la Banque Mondiale (1 milliard). Mais le problème demeure, comme l'a dénoncé Gergely Romsics, chercheur à l'institut Hongrois pour les Affaires Internationales, « la dépendance excessive de la Hongrie vis-à-vis des investissements et du capital étranger dans la course au modèle de développement occidental »18Mais si le cas de la Hongrie et celui des pays baltiques, inféodés au capital scandinave, peut apparaître comme un cas limite, la question générale que la crise révèle clairement est, comme l'écrivent en toutes lettres également les journalistes que: « les systèmes économiques de pays d'Europe de l'est présentent une dépendance excessive vis-à-vis des investissements privés étrangers qui désormais, à cause de la crise financière, s'envolent progressivement ».19 Tout comme s'envolent les illusions alimentées par la douce propagande européenne.



Site de l'Ernesto: http://www.lernesto.it/

1Cfr. Bon à savoir à propos de - L’ELARGISSEMENT DE L’UE, Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, mars 2009, p. 1. http://ec.europa.eu/enlargement/pdf/publication/screen_mythfacts_a5_fr.pdf.

2Ibid, p 2-3

3Ibid, p 12-13

4Bulletin mensuel de la BCE de Septembre, p 12-13

5International Monetary Fund, 2009, Global Financial Stability Report: Responding to the Financial Crisis and Measuring Systemic Risks (Washington, April), p. 9. https://www.imf.org/external/pubs/ft/gfsr/2009/01/pdf/text.pdf.

6FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL RAPPORT ANNUEL 2009, Washington, p. 19, http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/ar/2009/pdf/ar09_fra.pdf

7Banca d’Italia, Bollettino Economico n. 58, Ottobre 2009, p. 18, http://www.bancaditalia.it/pubblicazioni/econo/bollec/2009/bolleco58

8B. Landais, A. Monville, P. Yaghlekdjan, L’idéologie européenne, Ed. Aden, Bruxelles, 2008, pp. 211-213.


9fr. European Central Bank, Statistics Pocket Book, April 2009, pp. 39 sgg.

10Cfr. W. Goldkron dans L’Espresso, 17 avril 1988

11Cfr. interview à l'Unità du 23.10.1989.

12Cfr. C. Zorgbibe, « Le «grand élargissement» de 2004, in Histoire de l’Union européenne, Albin Michel, Paris, 2005, pp. 261 267.

13Idem

14Cfr. D. M. Nuti, “1989-1999: la grande trasformazione dell’Europa centrorientale”, in Europa/Europe, numero 4/1999

15Cf La Nato nei Balcani, Editori Riuniti, Roma, 1999, en particulier Sara Flounders: “La tragedia della Bosnia: il ruolo sconosciuto del Pentagono” et Gregory Elich: “L’invasione della Krajna serba”.

16Cfr. C. Zorgbibe, op. cit.

17Cfr. L’idéologie européenne, op. cit., p. 214.

18Felice Di Leo, Ungheria: prospettive dopo la crisi finanziaria e il maxi-prestito della BCE

19Cfr. Fernando Navarro Sordo, L’Ungheria e la crisi: il cuore isolato dell’Europa

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