La grève paye en Pologne, les mineurs font reculer le gouvernement sur la fermeture des mines de charbon
22 janv. 2015La grève paye en Pologne, les mineurs font reculer le gouvernement sur la fermeture des mines de charbon
Article AC pour http://www.solidarite-internationale-pcf.fr/
Un symbole, dans un pays à l'avant-garde de la réaction patronale. Les mineurs polonais ont mis en échec le plan de restructuration qui menaçait des milliers d'emplois, l'avenir du secteur charbonnier en Pologne et celui de toute une région ouvrière.
Une semaine de grève, et la détermination des mineurs a fait plier un gouvernement, et son chef Eva Kopacz qui se voulait la « Margaret Thatcher polonaise ». La saison 2014-2015 en Pologne ne ressemblera pas au 1984-1985 en Grande-Bretagne.
5 000 emplois menacés dans la plus grande entreprise minière d'Europe
Le gouvernement de droite libéral-catholique avait annoncé fin 2014 la fermeture de 4 mines appartenant au géant public Kompania Weglowav (KW) – première entreprise du secteur en Europe – menaçant les emplois de 5 000 des 49 000 de l'entreprise.
La grève a commencé à la base dans les 4 mines menacées, en Silésie. 1 000 mineurs ont refusé de remonter à la surface le 10 janvier. La grève s'est étendue par la suite à 12 mines de l'entreprise dans la région.
Le bras de fer continuait pourtant, le 16 janvier le gouvernement faisait passer au Parlement (Sejm) le projet de loi prévoyant la liquidation des 4 mines. La grève est alors étendue par les syndicats – Solidarnosc et OPZZ – aux 14 mines de l'entreprise, et à celles du groupe privé JSW.
Une semaine de grève, le spectre de la grève générale : le gouvernement recule
Le gouvernement espérait dans un premier temps sur la division entre mineurs touchés par la restructuration pointés comme les brebis galeuses de l'entreprise et ceux conservant leur emploi, sur la division entre mineurs présentés comme « privilégiés » et les autres corporations.
Ce fut peine perdue. Un sondage montrait que 68 % des Polonais soutenaient la grève, contre 15 % la désapprouvant. Les syndicats des chemins de fer, ceux de l'énergie ont soutenu officiellement la mobilisation, proposant de la rejoindre ce mardi.
Face à la menace d'une grève générale, le gouvernement a reculé, la Thatcher polonaise a enterré la hache de guerre ce 17 janvier. Le plan de restructuration ne conduira pas à la fermeture immédiate des 4 mines, ni au licenciement de 5 000 employés.
Toutes les hypothèques ne sont pourtant pas levées. Le syndicat Solidarnosc a présenté comme une victoire une possible reprise des 4 mines par des groupes publics de l'énergie, comme PGE et Tauron.
L'éventualité d'une fusion entre plusieurs mines et d'une vente bradée (voire « à 1 zloty symbolique ») à des investisseurs privés n'est pas à exclure.
La mobilisation des bases dépasse un Solidarnosc discrédité
Cette victoire a néanmoins révélé les capacités de mobilisation de la classe ouvrière polonaise, notamment dans son bastion industriel de Silésie, où sont concentrées 9/10 ème des mines.
Une détermination qui a dépassé les cadres de l'organisation Solidarnosc, hier syndicat de masse mais sur des bases réactionnaires soutenu par l'Eglise et les néo-conservateurs anglo-américains, aujourd'hui organisation moribonde de 400 000 syndiqués (800 000 en 2010, 10 millions en 1981), discréditée par sa collaboration avec les politiques libérales des gouvernements successifs.
Pour les mineurs polonais, la trahison a été lourde. Il y a aujourd'hui 100 000 mineurs en Pologne, il y en avait quatre fois plus en 1989. La seule Silésie comptait 100 mines à la fin de l'ère communiste, elles ne sont plus que 35 aujourd'hui, elles devraient être moins de 10 en 2030.
Solidarnosc a accompagné la fermeture de la plupart des mines dans les années 1990, tout comme elle a laissé faire la privatisation partielle en 2008, qui a conduit à l'émergence de deux groupes privés majeurs : Bogdanka et JSW qui contrôlent désormais un tiers du secteur.
Les contradictions de la classe dirigeante polonaise face à un secteur-clé
Dans une large mesure, le succès réel de la grève a pu être objet d'une mise en scène entre gouvernement de droite et syndicat officiel, accordant un répit au premier avant les législatives d'octobre, et un semblant de crédit au deuxième pour continuer sa ligne de collaboration de classe.
Toutefois, la décision du gouvernement polonais révèle aussi ses propres contradictions face à la restructuration d'un secteur déficitaire et qu'il souhaiterait d'un côté liquider pour les sites non-rentables, de l'autre ouvrir à une privatisation pour ceux potentiellement profitables.
Selon les chiffres du gouvernement, les 4 mines en question auraient accumulé des pertes de 500 millions d'€, 80 % des pertes de l'entreprise publique KW, qui a subi 55 millions de pertes l'an dernier et dont, selon son PDG, seules 3 des 14 mines sont rentables.
Le gouvernement met en avant le fait que, pour l'année 2013, les coûts de production ont augmenté de 5 % alors que les prix de vente ont chuté de 13 %, affectant une économie en pleine croissance (3,5 % en 2014).
La Pologne mise sur sa relation spéciale avec l'Allemagne qui y délocalise une partie de son industrie profitant de son faible niveau de protection sociale et de condition salariale, ainsi que sur le maintien hors de la zone euro.
La contradiction numéro 1 pour la Pologne, c'est celle de la dépendance de la croissance économique polonaise envers le charbon qui alimente 92 % de la production d'électricité, 89 % de celle de chauffage.
La Pologne reste le 9 ème producteur du monde (2 ème d'Europe) – même si la production a chuté depuis 1989 – et le 10 ème consommateur au monde. Restructurer, liquider une partie du secteur, c'est le risque de devoir importer des énergies de substitution, creusant le déficit commercial.
D'où la contradiction numéro 2, la crainte dans ce scénario de passer sous une dépendance énergétique accrue vis-à-vis de la Russie, dont la Pologne dépend pour 80 % de ses importations de gaz, et contre qui elle mène une politique étrangère de plus en plus hostile.
Donald Tusk, président de l'UE traité de « menteur et lâche »
Le plan du gouvernement – en collaboration avec l'UE, dont le nouveau président est … le polonais Donald Tusk – est d'abord de forcer la restructuration des quatre grands groupes énergétiques polonais en deux monopoles compétitifs au niveau européen, et d'utiliser la restructuration du secteur minier à cette fin. Ce à quoi le syndicat Solidarnosc semble disposé à collaborer.
Que cette reculade soit pour partie un tour de passe-passe pour laisser l'entreprise publique minière filer vers une faillite contrôlée, et engager un plan ultérieur de privatisation, peut-être moins frontal que par le biais de vente au cas par cas, reste une hypothèse tout à fait envisageable.
Le leader du syndicat Solidarnosc ait néanmoins été contraint de dénoncer le président de l'UE Donald Tusk de « menteur et de lâche » pour avoir défendu le plan de restructuration. Cela en dit long sur l'état d'esprit de la classe ouvrière polonaise dans un pays où le SMIC est à … 350 €.
Quelle que soit la complexité des calculs de la classe dirigeante polonaise, le degré de corruption des syndicats hérités de la lutte anti-communiste, cette victoire contre le gouvernement érigé en exemple au niveau européen doit être prise comme elle est : une source d'espoir pour la classe ouvrière du reste de l'Europe, d'abord de France.
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