Le Parti communiste d'Equateur, en phase de reconstruction, et sa position d'allié critique de Rafael Correa et du processus de « révolution citoyenne »
07 mai 2011
Equateur : la révolution « citoyenne » et les communistes
Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
Par Ivan Pinheiro, secrétaire-général du Parti communiste brésilien
Je me trouvais récemment à Guayaquil, représentant le PCB au XVème Congrès du PCE (Parti communiste d’Equateur), fondé en 1926. Ont été débattus lors de ce Congrès principalement le programme et le statut du Parti, sans mettre de côté les questions tactiques et stratégiques, qui couvrent les principaux thèmes.
Le moment le plus émouvant de l’ouverture fut l’hommage rendu au jeune Edwin Perez, ancien secrétaire-général de la JCE (Jeunesse communiste d’Equateur), assassiné récemment par un militant de droite, au beau milieu d’une élection étudiante.
Le PCE a un poids raisonnable dans le mouvement de masse. Il dirige une des quatre centrales syndicales (CTE – Confédération des travailleurs d’Equateur) ; il a une présence importante dans la FEI (Fédération équatorienne des Indigènes) et dans le Front unie des femmes et conserve la JCE (Jeunesse communiste d’Equateur) ;
Le PCE n’est pas enregistré sur les listes électorales, en raison des difficultés imposées par la législation.
Je fus impressionné par les possibilités et les perspectives du PCE, en phase de reconstruction, comme le PCB et d’autres organisations révolutionnaires.
A attiré particulièrement mon attention l’importance présence prolétarienne parmi les délégués, ainsi que celle des militants syndicaux et sociaux, des jeunes, des indigènes et des femmes. Comme dans presque tous les Partis communistes d’Amérique latine, les deux plus gros contingents, par tranche d’âge, sont celui des militants jeunes, de moins de 30 ans, et celui des plus de 60 ans. Cela a à voir avec les sanglantes dictatures des années 70 et 80 dans la région, la clandestinité des Partis communistes, les divisions entre les communistes et les vicissitudes par laquelle est passée la construction du socialisme en Union soviétique et en Europe de l’Est.
Les débats se déroulèrent dans une ambiance unitaire et fraternelle, avec les divergences exposées avec fermeté et respect des communistes entre eux, sans groupes ni tendances.
Le rôle de la jeunesse dans la reconstruction du PCE m’est apparu décisive, y compris dans le dosage de la tactique et de la stratégie. Les communistes les plus jeunes n’ont pas vécu avec certains problèmes et certaines déformations qui furent communs à la majorité des Partis communistes du MCI (Mouvement communiste international), sous la direction du PCUS (Parti communiste d’Union soviétique).
Malgré le bilan historique hautement positif de ces Partis dans la lutte pour les droits du prolétariat, contre le colonialisme, contre le nazisme et le fascisme et l’impérialisme, pour le socialisme, ils ont connu le culte de la personnalité, le bureaucratisme, le dogmatisme, l’accent trop important mis sur les alliances avec les bourgeoisies nationales et la nécessité de mettre la lutte pour la paix mondiale à l’ordre du jour, au nom de la préservation de l’Union soviétique.
Il serait téméraire ici d’essayer de faire une analyse plus approfondie de la situation actuelle en Equateur. En général, le PCB connaît très peu de choses sur l’Equateur, principalement du fait que notre présence au XVème Congrès a marqué la reprise des relations bi-latérales entre nos Partis qui furent toujours distantes, comme le sont les relations entre nos deux pays d’une manière générale, peut-être en raison de l’absence de frontières et de relations sociales et culturelles plus fortes.
Mais je suis parti avec l’impression que le PCE adopte une posture correcte face à la réalité de son pays, qui est assez différente de celle du Brésil, surtout pour ce qui est du développement des forces productives et, donc, du capitalisme, et de la nature du gouvernement fédéral.
L’économie équatorienne – basée essentiellement sur l’exportation de pétrole, de fruits, de fleurs, de poissons et de céréales – est hautement dépendante de l’impérialisme, surtout de celui nord-américain, engendrant d’importantes contradictions non seulement avec le prolétariat, mais aussi avec des couches de la petite et de la moyenne bourgeoisie. Au Brésil, ces contradictions ne sont pas de la même ampleur, face à un capitalisme hautement développé et intégré au système impérialiste, en faisant partie bien que de façon subalterne, alliant rivalité et subordination.
Les conditions équatoriennes conservent des similitudes, par exemples, avec celles de Bolivie et du Vénézuela, des pays où il y a de la place pour des révolutions national-démocratiques avec un contenu anti-impérialiste, anti-monopoliste et anti-latifundiaire.
Tout comme il nous paraît juste que les communistes participent, avec indépendance politique et de façon critique, aux processus de changements en Bolivie et en Vénézuela, il nous paraît correct qu’ils fassent de même en Equateur, même si le processus dans ce pays ne présente pas encore le même degré de radicalité. Par ailleurs, dans ces trois pays, les communistes participent et luttent pour la radicalisation du processus de changements, mais ne participent pas au gouvernement ni ne le défendent de manière a-critique, brandissant bien haut le drapeau du socialisme.
Le long discours du Ministre des Relations extérieures de l’Equateur au Congrès du PCE fut très important pour comprendre le sens de l’expression « révolution citoyenne », utilisée par le gouvernement Rafael Correa. Il s’agit d’un réformisme assumé. Il se base sur ce qu’ils appellent un « socialisme du bon vivre », qui propose essentiellement l’harmonie de l’Homme avec la nature (la Pacha mama), se fondant sur des principes éthiques et humanistes, des concepts comme le « commerce juste », la défense des coopératives, des petites et moyennes entreprises, de l’agriculture familiale etc. Ils présentent ce processus comme un socialisme nouveau,le socialisme duXXIème siècle. En Bolivie, le discours est similaire, tant et si bien que Evo Morales exprime son engagement dans la lutte pour la fin du capitalisme et ne sous-estime pas la base de soutien politique que lui assure le mouvement de masses.
Mais ce qui attire l’attention en Equateur, c’est la violence de la droite politique envers le gouvernement. Comme au Vénézuela, les médias bourgeois est le principal parti d’opposition, assisté des syndicats patonaux, des partis conservateurs et des ONG financés par l’USAID, sous la direction de l’ambassade nord-américaine.
En fin de compte, Rafael Correa, malgré ses limites, a promu certains changements. Il a commencé par un audit sur la dette extérieure, qu’il a reconnu comme correspondant à 30% du total réclamé alors par les créanciers. Grâce à une Assemblée constituante libre et souveraine, indépendante du parlement, il a proposé une nouvelle constitution (promulguée en juillet 2008), avancée en termes de droits sociaux. Il a décidé du retrait de la grande base militaire des Etats-unis qui se trouvait à Manta. Il n’a pas plié devant l’Etat terroriste colombien quand il a envahi l’espace aérien de l’Equateur pour assassiner de manière lâche le commandant Raul Reyes (des FARC) et d’autres militants, dans une action en collaboration avec la CIA et le Mossad.
Correa a aussi graduellement nationalisé l’industrie pétrolière, avec la création d’un nouveau cadre régulateur, où l’Equateurrécupère sa souveraineté sur bonne partie de ses richesses et des revenus qu’il en tire. Cela a emmené des entreprises étrangères à se retirer du pays, y compris Petrobras, qui passe à tort pour une entreprise publique brésilienne, alors que la majorité de ses actions sont entre les mains du privé, échangées à la bourse de New York, et qui se comporte comme n’importe quelle multi-nationale.
Dans ce nouveau cadre, l’entreprise publique PetroEcuador va se consacrer uniquement à la gestion de la politique gouvernementale pour le secteur. Ont été créées deux entreprises publiques de plus, la Petroamazonas – qui exploitera les gisements de pétrole, y compris dans la région dont a été expulsée l’entreprise nord-américaine Oxy – et la Petropacifique, qui restera responsable pour le raffinage et la commercialisation des dérivés du pétrole.
Dans le même sens, l’Equateur a changé la subordination et la corruption avec lesquelles les politiciens bourgeois traditionnels traitaient avec les patrons étrangers, ce qui a mené en particulier à l’expulsion du pays d’Odebrecht, la plus célèbre entreprise brésilienne en Amérique latine, soutenue par le gouvernement Lula, à travers une banque publique de développement.
Mais la plus grave transgression des diktats et des intérêts de l’impérialisme fut le fait que le pays a été un des fondateurs de l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les Amériques), justement avec Cuba, le Vénézuela, le Nicaragua. Pour avoir une idée, l’adhésion à l’ALBA - qui promeut une intégration souveraine et anti-impérialiste entre les pays de la région – fut la principale raison derrière le coup d’Etat au Honduras.
En ce moment même, le gouvernement est violemment attaqué pour avoir convoqué un référendum qui se tiendra en avril, une consultation populaire avec dix questions, parmi elles des mesures contre la corruption, l’évasion fiscale, les monopoles des médias et du capital financier, et la lenteur et la complicité de la justice avec les intérêts du capital.
Une grande polémique qui s’est installée dans la société équatorienne est de savoir si il y a eu ou non une tentative de coup d’Etat et d’assassinat de Rafael Correa, le 30 septembre 2010. Tout porte à croire que, même si il y eut un plan prémédité, la droite a profité d’une rébellion de policiers pour tenter de faire avancer ses plans de coup d’Etat et d’assassinat. D’autre part, l’impression est que c’est la mobilisation des couches populaires qui soutiennent le Président qui fut décisive pour faire échec à la tentative putschiste.
Apparemment, Rafael Correa, charismatique et médiatique, a su tirer de cet épisode un grand prestige politique, qui lui a assuré le plus haut niveau d’approbation populaire depuis la prise de pouvoir et, fondamentalement, des meilleures conditions pour gouverner.
Des divers informations et articles d’opinions auxquels j’ai eu accès, il est certain que ce ne furent pas l’ensemble des couches populaires qui ont apporté leur soutien au Président, à ce moment précis. Les raisons résident dans les limites d’une révolution nationale et démocratique hégémonisée par la petite et moyenne bourgeoise et non par le prolétariat. Les changements n’atteignent pas les rapports entre capital et travail, ce qui de façon compréhensive produit un certain désenchantement de certaines couches populaires vis-à-vis de la « révolution citoyenne », en ce sens que les citoyens sont porteurs de droits formalisés dans la constitution, mais qu’ils ne ressentent aucun changement dans leurs conditions de vie.
En outre, l’Etat ne connaît pas de changements significatifs, fonctionnant comme un appareil répressif des classes dominantes et fondamentalement à leur service.
La plus grande vertu d’un processus comme celui-ci est qu’il met en évidence la lutte de classes, en opposant les intérêts du capital avec ceux du prolétariat, des travailleurs et de secteurs des couches moyennes. Cela ne se produit pas dans des processus mous, de conciliation de classe, comme au Brésil, où les gouvernements et les partis dits de gauche qui les soutiennent ne mobilisent pas les masses et n’affrontent pas idéologiquement le capitalisme, car leur objectif principal est de faire du Brésil une puissance capitaliste mondiale.
La plus grande faiblesse du processus équatorien est l’absence d’un outil politique et d’une organisation de masses qui impulse des changements dans le sens d’une révolution véritablement socialiste, qui aille dans la direction du pouvoir populaire et de la rupture graduelle avec l’Etat bourgeois.
Voilà où réside le « tendon d’Achille » du processus. Le Président se comporte comme un caudillo de gauche, dans une relation directe aux masses, sous-estimant l’importance de l’organisation et de la mobilisation populaire et de la construction d’un front révolutionnaire.
La prise du pouvoir politique par la majorité du peuple ne fut jamais et ne sera jamais une concession généreuse des classes dominantes. Le système d’exploitation qui fusionne les intérêts des soi-disant bourgeoisies nationales avec ceux de l’impérialisme ne s’effondre pas de lui-même avec le temps. Les exploiteurs ne livrent pas volontairement leur pouvoir aux exploités, même pas quand des secteurs représentatifs de ces derniers gagnent une élection, dans le cadre de la démocratie bourgeoise. Parfois, ils se voient contraints, à contrecœur, de livrer le gouvernement aux secteurs populaires, mais ces derniers n’ont conquis le pouvoir populaire que par des luttes très dures, en accumulant des forces et en frappant l’Etat bourgeois, en usant des méthodes et des formes de lutte les plus variées (institutionnelles et insurrectionnelles), adaptées aux circonstances, en prenant principalement en compte le rapport de force entre les classes en lutte.
Quelque soit la voie vers la conquête du gouvernement, la voie vers le socialisme peut seulement être ouverte par la mobilisation et l’action des masses et sous la direction d’une avant-garde révolutionnaire, non à travers un parti unique, mais par un front.
Le PCE est conscient des limites et des défis du processus. Dans sa dernière note politique du Comité central avant le Congrès, le Parti défend, pour l’étape actuelle du processus équatorien, « Radicaliser, approfondir et peindre le processus aux couleurs du peuple », en brandissant diverses bannières, telle que l’impulsion de la réforme agraire, la consolidation de la politique étrangère souveraine, le démantèlement des institutions bourgeoises de l’appareil d’Etat et le renforcement de l’unité de toutes les forces sociales et politiques révolutionnaires.
Dans les thèses au XVème Congrès du PCE, en particulier celles adoptées par la Plénière, il est dit dans l’articleLA STRATEGIE DE LA REVOLUTION EQUATORIENNEque « la lutte du peuple équatorienne est contre l’impérialisme, les oligarchies et les latifundiaires ».
Dans la citation de cette partie des thèses du Congrès, par laquelle je conclus cette contribution singulière, il est clair que le PCE ne se berce pas d’illusion sur la révolution nationale libératrice, en alliance avec la bourgeoisie dite nationale. Ils posent clairement que la contradiction fondamentale de la société équatorienne « s’exprime sous deux formes : la contradiction entre notre nation, notre peuple et l’impérialisme, en particulier celui nord-américain, et la contradiction croissante entre le capital et le travail, entre les forces productives qui luttent pour se développer et les rapports sociaux de production basés sur l’exploitation des travailleurs des villes et des champs ».
« La lutte entre les bénéficiaires de l’ordre actuel des choses et les masses paupérisées du peuple équatorien nous a conduit à définir comme tâche historique du moment actuel un processus de libération sociale et nationale qui nous mène par des changements continuels à l’instauration d’un régime socialiste en Equateur, comme partie intégrante de l’étape historique de transition du capitalisme au socialisme. »
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