Le spectre de la directive Bolkenstein et de l'AGCS dans l'accord de libre-échange Inde/Union Européenne: le dumping social contre les travailleurs indiens et européens
31 août 2010 Accord de libre-échange Inde/UE: le dumping social contre les travailleurs indiens et européens
par Brian Denny et Linda Kaucher pour le Morning Star, quotidien du PC Britannique
Traduction JC http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
La menace de dumping social, où les travailleurs des nations avec des coûts du travail faibles sont envoyés dans d'autres pays pour miner les normes du travail local, est vouée à devenir de plus en plus prégnante avec les nouveaux projets sur l'avenir du commerce de l'UE.
Le Mode 4est une disposition de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) couvrant le commerce des services internationaux pour lesquels les travailleurs d'un pays doivent se déplacer dans un autre pays.
Son inclusion dans l'agenda du commerce international permet aux grandes entreprises multi-nationales de profiter des différentiels de salaire, d'exonérations de cotisations sociales, de cadeaux fiscaux et d'avantages concernant la flexibilité du travail entre différents pays.
Finalement, le Mode 4 mine la capacité des travailleurs à maintenir leurs salaires et leurs acquis sociaux, inversant le rapport de force entre capital et travail à l'avantage des multi-nationales.
Il réduit également les droits démocratiques des Etats-membres de l'UE afin de contrôler leurs propres politiques migratoires, remettant en fait ce pouvoir entre les mains des multi-nationales.
L'UE instaure une disposition de type Mode 4 dans tous les accords commerciaux qu'elle négocie et l'a déjà mis en œuvre sur le plan interne via la directive Bolkenstein en 2006.
Dans le cadre des négociations du GATT, du « cycle de Doha », entamé en 2001, la proposition modifiée de l'UE, déposée en juin 2005, comprenait l'inclusion du mode 4 dans l'ensemble du secteur des services.
Le Mode 4 est un élément particulièrement secret de l'agenda commercial, que l'on cherche à cacher à ceux qui en subiront les effets négatifs.
Ces propositions de l'UE ne comprennent aucun quota ni restriction liée aux conditions économiques de chaque pays (economic means-tests).
Les défenseurs du Mode 4 avancent l'idée qu'il ne s'agit pas d'immigration mais seulement un mouvement de travailleurs temporaires.
Toutefois, cela ne diminue pas les effets négatifs pour les travailleurs de l'UE d'un influx de travailleurs temporaires que l'on empêchera de se syndicaliser.
Étant donné que les acquis sociaux des travailleurs sont en train d'être perdus dans les peu d'endroits où ils ont pu être gagnés, comme dans certains pays de l'UE, cela deviendra encore plus difficile pour les travailleurs ailleurs de les conquérir un jour.
Une fois signés, les accords avec Mode 4, comme tous les engagements commerciaux, deviennent de fait permanents étant donné le coût prohibitif du retrait de la mesure.
Les propositions actuelles de l'UE de « protection des investisseurs » vont augmenter les sanctions prévues en cas de non-respect de ses engagements commerciaux, permettant pas seulement aux autres Etats mais aussi aux grandes entreprises multi-nationales d'appliquer ces sanctions. Cela mènera par la suite à des demandes de compensations financières exorbitantes pour la perte de tous les profits potentiels non-réalisés, appelées « expropriation ».
Donc, quand les travailleurs ressentiront les effets des engagements sur le Mode 4 qui ont été signés, cela sera trop tard pour les inverser.
L'Inde, au nom de ses multi-nationales comme le géant de l'acier Tata, demandent à l'UE l'accès aux marchés de l'UE en vertu du Mode 4, et un accord de libre-échange Inde/UE est dans les cartons.
Un rapport récent sur les négociations de l'accord de libre-échange (FTA en anglais) Inde-UE a affirmé que « l'ambition totale du FTA ne peut être réalisée sans le mode 4 – qui rencontre actuellement une série d'obstacles comme la parité des conditions salaires »
De l'autre côté, l'UE demande des concessions très importantes concernant les investissements, y compris la libéralisation bancaire. Il y a des indications selon lesquelles le mouvement de « transferts de personnes dans l'entreprise » sera utilisé très largement, et avec des attentes élevées de méga-profits.
Mais emmener des travailleurs Indiens au sein de l'UE aboutit à remplacer des travailleurs locaux et à miner les conditions de travail établies. Une course vers le bas est inévitable dans de nombreux secteurs, puisque les multi-nationales peuvent transférer des travailleurs dans tous les pays signataires, s'offrant ainsi une sous-traitance délocalisée à moindre coût.
Le gouvernement Indien fait valoir le fait que les dispositions des Etats-membres de l'UE sur le salaires minimum minent son « avantage comparatif »: sa main d'œuvre bon marché.
Pourtant, même si les niveaux de salaire minimum sont maintenus, la concurrence sur les salaires menant au nivellement vers le salaire minimum représente une pression intense vers le bas des conditions de travail des travailleurs qualifiés européens.
Pour toute une série de raisons – historiques, linguistiques et liées à l'économie britannique libéralisée – les travailleurs de Grande-Bretagne risque d'être les plus touchés par les accords de l'UE.
Pour maintenir l'accord confidentiel, une délégation Britannique récente en l'Inde, menée par le premier ministre Tory David Cameron, n'a même pas évoqué le fait qu'un accord Inde-UE est en train d'être négocié dans la précipitation, même si cette rencontre se focalisait essentiellement sur des questions commerciales.
Le Mode 4 est considéré comme « sensible » et donc gardé loin de l'attention publique parce que dans ce domaine du commerce – la marchandisation et le transfert de travailleurs afin d'accroître les profits des multi-nationales au détriment des travailleurs – les menaces de casse sociale sont beaucoup plus importantes que dans le commerce des biens, ou même dans d'autres domaines des services.
Le Mode 4 peut être reconnu comme étant dans la continuité avec les attaques contre les travailleurs qui découlent de la « libre circulation des services » de l'UE, qui permet aux entreprises de l'UE de déplacer des « travailleurs détachés » d'un pays à un autre à moindre coût. Un langage similaire et des concepts tels que « la création de filiales trans-frontalières » et les « mouvements de fournisseurs de services » sont utilisés dans la législation des deux organismes.
C'est ce qui a mené le tribunal de l'UE, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), à rendre des verdicts anti-syndicaux dans des affaires telles que Laval, Viking et Ruffert qui, de manières différentes, ont miné les droits des travailleurs dans la protection de leurs salaires et de leurs conditions (cf annexe).
Les décisions de la CJUE soutenant les droits des entreprises au sein de l'UE laissent supposer que le Mode 4 offre une protection « intégrée » aux accords commerciaux.
Le TUC (Trade Union Congress – confédération des syndicats britanniques), pro-UE dans d'autres circonstances, a admis récemment que le Mode 4 menace de miner les conventions collectives, les législations locales et les droits des travailleurs migrants.
Le TUC accepte aussi de dresser un parallèle avec les récents jugements anti-syndicaux mais offre bien peu de propositions d'action pour s'opposer tant aux directives de l'UE qu'à la menace posée par le Mode 4.
Dans le même temps les politiques commerciales néo-coloniales, inégales et néo-libérales de l'UE continuent à dévaster les économies du Tiers-monde, à forcer de plus grandes proportions de la population mondiale à s'expatrier à la recherche désespérée d'emplois et de ressources.
Le Mode 4 ne crée pas un seul emploi mais livre des pouvoirs supplémentaires au capital mondial libre de décider qui travaille, où et pour combien.
Fiche annexe: L'AGCS et l'UE
L'AGCS est une extension du GATT, qui a été la principale méthode de négociation des accords commerciaux multi-latéraux depuis sa mise en place en 1947 et est perçue généralement comme la force motrice du néo-libéralisme mondialisé.
Où le GATT couvre le commerce des biens, le GATS couvre le secteur des services. Patronné par l'OMC, cet accord a été controversé, ouvrant effectivement presque toute action humaine et toute ressource collective à la commercialisation et à la propriété, tout en utilisant le processus de globalisation pour saper les droits des travailleurs.
Le AGCS est à l'origine de la législation mondiale sur le dumping social, menant au sein de l'UE à la directive Bolkensetein en 2006, qui a intégré tous les Etats-membres à la logique de dumping social.
La directive a été appliquée notamment dans les décisions dites Laval, Viking et Ruffert, qui ont déclaré légales le fait de remplacer du personnel local par de la main d'œuvre meilleur marché d'autres pays, a interdit les syndicats de mener des grèves pour mettre fin à de telles pratiques et a empêché les Etats d'annuler des contrats avec des entreprises pratiquant le dumping social.
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