Maurice Thorez (1900-1964), l'homme, le militant – le potrait-hommage de Georges Cogniot et Victor Joannès
17 août 2014Maurice Thorez (1900-1964), l'homme, le militant – le potrait-hommage de Georges Cogniot et Victor Joannès
En ce 50 ème anniversaire de la mort du dirigeant historique du PCF Maurice Thorez, les hommages se font rares, beaucoup plus rares que ceux pour Jean Jaurès, y compris dans le camp communiste.
Surprenant pour une personnalité politique qui a marqué de son empreinte comme nul autre non seulement le communisme français du XX ème siècle comme celle du mouvement communiste international, mais aussi l'ensemble du mouvement ouvrier et de la gauche française, la vie politique nationale comme la conscience de la classe ouvrière de notre pays.
Ici, nous retranscrivons des extraits de l'ouvrage « Maurice Thorez, l'homme et le militant » publié en 1970, sous la direction de l'historien Victor Joannès et de l'homme de lettre Georges Cogniot, proche de l'ancien secrétaire-général du Parti, en fait la première partie dans son intégralité. Un témoignage digne d'être rappelé.
Introduction et retranscription pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
Une vie de militant et de dirigeant
Les origines
Fils et petit-fils de mineurs du Pas-de-Calais, Maurice Thorez avait passé son enfance dans les corons. Il s'est éveillé à la vie dans une région de grande industrie moderne et d'organisations ouvrières puissantes.
A six ans, il avait entendu les cris de douleur des femmes pleurant leurs maris que le puits tragique de Courrières avait ensevelis. Dès l'âge de douze ans, embauché comme trieur à la fosse 4 de Dourges, il avait fait l'expérience du mécanisme impitoyable de l'exploitation de l'homme par l'homme. En novembre 1913, il avait participé pour la première fois à une grande grève, pour la journée de 8 heures.
Peu après, c'était le drame de 1914 et l'invasion allemande. La guerre allait chasser Maurice Thorez loin de la mine et le jeter, avec un convoi de réfugiés, dans les campagnes de la Creuse. Il y fit l'apprentissage de la terre, comme si la vie le préparait à connaître non seulement les revendications et les espoirs des ouvriers, mais les besoins et aspirations des paysans.
Maurice Thorez a relaté lui-même dans son beau livre, Fils du peuple, toute l'importance de cette initiation à la vie rurale : « Quand je vis de près le paysan français, écrit-il, j'appréciai ses solides vertus, son opiniatreté, son énergie, son solide bon sens. Le paysan était le frère de l'ouvrier, un frère malheureux comme lui, exploité et opprimé comme lui, comme lui victime désignée pour le grand massacre de la guerre ».
Depuis ce temps, Maurice Thorez a toujours su élever la voix pour défendre les travailleurs de la glèbe, pour dénoncer le jeu perfide de l'ennemi qui « cherche à diviser et à dresser les uns contre les autres les ouvriers et les paysans », pour insister sur la nécessaire alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie et l'ensemble des couches moyennes.
La guerre de 1914-1918 n'avait pas seulement familiarisé Maurice Thorez avec la condition paysanne. Au cours des quatre années de déracinement et de souffrances qu'elle lui avait imposées, il s'était préparé à en comprendre le caractère impérialiste et les leçons, à répondre à l'appel lancé par Lénine aux prolétaires de tous les pays.
Premières armes
De retour au pays natal en janvier 1919, Maurice Thorez, redevenu mineur, va se passionner de plus en plus pour l'action syndicale et politique. En mars 1919, il adhère au Parti socialiste et bientôt il milite pour l'adhésion à la Troisième Internationale.
Une période d'intense activité politique, d'âpres controverses, de débats orageux vient de s'ouvrir. Maurice Thorez va s'y faire remarquer à la fois par son ardeur dans la bataille quotidienne et par sa maturité, son intelligence politique.
Le soir, après une dure journée de travail à la mine, il discute avec ses camarades de leurs soucis, de leur misère, il leur indique le chemin du salut tracé par Lénine. Dans sa section, sans se laisser impressionner par les titres, les fonctions, la loquacité des partisans de Longuet, de Blum et de Lebas, adversaires de l'adhésion, il s'élève contre l'ancien socialisme réformiste, où il ne trouve que verbiage et déceptions ; il défend avec feu la Révolution russe et les thèses de l'Internationale communiste.
Ce que la lampe est pour le mineur : le gage du salut, Maurice Thorez explique que la grande lumière levée à l'est le sera pour toute la classe ouvrière.
Appelé à l'armée en mars 1920, il continue à militer, à faire de la propagande contre la guerre et pour l'adhésion à la Troisième Internationale dans les chambrées. Lors d'une permission, sans souci du risque, il monte en uniforme à la tribune et prend, pour la première fois, la parole dans un meeting.
Décembre 1920. Le Congrès historique de Tours, à l'appel de Marcel Cachin et de Paul Vaillant-Couturier, inaugure pour la France l'époque de la victoire des grandes idées du communisme. La création du Parti communiste ouvre une nouvelle et décisive étape pour le mouvement ouvrier français. Maurice Thorez, évoquant avec émotion ses souvenirs sur les répercussions du Congrès, sur sa signification, écrit dans son autobiographie :
« C'est la victoire de l'internationalisme prolétarien ! La classe ouvrière reprend sa marche en avant. Et nous, les jeunes, nous respirons à pleins poumons cet air vivifiant qui circule. Mais il reste aux communistes un long chemin à parcourir, un dur apprentissage à faire pour connaître et apprécier en hommes politiques la réalité qui les entoure, pour acquérir l'expérience de la lutte, pour apprendre à vaincre dans les conditions spécifiques de la France ! ».
Dans cet apprentissage, le rôle de Maurice Thorez sera déterminant.
La scission avec la minorité opportuniste et centriste qui s'est faite à Tours, a donné forme à l'avant-garde révolutionnaire de la classe ouvrière, mais ses rangs sont affaiblis, surtout en raison de la défection de cadres nombreux, et sa pensée reste hésitante, grevée de survivances réformistes. Il s'agit maintenant de recruter, de fortifier idéologiquement le Parti, d'augmenter l'influence des idées communistes parmi les travailleurs. Maurice Thorez s'y emploie. Il lutte dans sa section, dans sa fédération pour la mise en pratique des directives lancées en 1921 par le III ème Congrès de l'Internationale communiste : « Allez aux masses ! Faites le front unique ! ».
Dans sa section, il est secrétaire. Et trente ans plus tard, il éprouvera une grande joie lorsque des camarades de l'ancien temps lui feront tenir les vieux cahiers de procès-verbaux où l'on trouve, de la main du jeune responsable, les compte-rendus des réunions de 1922 consacrés à débattre du front unique.
Au Congrès de Paris, en octobre 1922, la fédération du Pas-de-Calais donne 146 mandats aux adversaires du front unique, contre 40 à ses partisans. Délégué de la minorité au Congrès, Maurice Thorez ne se laisse pas rebuter. Il poursuit avec persévérance son travail de conviction auprès de ses camarades. Il a la satisfaction, quelques mois plus tard, de voir sa fédération se rallier tout entière à son point de vue, aux préceptes de l'Internationale communiste, au drapeau de l'unité prolétarienne.
En janvier 1923, contre l'occupation de la Ruhr, contre la politique de violence de Poincaré, qui devait tant contribuer à alimenter la propagande revancharde de Hitler, le jeune Parti communiste français livre sa première grande bataille internationaliste. La répression se déchaîne contre ses militants. C'est le moment que choisit L.O.Frossard, à l'époque secrétaire du Parti, pour déserter ses rangs. Dans ces heures difficiles, Maurice Thorez affirme ses dons d'organisateur, son sens des responsabilités, son esprit d'initiative : au milieu de 1923, il devient secrétaire de la Fédération du Pas-de-Calais. Le voilà permanent du Parti, « révolutionnaire professionnel ».
C'est une ligne droite et claire qui a conduit Maurice Thorez de ses premières années passées dans les corons, de ses premières expériences de grèves et de luttes, de la guerre et des leçons qu'il a su en dégager, à l'insertion profonde dans le tissu vivant du Parti communiste, en qui il a reconnu le porte-drapeau de sa classe et de son peuple.
Elu à 24 ans membre du Comité central, Maurice Thorez siège à 25 ans au Bureau politique et il assume la responsabilité de secrétaire d'organisation du Parti. Il apparaît ainsi comme l'incarnation même des grandes possibilités d'une jeunesse ardente, généreuse, qui veut vaincre et vivre, comme le type achevé de ces jeunes cadres prolétariens dont le mouvement ouvrier a besoin. Tandis que les arrivistes et les aventuriers petits-bourgeois, qui avaient tenté de précipiter dans l'abîme le Parti encore inexpérimenté, passent ouvertement à l'ennemi ou sont écartés l'un après l'autre, Maurice Thorez grandit et se fortifie avec le Parti, au cours des luttes qui font la trame même de l'histoire du mouvement communiste.
Il se familiarise avec les profondes analyses scientifiques de Lénine sur le capitalisme de monopole, sur l'époque de l'impérialisme, « époque où le capitalisme, ayant atteint et dépassé sa maturité, se trouve à la veille de son écroulement, où il est mûr au point de devoir céder la place au socialisme ». La lecture de Lénine et l'observation des faits apprennent au jeune dirigeant que la domination des monopoles est la source du militarisme, de l'agression, de la guerre, qu'à l'époque de l'impérialisme, le militarisme frappe toute la vie de la société.
En 1925, Maurice Thorez est président du Comité central d'action contre l'injuste guerre du Maroc. Il s'attache de toutes ses forces à entraîner dans la lutte les ouvriers socialistes aux côtés de leurs frères communistes. Persuadé qu'un peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre, il impulse l'action des masses contre la guerre et forme le jeune Parti communiste dans l'esprit de la solidarité prolétarienne avec l'action anti-impérialiste des peuples coloniaux. La grève nationale du 12 octobre 1925, déclenchée à l'appel du Parti, mobilisa 900 000 travailleurs sur le mot d'ordre de cessation immédiate de la guerre.
Ainsi se créait une tradition de lutte qui ne se démentira jamais. Plus tard, avec la même résolution, Maurice Thorez et le Parti communiste combattront pour l'indépendance du Vietnam, pour l'indépendance de l'Algérie ; dans l'esprit de Lénine, ils revendiqueront pour tous les peuples soumis à l' « Empire » le droit de libre disposition.
Comme l'écrivait Mikhail Souslov, membre du Présidium et secrétaire du Comité central du P.C.U.S dans son hommage à Maurice Thorez à l'occasion du 65 ème anniversaire de sa naissance, « durant les années difficiles où régnait en France la griserie chauvine, et particulièrement dans la période de la 'sale guerre' du Vietnam et de la guerre coloniale de l'impérialisme française contre le peuple algérien, le Parti communiste fut l'unique parti de France qui élevât résolument la voix pour défendre la juste cause des peuples opprimés. Voilà pourquoi, le 16 juillet 1964, lorsque les travailleurs de France accompagnaient Maurice Thorez à sa dernière demeure, leur douleur était partagée par les travailleurs d'Algérie, du Vietnam, du Maroc et des autres pays pour la libération desquels il avait lutté avec abnégation. »
Poursuivi par les gouvernements réactionnaires de son temps, recherché par la police pour son action contre la guerre du Maroc, Maurice Thorez connaît durant deux années la vie difficile du militant illégal. Il n'en continue pas moins, à son poste, à travailler au renforcement du Parti.
Arrêté en juin 1929 à la suite d'une trahison, jeté en prison, Maurice Thorez y donne l'exemple à la fois de la fermeté, de l'intrépidité et de l'étude, du soin de la culture intellectuelle. Il organise des cours pour les jeunes travailleurs qui partagent son sort ; il met à profit les loisirs forcés que lui donne la détention pour approfondir ses connaissances, élargir son horizon.
A la tête du Parti communiste
Rendu à la liberté, Maurice Thorez se voit confier par le Comité central, en juillet 1930, les fonctions de secrétaire-général. A cette date, le Parti se trouve en bien mauvaise posture par suite de la politique sectaire du groupe Barbé-Célor, des excitations de Doriot aux luttes fratricides entre ouvriers socialistes et communistes, de la négation complète du centralisme démocratique dans la vie intérieure du Parti. « Pas de mannequins dans le Parti ! Que les bouches s'ouvrent ! » C'est par cet appel fameux que débute la bataille de Maurice Thorez contre le groupe sectaire hostile à la défense des revendications immédiates et à la lutte pour l'unité d'action. Le groupe est bientôt démasqué et écarté.
Dès lors, la route est libre pour le redressement du Parti, pour le combat sans répit en vue de liquider la scission, de rassembler tous les travailleurs sur un même front, de faire triompher le mot d'ordre que Maurice Thorez lance le 2 décembre 1932, salle Bullier, à Paris : « Une classe ouvrière unie contre la bourgeoisie, un seul syndicat, un seul parti du prolétariat ! » Donner au peuple un parti bien à lui qui soit un parti puissant, soudé aux larges masses et capable de réaliser, grâce à une audacieuse politique unitaire associée à une stricte fidélité aux principes, la démocratie et le socialisme en faisant la France libre, forte et heureuse, tel est l'objectif qui a dominé toute l'action de Maurice Thorez comme secrétaire général puis comme président de notre Parti.
Décrivant l'orientation de Maurice Thorez en 1925 comme président du Comité central d'action contre la guerre du Maroc, un historien bourgeois, Jacques Fauvet, écrit : « Il se voue aux propositions d'unité, car il apparaît tel qu'il sera toujours, inlassablement, le partisan du front unique ». La passion de l'unité, en vue du triomphe de la cause ouvrière, ce fut bien, en effet, la ligne directrice de Maurice Thorez.
On rappellera dans la suite de cet exposé le rôle déterminant qu'il a joué dans l'élaboration et la réalisation du front unique de la classe ouvrière de 1932 à la signature du pacte d'unité d'action avec la SFIO en 1934, la part qui lui revint dans l'établissement du Front populaire, dans la mobilisation des grandes masses contre le fascisme et la guerre, contre la domination des 200 familles. Le VII ème Congrès de l'Internationale communiste, en 1935, devait proposer en exemple à tous les partis affiliés l'expérience française du Front populaire, grâce auquel, dans notre pays, le fascisme n'a pas pu s'implanter, sinon sur la protection directe des baionettes de Hitler.
Dans les années d'avant-guerre, Maurice Thorez, secondé par Jacques Duclos, par Benoît Frachon et ses autres fidèles compagnons, livre une bataille acharnée pour l'application du programme du Front populaire, contre la politique réactionnaire des cercles dirigeants, pour l'organisation pratique de l'aide internationale à l'Espagne républicaine. Sous sa direction, le Parti communiste français condamne hautement la trahison de Munich. Sous sa direction, le Parti communiste relève le drapeau national abandonné par la bourgeoisie régnante et il l'associe dans toutes ses manifestations au drapeau rouge des espérances ouvrières.
Maurice Thorez est alors l'éloquent interprète du patriotisme populaire et de l'amour de la liberté. L'histoire n'oubliera pas la passion frémissante de tant de textes pathétiques comme celui du 17 avril 1936 :
« Les dirigeants des ligues factieuses méconnaissent et heurtent le sentiment de notre peuple épris de liberté et fier de son indépendance. Ce n'est ni à Rome, ni à Berlin, ni dans aucune autre capitale étrangère, et pas même à Moscou, pour laquelle nous ne dissimulons pas, nous communistes, notre profond attachement, que se déterminera le destin de notre peuple : c'est à Paris ».
« Le peuple de France répugne à l'esclavage et à la servitude, à la discipline du troupeau soumis à la dictature d'un seul qui parle au nom des maîtres capitalistes. Car le fascisme, c'est l'avilissement, l'anéantissement de l'individu ; c'est l'impossibilité pour le savoir et le talent de donner leur mesure dans le plein épanouissement de la liberté assurée à chacun et à tous : c'est le refoulement de tout esprit d'initiative et de progrès ».
Quand vient en 1939 le cent-cinquantième anniversaire de la Révolution française, la voix de Maurice Thorez s'élève pour proclamer que la France populaire est fière de son passé révolutionnaire, depuis Robespierre et Saint-Just jusqu'à Lafargue et Jaurès. Cette France, dit-il, est toujours animée de l'esprit des Jacobins et des Communards, de Voltaire et de Diderot, de Hugo et de Zola, d'Anatole France et de Romain Rolland. Le Parti communiste est en charge de cet héritage glorieux et il le défendra contre tous ses ennemis.
De la trahison de Munich découle la deuxième guerre mondiale. Bien que la direction du Parti communiste français ait proclamé la volonté des communistes de prendre une part active à la défense du pays contre l'agression fasciste, la répression s'abat sur le Parti. Maurice Thorez prend sa place de responsabilité et d'honneur à la tête du Parti traqué par les criminels qui font la guerre au peuple, mais ne la font pas à Hitler.
Notre Parti reste, à l'heure de la débâcle, la seule force nationale organisée qui appelle à la lutte contre l'envahisseur et ses complices. Le 10 juillet 1940, le jour même où, à Vichy, Laval obtient l'étranglement de la République d'un Parlement servile, d'où tous les communistes avaient été exclus, Maurice Thorez et Jacques Duclos signent le mémorable appel, qui convie le peuple au combat pour la liberté, l'indépendance et la renaissance de la France. Aucune manipulation des anti-communistes n'a pu réussir ni ne réussira à escamoter de l'histoire ce document glorieux.
Pendant quatre ans, la nation allait se battre pour sa libération, communistes en tête. Malgré les dizaines de milliers de camarades tombés dans la bataille, parmi lesquels Louis Thorez, un des frères du secrétaire général du Parti, l'organisation communiste sort de la cruelle épreuve plus forte et mieux trempée.
En 1946, cinq millions et demi de Françaises et de Français votent pour le Parti communiste. Cinq communistes entrent au gouvernement, dont Maurice Thorez. Leur œuvre, ce sont les nationalisations, la sécurité sociale, le statut de la fonction publique, c'est aussi l'organisation du grandiose effort de production que la classe ouvrière accomplit pour assurer la renaissance du pays. Au jugement de l'adversaire lui-même, Maurice Thorez, bientôt vice-président du Conseil, déploie les plus rares qualités de l'homme d'Etat.
C'est alors aussi que, dans sa célèbre interview auTimes, il met l'accent sur la spécificité des voies françaises du passage au socialisme, sur la possibilité d'une voie pacifique qui résulte du nouveau rapport de forces découlant de la deuxième guerre mondiale.
En mai 1947, la réaction, obéissant à Washington et agissant par l'intermédiaire des dirigeants socialistes de droite, écarte les communistes du gouvernement. Mais elle échoue complètement dans sa tentative de saper l'influence de notre Parti dans les masses.
Alors commence la période de la guerre froide, la période des grandes campagnes antisoviétiques de la réaction chez nous et dans tous les pays capitalistes. Maurice Thorez rappelle inlassablement que l'amitié de l'Union soviétique a été et reste la meilleure garantie de l'indépendance de la France. On sait quelle importance devait revêtir son affirmation solennelle du 30 septembre 1948 : « Le peuple de France ne fera pas, il ne fera jamais la guerre à l'Union soviétique ».
Maurice Thorez montre en même temps qu'une fois encore, devant l'abdication de la bourgeoisie française qui laisse le champ libre à la pénétration du « mode de vie américain » et des idées réactionnaires de l'Amérique, les communistes sont « les gardiens de l'héritage moral et intellectuel de la France ». C'est là un de ses thèmes principaux dans le rapport au XII ème Congrès du Parti (avril 1950), et dans tous les documents de la même période.
Le mois même où se tenait le XII ème Congrès, le président Truman annonçait que les Etats-unis commençaient la « campagne de vérité contre le communisme » ; peu après le professeur de l'université de Yale chargé de la théorie de la propagande impérialiste, Harold Lasswell, déclarait dans son livre : Political and psychological warfare, qu'après l'armée de terre, l'armée de l'air et la flotte, la propagande représentait désormais la quatrième arme de la politique américaine : il n'était plus question de « vérité » ! Une immense machine de guerre psychologique se mettait à fonctionner. C'est Maurice Thorez qui relevait le défi, au nom du droit de la France à une pensée libre, à une tradition culturelle autonome, à une politique indépendante. Il marquait fortement qu'un pays avec une vieille histoire et une culture originale comme les nôtres n'était pas disposé à se laisser coloniser.
Parallèlement, le Parti communiste accomplit, tout au long de ces années, un énorme travail afin de défendre les revendications immédiates des masses laborieuses, de les mobiliser contre la domination des monopoles, contre les guerres coloniales, pour la paix, la démocratie et le socialisme.
Maurice Thorez organise le combat pour toute parcelle des libertés démocratiques, contre l'omnipotence des monopoles dans l'économie et dans la société. Profondément léniniste, il est convaincu que la lutte pour la démocratie est partie intégrante de la lutte pour le socialisme. La lutte pour la démocratie est mise par lui au premier plan dans les années où s'annonce l'instauration du pouvoir personnel gaulliste, dont il sera l'adversaire résolu.
Au XV ème Congrès du Parti, en 1959, il souligne que, de notre temps, il n'y a plus un long intervalle historique entre les transformations démocratiques et les transformations socialistes, et il en donne la raison : la direction manifeste, incontestable de tout le mouvement progressiste de la société par la classe ouvrière, représentante de l'idée socialiste, rapproche et soude entre elles les deux étapes.
Pendant toute cette période du pouvoir gaulliste, le secrétaire général du Parti rappelle inlassablement cette idée de Lénine que le capitalisme de monopole transforme la démocratie en une illusion, mais en même temps engendre les tendances démocratiques dans les masses ; d'où l'antagonisme croissant entre l'impérialisme qui nie la démocratie et les masses qui y aspirent.
La condition fondamentale du succès dans la lutte pour la démocratie et pour le socialisme est aux yeux de Maurice Thorez la large alliance antimonopoliste de la classe ouvrière avec les couches moyennes de la ville et du village, l'unité d'action des communistes et des socialistes. Il avance et justifie la thèse théorique de grande importance d'après laquelle la coopération des communistes avec les socialistes et d'autres formations démocratiques est nécessaire non seulement pour conquérir une démocratie qui mérite son nom, mais pour construire le socialisme.
En mai 1964, le XVII ème Congrès de notre Parti mettait l'accent sur la lutte pour l'unité de toutes les forces démocratiques sur la base d'un programme constructif. Maurice Thorez était élu président du Parti, dont le camarade Waldeck Rochet devenait secrétaire-général.
Maurice Thorez prononça au congrès un discours capital. Il souligna notamment que l'unité d'action des travailleurs s'obtient grâce à la lutte pour les revendications immédiates, pour les transformations démocratiques, pour la paix entre les peuples. Il appela les communistes à se battre avec fermeté contre le sectarisme stérile et l'étroitesse, d'une part, contre l'opportunisme de droite et le révisionnisme, d'autre part. Ce discours devait être le testament politique de Maurice Thorez.
Un dirigeant éminent
C'est grâce aux orientations définies dans une large mesure par Maurice Thorez que le Parti communiste français est devenu ce qu'il est aujourd'hui, le premier parti de la démocratie française, la grande force de la nation, un inépuisable réservoir d'énergie. Rien ne saurait désormais l'abattre. Les épreuves qu'il a traversées depuis un demi-siècle – calomnies et trahisons, persécution et illégalité – n'ont fait que le rendre plus fort, même quand elles creusaient des vides cruels dans ses rangs. Il plonge ses racines dans l'histoire de France et il exprime, dans ce pays dont il est le produit authentique, la poussée internationale des forces de progrès : le Parti communiste français s'est formé, comme Maurice Thorez l'a dit lors du quarantième anniversaire du Congrès de Tours, sous la double influence des idées nouvelles léninistes, mises dans tout leur éclat par la Révolution d'Octobre, et de l'essor de la lutte de masses en France même, qui faisait revivre les meilleures traditions de notre classe ouvrière et de notre peuple. Le Parti s'est créé par un retour aux meilleures sources nationales, et non pas, comme le disent les bourgeois, par une greffe artificielle du bolchévisme sur le vieux socialisme français.
La personnalité de Maurice Thorez a certes compté pour beaucoup dans l'histoire du Parti et de pays. Mais – contrairement aux conceptions bourgeoises de l' « homme providentiel » selon lesquelles l'homme est grand par ce qui le distingue et l'isole du peuple – l'individu n'agit sur l'histoire que si sa vie fait corps avec les forces sociales progressistes.
Le théoricien marxiste Georgi Plekhanov écrit dans son ouvrage sur « le rôle de l'individu dans l'histoire » :
« Un grand homme est grand non parce que ses qualités personnelles donnent aux grands événements historiques leur physionomie propre, mais parce qu'il est doué de qualités qui le rendent plus capable que tous les autres de répondre aux grands besoins sociaux de son temps (…) Carlyle, dans son célèbre ouvrage sur les héros, appelle les grands hommes des initiateurs. Le mot est des plus heureux. Oui, le grand homme est un initiateur, parce qu'il voit plus loin et veut plus fortement que les autres. Il résout les problèmes scientifiques que pose à l'ordre du jour la marche antérieure du développement intellectuel de la société ; il signale les nouveaux besoins sociaux créés par le développement antérieur des rapports sociaux et, le premier, il entreprend de les satisfaire. Il est un héros. Non en ce sens qu'il pourrait arrêter ou modifier le cours naturel des choses, mais parce que son action est l'expression consciente et libre de ce cours des choses nécessaire et inconscient. Toute son importance est là, et aussi toute sa force ».
Tel a été Maurice Thorez : un initiateur, qui a travaillé à rendre l'idée communiste familière à tous, qui a exprimé de la manière la plus lucide les aspirations des forces montantes et s'est identifié à elles. Il a été un dirigeant éminent, non pas en ce sens qu'il aurait pu changer le cours des choses et former le Parti communiste à partir de rien, mais en ce sens que son activité, ses dons naturels, son dévouement ont fait de lui le militant le plus en vue du parti qui répondait dans la France du XX ème siècle aux besoins du développement social, qui traduisait en action politique les exigences historiques.
Dans sa lettre au journal Le populaire sur l'anniversaire de la mort de Jaurès en 1916, Romain Rolland écrivait : « Le seul fait que je veux retenir aujourd'hui, c'est de quelle importance demeure dans le monde moderne une personnalité (…) Bien loin d'annihiler le rôle de l'individu, le socialisme doit en centupler la force ; car il lui faut des hommes qui concentrent en eux toutes les énergies dispersées des peuples et qui les projettent sur leur route en un puissant faisceau de lumière consciente ».
Ce que Romain Rolland attribuait aux individualités brillantes, ce rôle d'accumulateur des énergies populaires et de phare éclairant la voie des peuples, nous savons que c'est en réalité la mission historique du parti marxiste-léniniste de la classe ouvrière. Mais la fonction des dirigeants de ce parti n'en reste pas moins capitale et décisive.
L'activité créatrice de Maurice Thorez pendant près d'un demi-siècle a été une expression et un aspect supérieurs du mouvement logique et nécessaire par lequel l'histoire formait le Parti communiste français et le faisait accéder au rôle de guide reconnu de la nation qui travaille et qui pense.
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