Retour sur la liquidation du Parti Communiste Italien... la mort du PCI: un suicide « assisté »
20 févr. 2010 La mort du PCI: un suicide « assisté »
de Domenico Moro, économiste du PdCI (Parti des Communistes Italiens)
Traduit par AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
La fin du PCI est un des événements-clés de l'histoire récente, qui a eu de lourdes conséquences sur la gauche et sur le pays tout entier. Pourtant, le débat sur les causes de cette mort a été pauvre, ce qui confirme toutes les limites théoriques actuelles de la gauche. Récemment on a assisté, néanmoins, à quelques tentatives pour combler ce déficit. Parmi celles-ci, le livre de Guido Liguori « La mort du PCI » (manifestolibri, 20 euros, 155 pages). C'est un travail qui a deux mérites. Le premier est celui d'être très détaillé, rendant compte de toutes les positions politico-théoriques présentes au PCI, le second est d'être facile et passionnant à lire, presque comme un roman policier.
Du reste, la fin du PCI est un peu un roman policier. Suicide ou homicide et, si homicide, qui en est le coupable? La mort du PCI a été décrétée à l'improviste, comme le reconstruit bien Liguori, par le secrétaire du PCI d'alors, Achille Occhetto dans la foulée de la chute du mur de Berlin et de l'effondrement des Etats d'Europe de l'Est. Un événement certes considérable, mais pas de nature à justifier la décision d'en faire découler automatiquement la fin du PCI, qui depuis longtemps s'était éloigné de ces formations étatiques, défendant avec ténacité sa singularité.
En outre, si ces sociétés avaient perdu leur soutien populaire, on ne pouvait dire la même chose du PCI.
La mutation du PCI en PdS a été une opération « à perte », comme le souligne à juste titre Liguori. Loin d'élargir sa base de soutien, le PdS a obtenu aux législatives de 1992 16,1% des voix, tandis que le PCI, aux législatives de 1987, recueillait encore 26,6% des voix et, aux européennes de 1989, 27,6%. Un effondrement similaire s'est produit pour le nombre d'adhérents, des centaines de milliers d'entre eux n'ont pas pris leur carte au nouveau parti.
A ce stade, une question se pose: comment un parti de près d'1,5 million d'adhérents, qui en majorité se considéraient communistes, a-t-il pu être conduit par Occhetto à se démobiliser en si peu de temps? Et pourquoi le PCI ne s'est pas transformé en un parti social-démocrate, comme certains – parmi lesquels Napolitano – le souhaitaient, mutant en une chose qui n'était ni chair ni poisson et qui devra encore subir des transformations successives et mouvementées? A ces deux questions, il semble que Liguori répond de manière partielle, bien que des pistes pour des analyses plus approfondies émergent de sa reconstitution détaillée des événements.
Selon Liguori, un élément central de la relative facilité avec laquelle Occhetto a dissous le PCI se trouve dans la culture organisationnelle des communistes italiens, c'est-à-dire dans l'habitude à soutenir le secrétaire et à sauvegarder l'unité du parti à n'importe quel prix. C'est un argument fondé, mais pas exhaustif. En réalité, le « virage de la Bolognina » d'Occhetto n'a pas été un coup de tonnerre dans un ciel serein, mais bien le résultat d'une longue incubation. Pendant une période d'au moins dix ou quinze ans, le PCI a subi un processus « moléculaire » de transformation, non seulement de sa politique et de ses références sociales, mais surtout de sa « vision du monde ». Il s'est agi d'un processus lent et progressif (et non uniforme dans tous ses secteurs) d'abandon du marxisme, plutôt qu'un aggiornamento aux conditions historiques changeantes, comme cela aurait été nécessaire.
La liquidation de la pensée critique s'est articulée autour de trois questions:
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La première est le concept de démocratie. Celle-ci a été conçue de plus en plus comme une « valeur universelle autonome », finissant par oublier que dans une société caractérisée par des différences de classe, il ne peut pas y avoir de véritable démocratie (...) neutre du point de vue de classe.
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La seconde est l'interprétation de l'Etat, vu comme une entité encore une fois neutre et non comme un organisme, qui, même à travers des formes changeantes de médiation entre les classes, a comme objectif la défense des rapports de propriété actuels. Cette conception a été favorisée par une interprétation partielle et partiale de Gramsci, et de la catégorie d'hégémonie. Pour Gramsci, l'État était « l'hégémonie cuirassée de coercition ». L'aspect coercitif a été éliminé de l'horizon théorique du PCI comme du reste cela s'est produit avec le rôle conservateur joué par la bureaucratie d'Etat dans le processus de transformation démocratique de l'État, élément en revanche bien présent chez Gramsci. Le même Liguori voit la justification de Berlinguer du « compromis historique » par le coup d'Etat au Chili comme purement instrumentale. Alors qu'il démontre également combien la menace d'un recours à la force était pesante dans une période où – ne l'oublions pas – était mise en œuvre la « stratégie de la tension ».
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Enfin, le troisième aspect, qui découle des précédents, est le type de critique adressée à l'URSS. La critique de l'URSS n'était pas centrée sur le fait que la classe ouvrière était de plus en plus exclue des processus de contrôle de l'État et de la production, c'est-à-dire l'absence d'une démocratie des travailleurs. Au contraire, on a adopté progressivement le point de vue de l'Occident, en remplaçant le principe idéologie de démocratie formelle à celui de la libération concrète de la domination et de l'exploitation de classe. Dans le fond, comme l'avançait à l'époque Umberto Cerroni, un des intellectuels les plus représentatifs du nouveau cours au sein du PCI, la démocratie est valide en soi et n'a pas besoin d'adjectifs (démocratie des travailleurs ou bourgeoise), faisant écho à ce qu'écrivait en 1990 le gorbatchevien Medvedev (seulement homonyme de l'actuel premier ministre russe): « Mais l'humanisme et la démocratie ne sont pas seulement des moyens mais aussi des valeurs universelles autonomes ».
L'idée d'Occhetto (et de Gorbatchev) que la mutation de l'URSS et la mondialisation ouvriraient les portes à la paix et au bien-être mondiaux connaîtra un démenti cinglant dans les années qui ont suivi. Dans les pays de l'Est, les conditions de vie se sont effondrées, en Occident les salaires réels et l'Etat social ont été remis en cause et l'idéologie démocratique a été utilisée par les Etats-Unis et l'Occident pour justifier une série ininterrompue de guerres d'agression.
Ainsi, le PCI a subi un lent processus d'évidement culturel qui a éliminé, dans la masse de ses adhérents et de ses cadres, les outils d'analyse de la société, les « anti-corps » qui auraient dû le préserver face à la chute des pays de l'Est. Et pourtant, le PCI n'est pas devenu un parti socialiste ou social-démocrate « normal ». Pourquoi?
En premier lieu, parce que le climat international avait changé, avec l'affirmation néo-libérale de Thatcher et de Reagan dans les années 1980, et aussi avec la mutation de la social-démocratie européenne. Le réformisme socialiste était de moins en moins une référence et la libéral-démocratie de plus en plus. La preuve, le succès connu dans la gauche italienne et européenne par le philosophe et sociologue libéral Ralf Dahrendorf, qui avait fait l'expérience de la collaboration entre sociaux-démocrates et libéraux allemands.
Ensuite, parce que les forces sociales et idéologiques qui en Italie ont poussé pour la transformation du PCI, ne voulaient pas d'un parti social-démocrate mais bien d'un parti qui ne soit en aucune manière l'expression de la classe ouvrière et des masses populaires. Il s'agit de forces économiquement et culturellement importantes, identifiables, comme ne manque pas de le souligner Liguori, dans la finance laïque. Liés à ceux-ci, le groupe L'Espresso et la Repubblica ont joué un rôle à ne pas sous-estimer dans le processus de démobilisation du PCI, continuant à jouer un rôle de direction politico-culturel sur le PdS, sur les DS et aujourd'hui sur le PD. On ne doit pas non-plus sous-estimer le rôle du bloc-socioéconomique lié au monde de la coopération, présent surtout dans le PCI Émilien, qui représentait, comme le souligne Liguori, le principal soutien interne d'Occhetto.
En somme, une fois le marxisme abandonné, le parti tend à adopter « spontanément » les idéologies qui sont dominantes dans las société et qui sont influencées par des couches sociales qui contrôlent les moyens de communications et de production culturels. Le résultat, cependant, en a été l'affirmation sur le plan culturel d'un éclectisme dans lequel n'existait plus le caractère central des travailleurs et du conflit travail salarié/capital et avec elle la nécessité même d'un parti social-démocrate.
On a, au contraire, mélangé dans un grand chaudron de nombreuses questions (de genre, écologique, morale) qui, au lieu d'être insérées dans une critique d'ensemble du modèle d'accumulation capitaliste, sont devenues chacune une « issue » en soi. En conclusion, si nous devons répondre à la question initiale, le meurtre du PCI a été un suicide assisté par ces forces sociales et économiques qui avaient tout intérêt, d'une part, à éliminer un parti représentant politiquement les travailleurs et, d'autre part, à favoriser la naissance d'un parti qui exprime des revendications visant à réformer (réformistes) l'organisation même de la Première République.
Le glissement d'une grande partie du dernier groupe dirigeant de l'ancien PCI à la fin des années 1990 vers le majoritarisme et aujourd'hui vers les contre-réformes institutionnelles, qui vont jusqu'à remettre en cause la Constitution, vient de loin, pas seulement de la volonté d'accéder au pouvoir après des décennies d'opposition, mais aussi d'un long processus de dévoiement de la conception originelle qu'avaient le PCI de la démocratie et de l'État.
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