sciopero.jpgVers la grève générale en Italie ? Réticences des syndicats de concertation après le succès de la grève du 18 octobre, lancée par le syndicat de lutte USB

 

Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

 

Des mois que les travailleurs italiens attendaient un appel clair à la riposte contre la politique de casse sociale massive. Celui lancé par la confédération syndicale de classe USB, à une grève le 18 octobre suivie d'une manifestation dans les rues de Rome, a été massivement entendu.

 

L'ampleur de la mobilisation des 18 et 19 octobre a surpris. C'était la première riposte organisée, dans la rue, à la politique de casse sociale du « gouvernement de coalition » Parti démocrate/Parti des libertés gouverné par Enrico Letta, homme de Bruxelles et du capital financier en Italie.

 

Les médias ont préféré insister sur la manifestation bariolée du samedi. 70 000 manifestants, un cortège hétérogène – militants du droit au logement, de défense des immigrés, contre le projet de TGV Lyon-Turin, indignés – et les habituels débordements des agents provocateurs.

 

Cette manifestation d'indignation ne doit pourtant oublier la manifestation du vendredi où 50 000 manifestants avaient déjà occupé la place San Giovanni à Rome.

 

En tête de cortège, immigrés et réfugiés devenus des symboles après la tragédie de Lampedusa, mais aussi les travailleurs précaires, invisibles de la crise, ainsi que les ouvriers de plusieurs entreprises menacées par les plans sociaux.

 

Manifestation significative aussi car concluant une journée de grève massivement suivie, lancée par la seule USB (Union des syndicats de base), confédération de syndicats de lutte refusant la voie de la concertation sociale suivie par la « troika » syndicale (CGIL, UIL, CISL)

 

Une grève du 18 octobre massivement suivie : les transports paralysés dans toute l'Italie

 

Seul contre tous, face au « front commun syndical » de la collaboration sociale, l'USB, qui a adhéré l'an dernier à la Fédération syndicale mondiale avec ses 250 000 adhérents, a réussi son pari.

 

Le mouvement a connu une forte adhésion dans les services publics – en particulier la santé, l'éducation, les collectivités territoriales –, ainsi que les grandes entreprises menacées par des plans sociaux : la FIAT (automobile), l'ILVA (sidérurgie), SIGMA Tau (industrie pharmaceutique), Telecom Italia ou encore d'Alitalia.

 

Toutefois, c'est dans les transports, bastion de l'USB, que l'adhésion a été la plus spectaculaire, paralysant les réseaux de transports urbains (bus, métro, train de banlieue) des grandes villes du nord, de la capitale et des anciennes villes rouge du centre.

 

Ainsi, à Rome, la grève a paralysé 65 % du réseau de bus et des trains de banlieue. A Milan, le métro a été totalement fermé tandis que 75 % des bus sont restés dans les dépôts.

 

Ailleurs, les taux de grévistes dans les transports sont significatifs : dans le Sud, 40 % en Calabre, 70% en Sicile (bus régionaux) ont été paralysés ; dans le Nord, ce fut le cas de 70 % des transports à Turin, 70 % pour le transport maritime et 80 % pour le transport routier à Venise.

 

Enfin dans le Centre, en Emilie-Romagne, 95 % du fret a été interrompu et 75 % du transport de passagers annulé, tandis que ville par ville : on passe de 45 % à Livourne, 65 % à Ferrara, 80 % à Bologne, 90 % à Terni et jusqu'à 100% dans la ville de Pise.

 

Le syndicaliste Pierpaolo Leonardi, de l'exécutif de l'USB a insisté sur l'importance de ce mouvement de grève :

 

« Cette manifestation nous montre qu'il existe une alternative syndicale. Sur les lieux de travail, la CGIL, la CISL, l'UIL construisent la résignation, arrivant même à organiser des manifestations de soutien au gouvernement Letta en crise.

 

Un gouvernement qui, avec la « loi de stabilité » maintient inchangée l'actuelle distribution inégale des richesses, et poursuit avec cette politique de casse sociale sous la dictature de l'UE et de la troika. Mais le monde du travail ne se fait pas duper et ne plie pas ».

 

Un pas de plus dans l'offensive de classe avec le Parti démocrate et la droite ... contre Berlusconi et Grillo !

 

Effectivement, la « loi de stabilité » – ou loi des finances – 2014, adoptée par le gouvernement de coalition Parti démocrate/Parti des libertés d'Enrico Letta passe un cap dans l'offensive de classe.

 

D'une part, des cadeaux aux entreprises sans précédent, avec 5 milliards d'exonérations de cotisations sociales patronales au nom de la diminution du « coin fiscal », autrement dit de la diminution du coût du travail pour les entreprises.

 

De l'autre, une augmentation du fardeau fiscal pour le commun des Italiens : augmentation de la TVA de 21 à 22 % et hausse des impôts locaux ayant trait au ramassage des déchets et à la taxe foncière.

 

Dans le même temps, la casse du secteur public continue. Outre les coupes massives sur la santé de 1 milliard sur deux ans, une nouvelle vague de privatisations est prévue à l'horizon 2015 visant notamment les services publics municipaux : ramassage des déchets, transports.

 

Enrico Letta, lui le démocrate-chrétien de gauche, européen jusqu'au bout des ongles, appointé par l'Union européenne et le FMI – comme Prodi et Monti avant lui – se présente comme un chantre de la rigueur, négociant âprement le moindre mal avec Bruxelles.

 

Dans la mise en scène, Letta peut compter sur l'appui total du Parti démocrate (PD), au centre-gauche qui insiste sur le fait qu'il « n'y a pas d'alternative » et qu'il faut « faire barrage au populisme » (entendre l'opposition à l'austérité et l'UE incarnée par Grillo, Berlusconi, la Ligue).

 

Cela n'empêche pas, avant les primaires du 8 décembre, les caciques du PD de tirer dans le dos de l'impopulaire Letta.

 

Parmi les deux principaux candidats, l'ultra-libéral maire de Florence Matteo Renzi joue théâtralement un rôle d'opposant – reprochant à Letta son manque de fermeté dans l'austérité! – tandis que l'ex-apparatchik du PCI Giuseppe Civati soutient sans conditions Letta.

 

A droite, autre mise en scène, la majorité des élus du Parti des libertés (PdL) a voté la confiance à Letta, derrière le droitier Angelino Alfano, secrétaire du PDL, ministre de l'Intérieur.

 

Alfano incarne la « nouvelle droite », tout aussi ultra-libérale, pro-patronale, sécuritaire que celle du père Berlusconi. Le populisme à tout crin, anti-européen et anti-establishment, en moins. De quoi rassurer la Confindustria (MEDEF) et Bruxelles

 

Et comble de l'ironie, c'est à Silvio Berlusconi que revient la mission, avec des calculs politiciens et personnels patents, d'incarner l'opposition « sociale » (sic), populiste au gouvernement, notamment sur l'augmentation des impôts pour les plus pauvres, d'abord la TVA.

 

Cela n'a pas empêché Berlusconi finalement d'appeler à voter la confiance à Letta, qui obtient 235 voix pour et 70 contre. Qui a voté contre alors ?

 

D'abord, la « Ligue du nord », la formation d'extrême-droite régionaliste. Et ensuite le « mouvement 5 étoiles » du populiste Beppe Grillo, présentée dans les médias comme le seul mouvement anti-système, fustigeant les coupes budgétaires … comme une fonction publique pléthorique.

 

Les dernières sorties médiatiques de Grillo ont semé encore la confusion. En appelant à « briser le tabou de l'immigration », avec des relents racistes, le comique troupier italien conduit à assimiler ses postures anti-européennes, anti-euro à des positions de plus en plus xénophobes.

 

Comme ailleurs en Europe, avec des formations plus nettement identifiées à l'extrême-droite, le mouvement de Grillo sert à la fois à canaliser la colère vers une impasse, à dévoyer des positions justes et à renforcer le consensus dominant par opposition.

 

patronat et syndicats pour réduire encore le coût du travail pour les entreprises et réduire les dépenses publiques !

 

En Italie, l' « union sacrée » ne se limite pas aux forces politiques, elle implique pleinement syndicats et patronat, dans une logique de concertation sociale, sur des positions désormais ouvertement patronales.

 

Le 2 septembre dernier, la Confindustria (MEDEF italien) signait ainsi un texte commun avec les trois principaux syndicats : la CISL, l'UIL et la CGIL (l'ex-syndicat de classe, proche du PCI), sous le nom : « une loi de stabilité pour l'emploi et la croissance ».

 

Le document, édifiant, défend la nécessité de la réduction du coût du travail pour les entreprises comme moyen de restaurer la compétitivité, donc de relancer l'emploi et la croissance.

 

Le document parle d'un « système fiscal efficace, qui ne soit pas hostile à l'activité des entreprises, ne décourage pas les investisseurs », faisant le choix de « réduire les charges sociales pesant sur le travail et les entreprises ».

 

Il propose concrètement une longue liste d'exonérations de cotisations sociales pour les entreprises :

 

abolir la composante « travail » de l'impôt sur les sociétés (IRAP), crédits d'impôts pour les entreprises qui investissent dans la recherche, financement public de grands projets d'innovation, d'investissement à des fins privés. La liste est longue encore.

 

 

Enfin, ce texte insiste sur la nécessité de diminuer les dépenses publiques. D'abord, par une restructuration des collectivités territoriales, dans le sens de l'Europe des régions : suppression des provinces (l'équivalent de nos départements), regroupement des communes, métropolisation.

 

Ensuite, en instaurant un « spending review », une révision annuelle des dépenses permettant de réaliser des coupes budgétaires ciblées plutôt que linéaires.

 

Une révision basée elle-même sur les « costi standard », un niveau de dépenses publiques maximal sur lequel devront se baser les futures lois de finance.

 

Les syndicats, dont la CGIL, partagent pleinement l'optique patronale : réduire le coût du travail (donc impôts, cotisations sociales pour les entreprises), réduire les dépenses publiques (donc services sociaux, allocations), en partant du postulat que les entreprises créent les richesses, l'emploi et non les travailleurs.

 

On peut rappeler également que le secrétaire actuel du Parti démocrate, premier partisan de l'austérité n'est nul autre que … Guglielmo Epifani, ancien secrétaire-général de la CGIL. C'est comme si Bernard Thibault était demain secrétaire-général du Parti socialiste !

 

Vers une grève générale ? Les syndicats préfèrent un débrayage de 4 heures pour peser sur les parlementaires !

 

Dans un tel contexte de consensus entre tous les « partenaires sociaux », la grève lancée par l'USB vendredi dernier a mis un coup de pied dans la fourmilière. Elle a contraint les syndicats reconnus officiellement, depuis la loi sur la « représentativité » votée l'an dernier, à durcir leur position.

 

Pas un hasard si les directions des trois syndicats se sont réunis lundi pour adopter un appel à la grève … de 4 heures d'ici le 15 novembre, date de l'adoption de la « loi de stabilité » au parlement.

 

Pour la secrétaire-générale de la CGIL, pas d'appel à la grève générale : « Nous avons choisi de ne pas appeler à une grève générale parce que nous avons devant nous le temps du débat parlementaire et nous pensons que notre forme de mobilisation sera plus utile ».

 

Pour la CGIL, comme pour les autres syndicats de concertation, l'objectif est de peser sur les parlementaires pour obtenir des modifications, des amendements de la loi.

 

Comme le dit Luigi Angeletti, secrétaire de l'UIL, « nous mettrons sur le terrain toutes nos forces pour obtenir une modification de cette loi, à travers le débat parlementaire ».

 

Sur qui les syndicats espèrent peser ? Le seul parlementaire « démocrate » qui n'a pas voté la confiance en quittant la Chambre au moment du vote ? Sur les révoltés berlusconiens ? Sur les partisans de la « Ligue du nord » ? Ou sur les égarés du mouvement de Grillo ?

 

La ligne des syndicats italiens, de plus en plus ouvertement en collaboration avec le gouvernement, le patronat et l'UE dans la mise en œuvre ne fait pas illusion. Toutefois, le mouvement qui s'est levé avec la grève du 18 octobre laisse espoir qu'il existe effectivement une « alternative syndicale ». L' « alternative politique » est, elle, à construire ou à reconstruire.

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