Muhammed Shabeer, journaliste du Peoples Dispatch en Inde, a posé six questions sur la situation politique intérieure à ROB GRIFFITHS, secrétaire général du Parti communiste britannique (CPB). Le journal communiste britannique Morning Star a relayé cet entretien.

Traduction NK pour Solidarité Internationale PCF


1- Comment la Grande-Bretagne est-elle devenue un point chaud du Covid-19 ? Selon vous, quelle a été l'efficacité de l'intervention du gouvernement conservateur dans la lutte contre la crise sanitaire ?

La Grande-Bretagne a le troisième taux de mortalité par habitant le plus élevé au monde et se situe également dans les dix pires en ce qui concerne les taux d'infection et de guérison. Cette situation ne peut s'expliquer entièrement ou même principalement par certains facteurs significatifs tels que la densité ou le profil d'âge de la population.

Le fait que notre pays soit une plaque tournante du transport international de passagers, avec de nombreux visiteurs étrangers, a également joué un rôle.

Mais par-dessus tout, ce sont les mesures tardives et inadéquates prises par le gouvernement britannique pour tenir compte de ces facteurs qui ont aggravé nos taux d'infection, de guérison et de mortalité.

Les interdictions de voyager, les mesures de quarantaine et de confinement auraient dû être mises en place des semaines plus tôt. Aujourd'hui encore, les tests de dépistage sont désespérément insuffisants tandis que le système de traçage reste inexistant.

En fin de compte, ces échecs et insuffisances choquants sont ancrés dans un système dominé par la propriété capitaliste, la recherche du profit et les forces du marché en lieu et place d'une économie fondée sur la propriété publique, la planification économique et les besoins sociaux.

2- Quelle est l'efficacité du NHS (Service National de Santé) dans la lutte contre le Covid-19 ? Le NHS bénéficie-t-il d'un soutien suffisant de la part du gouvernement ?

Le personnel du NHS a réagi avec un dévouement et un courage désintéressés face à la pandémie. Mais dès le début, ils ne disposaient pas des équipements de protection individuelle (EPI), des lits de soins intensifs ou des respirateurs nécessaires pour lutter efficacement contre l'épidémie.

Les gouvernements conservateurs successifs ont refusé de tirer les leçons des précédents exercices d'urgence en cas de pandémie tels que Cygnus (2016) en n'investissant pas dans le service de santé, tandis que le désengagement prolongé de l'économie britannique de la production industrielle a fait que notre pays n'avait pas la capacité, au début de l'épidémie, d'assurer la fabrication de masques respiratoires, de respirateurs, de kits de test et d'autres équipements nécessaires à grande échelle.

Le sous-financement du gouvernement et la privatisation de l'aide sociale aux personnes âgées ont fait que la propagation rapide de la pandémie dans les maisons de retraite a été ignorée, même après que le personnel soignant ait tiré la première sonnette d'alarme.

Nous verrons à quel point les proclamations actuelles de soutien du gouvernement au NHS sont sincères lorsqu'il publiera à l'avenir ses nouveaux plans pour les salaires et autres dépenses et investissements dans le service.

3- Quel a été l'impact du Covid-19 sur la classe ouvrière britannique ? Quelles sont les politiques initiées par le gouvernement dans ce domaine ?

Les décisions prises par le gouvernement à partir de la mi-mars de fermer plusieurs catégories de lieux de travail et de subventionner les revenus des travailleurs licenciés et des indépendants ont été tardives, peu claires, fragmentaires et incomplètes.

Les entreprises ont reçu de généreuses aides financières pour maintenir les emplois, mais nous constatons aujourd'hui que certains grands employeurs se servent de la pandémie pour restructurer leurs activités et licencier des centaines de milliers de travailleurs.

Bien sûr, ils espèrent également que leur main-d'œuvre restante continuera à travailler encore plus dur pour des salaires plus bas, avec des horaires de travail plus longs et des régimes de retraite moins avantageux lorsque l'économie aura vraiment repris.

Dans le même temps, le gouvernement conservateur et les grandes entreprises font de plus en plus pression sur les travailleurs pour qu'ils travaillent dans des conditions dangereuses ou pour qu'ils retrouvent le plus rapidement possible un emploi "normal".

Les syndicats ont raison de résister et une lettre ouverte du Parti communiste à tous les travailleurs exhorte les salariés à arrêter collectivement le travail lorsque les employeurs tentent d'imposer des pratiques de travail rendues dangereuses par l'urgence actuelle.

4- Que pensez-vous du récent changement de direction au sein du Parti travailliste ? Selon vous, quelles sont les principales raisons de la défaite du Parti travailliste aux élections de 2019 ?

Les attaques impitoyables contre Jeremy Corbyn et son leadership, non seulement de la part de la presse de droite en Grande-Bretagne, mais aussi des médias dits "libéraux" tels que la BBC, Channel Four News et - aussi cruellement que partout ailleurs - du journal Guardian, ont eu un impact négatif important sur l'opinion publique.

C'était prévisible, étant donné son passé de député socialiste et anti-impérialiste. Corbyn lui-même ne s'attendait pas à une telle trahison à grande échelle et répétée de la part de nombreux députés antisocialistes, pro-impérialistes, pro-nucléaires, pro-OTAN et pro-européens issus de son propre parti.

Face à cette offensive, certains de ses plus proches alliés se sont affaiblis et le Parti travailliste n'a pas tenu sa promesse de respecter le résultat du référendum européen de 2017 en mettant en œuvre la décision des électeurs de quitter l'UE, une entité au service du grand capital et de l'OTAN.

Les agissements de nombreux députés travaillistes pour entraver le Brexit au Parlement de Westminster, suivis par la nouvelle politique du Parti visant à ce qu'un gouvernement travailliste négocie un nouvel accord de sortie avec l'UE - puis fasse campagne contre ce dernier en demandant un second référendum - ont contribué à faire fuir des millions d'électeurs travaillistes de la classe ouvrière en 2019.

Le Parti travailliste a perdu 54 sièges contre les conservateurs lors des élections de décembre dernier, la plupart de ces sièges étaient marginaux pour le parti, néanmoins une partie d'entre eux se trouvait auparavant dans des bastions travaillistes. 52 d'entre eux étaient se trouvaient également dans des circonscriptions où la majorité des électeurs s'étaient opposés au maintien dans l'UE lors du référendum de 2016.

5. Le CPB a soutenu l'aile gauche au sein du Parti travailliste dirigé par Corbyn. Est-il encore possible de soutenir de tels partis ou est-il grand temps pour la gauche britannique de se reconfigurer radicalement dans une autre voie ?

Le changement de direction du Parti travailliste représente sans aucun doute un tournant important vers la droite au sein de ce parti et une défaite pour la gauche dans le mouvement ouvrier organisé. Pourtant, le Labour reste de loin le principal outil électoral de ce mouvement et - sauf en Écosse pour le moment - des électeurs de la classe ouvrière.

La bataille politique entre la gauche et la droite dans le mouvement ouvrier se reflète dans le Parti travailliste. C'est pourquoi il ne sert à rien de souhaiter - en dépit des 100 ans d'expérience du parti communiste en matière de lutte politique de classe - que le parti travailliste disparaisse, ni d'imaginer que sa position aux élections, au gouvernement et sur la scène politique à tous les niveaux et dans chaque nation de Grande-Bretagne s'effondrera bientôt.

Cependant, l'expérience récente a également démontré une fois de plus les limites de la social-démocratie et combien il est difficile, voire impossible, de transformer le Parti travailliste en un vecteur du socialisme.

Modifier la composition du Parti travailliste parlementaire, pour commencer, serait une tâche énorme qui nécessiterait une recrudescence massive et durable de la lutte extra-parlementaire dans laquelle le rôle moteur d'un Parti communiste beaucoup plus grand et plus influent serait essentiel.

Tel est le message du CPB aujourd'hui, projeté dans la nouvelle édition de notre programme, "Britain's Road to Socialism" (La route britannique vers le socialisme), qui contribue désormais à réaliser le plus haut niveau d'adhésion au parti depuis la campagne populaire de masse contre la guerre en Irak.

C'est pourquoi nous organisons ce week-end dix formations en ligne pour les nouveaux et potentiels adhérents en Angleterre, en Écosse et au Pays de Galles. La cohérence et la croissance des programmes du Parti communiste contrastent avec l'incohérence, la confusion et la division qui règnent actuellement au sein de presque toutes les autres formations politiques de gauche en Grande-Bretagne.

6. Quelle est votre évaluation préliminaire sur la situation de la Grande-Bretagne suite à sa sortie de l'UE et quel est le plan d'action du CPB sur les mesures à prendre dans la société britannique post-UE ?

Soutenus par des sections puissantes du grand capital, de l'État et de l'establishment politique en Grande-Bretagne, les partisans de l'UE qui rejettent le verdict démocratique de 2016 continuent de prédire une catastrophe suite au résultat du Brexit.

Leurs prévisions d'effondrement immédiat, de chômage de masse, d'indigence, de pénurie alimentaire, de violence raciale et d'isolement culturel ne s'étaient pas concrétisées avant que la pandémie de Covid-19 n'arrive cette année.

Aujourd'hui, ils essaient de rendre le Brexit responsable des échecs du gouvernement dans la crise du coronavirus et de l'ampleur des dommages qu'il cause à l'économie britannique.

Ils serviraient mieux la classe ouvrière en faisant pression sur le gouvernement conservateur et sur l'UE pour négocier de futures relations qui respectent et mettent en œuvre un véritable Brexit.

Cela signifierait qu'il faudrait restaurer la pleine souveraineté du Parlement et du gouvernement de Westminster sur l'élaboration des politiques - dont une grande partie pourrait ensuite être dévolue aux parlements écossais et gallois comme prévu - tout en établissant de futures relations économiques, commerciales, sociales et culturelles entre la Grande-Bretagne et l'UE qui soient mutuellement bénéfiques pour tous nos peuples.

Mais tout nouvel arrangement ne doit pas servir à entraver les projets de futurs gouvernements britanniques qui souhaiteraient mener des politiques progressistes et anticapitalistes sur le plan intérieur ainsi qu'une politique étrangère et de défense indépendante fondée sur la solidarité et le respect mutuel entre les peuples du monde entier.

Le Parti communiste appelle la gauche, le mouvement ouvrier, les organisations progressistes et communautaires à s'unir et à se préparer à résister à l'inévitable offensive de la classe dirigeante pour faire payer à la classe ouvrière le prix des mesures d'urgence contre le coronavirus, qui quadruple actuellement les emprunts du gouvernement britannique auprès des marchés obligataires capitalistes.

En construisant ce mouvement de masse avec les syndicats et avec la People's Assembly (Assemblée du Peuple), nous créerons également les bases pour passer à l'offensive et faire tomber ce régime réactionnaire, anti-populaire et anti-ouvrier que nous avons en Grande-Bretagne en ce moment.

Cet article a été publié pour la première fois sur le site peoplesdispatch.org.

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