"Nous ne paierons pas pour votre crise" - Entretien avec le Président du Parti communiste allemand (DKP)
28 mai 2020Entretien du journal Peoples Dispatch avec Patrik Köbele, président du Parti communiste allemand (DKP), sur la position des communistes allemands face à la crise de COVID-19.
Traduction NK pour Solidarité Internationale PCF

Le parti communiste allemand (DKP) a proclamé que la classe ouvrière allemande ne paierait pas pour la crise infligée suite à la pandémie de COVID-19. Le parti a organisé un meeting sur la place Ernst-Wilczok à Bottrop le 9 mai dernier, où le président du DKP, Patrik Köbele, s'est adressé aux participants.
Le DKP s'est interrogé : "D'où vient soudainement une telle quantité d'argent pour le sauvetage des grandes industries, alors que les mesures d'austérité dans le secteur de la santé poussent les travailleurs aux limites de leurs forces. Avec des prix en constante augmentation, il est impossible pour les personnes à faible revenu et les pauvres de joindre les deux bouts, sans parler du budget pour les équipements de protection nécessaires. Alors que des milliards sont gaspillés pour les riches, il n'y a pas d'argent pour nous".
"Que les riches paient la facture ! Ne permettez pas que nos droits fondamentaux tels que le droit de réunion et la liberté d'expression soient bafoués. Battez-vous à nos côtés pour la solidarité en temps de crise : nous ne paierons pas pour votre crise", a déclaré le DKP.
Au 25 mai, plus de 180 595 personnes ont été testées positives au COVID-19 en Allemagne et au moins 8 309 personnes sont décédées. Pendant ce temps, les organisations d'extrême droite du pays ont organisé dans toute l'Allemagne des "manifestations pour l'hygiène" à caractère racial ainsi que des manifestations contre le confinement.
Le gouvernement a essayé de contrôler l'augmentation du nombre de morts par des mesures strictes, notamment la distanciation sociale et le confinement, ainsi que des traitements médicaux vitaux. Dans un tel contexte, les manifestations anti-confinement et les appels à la reprise de l'économie lancés par certains groupes ont suscité des inquiétudes quant à la sécurité des travailleurs. D'autre part, sous couvert de COVID-19, le gouvernement a accordé des aides généreuses aux grandes entreprises par le biais de plans de relance, tout en laissant la classe ouvrière en danger. Le DKP a également critiqué l'Union Européenne dirigée par l'Allemagne pour son manque de solidarité avec les États et les peuples d'Europe en difficulté pendant la crise.
Köbele avait auparavant lancé une pétition demandant au Bundestag (Parlement fédéral allemand) et au gouvernement fédéral de lever toutes les sanctions qui restreignent ou entravent l'échange mondial de dispositifs médicaux, d'équipements de santé, de fournitures médicales et d'informations scientifiques. Il a également demandé l'arrêt immédiat, et pas seulement le "gel", des exercices militaires américains de l'opération "Defender Europe 2020" afin d'éviter le risque de conflit et de freiner la propagation incontrôlée de la pandémie de COVID-19.
Le 9 mai, les cadres du DKP ainsi que diverses autres organisations antifascistes ont célébré le 75ème anniversaire de la Victoire sur les forces nazies en Allemagne qui a mis fin à la Seconde Guerre mondiale en Europe. Des hommages ont également été rendus aux vétérans et aux héros de la guerre anti-nazie tombés au combat.
Le journal Peoples Dispatch (PD) s'est entretenu avec le président du Parti communiste allemand (DKP), Patrik Köbele, au sujet de la situation dans le pays, du mécontentement de la classe ouvrière vis-à-vis du gouvernement et de la montée de l'extrême droite.
Peoples Dispatch : Quel est votre point de vue sur la politique du gouvernement allemand dirigé par l'Union chrétienne-démocrate (CDU) ? Quels sont les impacts des politiques de ce gouvernement sur les travailleurs, les femmes et les jeunes en Allemagne ?
Patrik Köbele : Tout d'abord, je dois apporter une rectification. Nous avons en Allemagne un gouvernement de coalition entre la CDU et le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD). Il s'agit d'un gouvernement au service des intérêts du capital monopolistique. Il soutient toutes les attaques contre les droits sociaux des travailleurs, des femmes et des jeunes. Il se trouve toutefois dans une situation plutôt confortable puisqu'il dispose d'importants moyens financiers en raison de la position particulière de l'Allemagne dans l'Union Européenne. C'est ici que sont générés les extra-profits impérialistes. Ces profits permettent également de prendre en considération une petite partie de la classe ouvrière, qui devient ainsi conciliantes avec la classe dirigeante. Ces couches de la classe ouvrière exercent cependant une influence importante sur l'opinion publique au sein des syndicats. Cela conduit à un affaiblissement général de la résistance syndicale face à la politique de ce gouvernement. Cela entraîne également une intégration de grandes portions du mouvement ouvrier dans la politique impérialiste de ce gouvernement.
PD : Quelles sont les principales raisons de la montée de l'extrême-droite en Allemagne ? Comment des partis ultra-nationalistes comme l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) peuvent-ils devenir populaires et forts dans les provinces allemandes, notamment en Saxe ?
PK : On a l'impression que le gouvernement de Merkel a mis en place une politique de réfugiés presque humaine. Nous ne la considérons pas comme telle. L'accueil d'un grand nombre de réfugiés au cours des dernières années a été fait surtout pour augmenter le nombre de travailleurs et pour accroître la concurrence entre les exploités. Il en résulte une crainte, justifiée du point de vue de beaucoup de gens. En combinaison avec les mesures réactionnaires de refonte de l'État mais aussi la faiblesse de la gauche (également du parti communiste) dans le pays, cette peur conduit non pas à la résistance contre le capitalisme monopoliste, mais la plupart du temps au racisme et au nationalisme. Tout cela constitue le fondement de la croissance du parti "Alternative pour l'Allemagne" (AFD), qui est un parti raciste et nationaliste. Une grande partie des cadres de ce parti a été recrutée dans les rangs de la CDU, d'autres proviennent d'organisations fascistes. Mais ils attirent néanmoins une partie du vote de la classe ouvrière.
PD : Quelle est l'opinion du grand public concernant le régime socialiste de l'ancienne République démocratique allemande ? Existe-t-il aujourd'hui une disproportion importante entre les développements socio-économiques des régions de l'Est et de l'Ouest de l'Allemagne ?
PK : Oui, il existe d'énormes différences sociales et économiques entre l'Est et l'Ouest de l'Allemagne, même 30 ans après la contre-révolution en RDA et son annexion. L'Est, c'est-à-dire l'ancienne RDA, a été presque entièrement désindustrialisé. Il y a eu une destruction des moyens de production digne des effets d'une guerre. Cela a conduit des millions de gens à quitter l'Allemagne de l'Est, et les personnes qui y vivent aujourd'hui sont en général d'un âge avancé et se composent de personnes qui ne font plus partie du processus de production.
Dans le même temps, l'œuvre de millions d'anciens citoyens de la RDA a été banalisée par une propagande anticommuniste intensive. Mais la classe dirigeante n'a pas réussi à ancrer complètement la délégitimation de la RDA dans l'esprit du peuple, même après 30 années de tentatives. Cela est encore plus vrai à l'Est qu'à l'Ouest. La classe dirigeante elle-même doit donc admettre que l'Allemagne est toujours divisée.
PD : Comment la société allemande actuelle chérit-elle les souvenirs de la révolution allemande de 1918-19, de la victoire soviétique sur les nazis, et de dirigeants comme Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht, Ernst Thalmann, entre autres ?
PK : Il n'est jamais mentionné que les soldats et les ouvriers allemands voulaient une révolution socialiste pour éliminer les causes des guerres, et sont donc devenus la force motrice de la Révolution de Novembre. Les événements sont réduits à la date de naissance de la démocratie bourgeoise de la soi-disant "République de Weimar". Il n'est jamais mentionné que cette victoire sur les ouvriers et les soldats révolutionnaires a causé la mort de nombreuses personnes. Il n'est pas non plus mentionné que le gouvernement dirigé par le social-démocrate Ebert avait tendu la main aux anciennes forces militarisées dans ce but, et qu'ainsi, il avait notamment laissé se produire le meurtre de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, voire l'avait directement ordonné.
Ernst Thälmann a été qualifié de stalinien et de marionnette de Moscou. Il y a également la volonté d'occulter le rôle que l'Union soviétique et l'Armée rouge ont joué dans la libération de l'Allemagne et de l'Europe du fascisme hitlérien. Une décision scandaleuse du Parlement européen déclare que l'Union soviétique est également responsable du fascisme et de la guerre. Nous pouvons dire que la classe dirigeante et les médias en Allemagne et dans l'UE sont en train de réécrire radicalement l'Histoire.
PD : Quel est le point de vue du DKP sur l'expansionnisme de l'Union européenne et de l'OTAN dans la région ?
PK : Nous disons que l'expansion de l'OTAN à l'est fait partie de la politique d'encerclement de la Fédération de Russie et de la Chine. Elle est menée par les principaux impérialistes - les États-Unis, l'Allemagne, la France et l'Angleterre, et par l'UE. Nous estimons que c'est là le principal danger pour la paix, et que cela a déjà conduit à des guerres (par exemple, en Syrie ou en Ukraine). L'OTAN est une alliance militariste. Pour notre pays, nous exigeons la sortie de l'OTAN, et nous exigeons que les forces armées de l'OTAN quittent le territoire allemand. Nous affirmons que nous avons besoin d'une politique de paix avec la Russie et la Chine. Nous pensons que l'UE est une construction impériale et que nous devons la transcender. Nous rejetons donc toute expansion de l'OTAN et de l'UE.
PD : Pouvez-vous citer quelques-unes des principales initiatives et campagnes du DKP en faveur de la promotion des droits de la classe ouvrière dans le pays ? Selon vous, quel est le rôle précis du DKP et de ses organisations de masse dans la situation politique actuelle en Allemagne ?
PK : Nous sommes, comme nous l'avons indiqué, un petit parti. Nous avons néanmoins joué un rôle important dans la campagne pour la paix dirigée contre un projet de l'OTAN visant à augmenter les dépenses militaires à 2 % du PIB. Cela aurait signifié presque le doublement des dépenses militaires pour l'Allemagne. En ce qui concerne les mouvements de la classe ouvrière, nous avons participé activement aux luttes menées dans le secteur de la santé, au cours desquelles nous avons réclamé l'embauche de plus de personnel. Mais nous avons encore trop peu d'adhérents dans ce secteur. C'est pourquoi nous accordons une grande importance à la lutte pour renforcer notre parti et pour trouver plus de soutien parmi la classe ouvrière.
Afin de s'attaquer à la crise infligée aux couches les plus pauvres de la population suite au COVID-19, le DKP a également adressé une série de revendications au gouvernement.
Les revendications du DKP :
- Augmentation de 100€ pour les bénéficiaires de prestations sociales
- Interdiction des coupure de courants ;
- Utilisation gratuite des transports publics locaux ;
- Des programmes d'aide pour les enfants et les adolescents issus de familles pauvres, pour les sans-abri et les réfugiés ;
- Augmentation des allocations de chômage partiel à 100 % ;
- Plus de personnel et augmentation des salaires dans les hôpitaux et les maisons de retraite ;
- Arrêt des privatisations dans le secteur de la santé : pas de profit avec la santé ;
- Plans de sauvetage pour les municipalités et suppression de toutes les anciennes dettes ;
- Impôt sur la fortune pour les riches ;
- Pas de déploiement de la Bundeswehr à l'extérieur ;
- Réduction immédiate du budget de l'armement et retrait de l'objectif de 2 % pour l'armement de l'OTAN ;
- Abolition de toutes les sanctions contre les pays dits "impopulaires" et allégement de la dette des pays les plus pauvres pour lutter contre les pandémies et surtout :
- Rester à l'écart de la Loi fondamentale !
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