"Nous voulons que la jeunesse tchèque fasse une évaluation critique des 30 années de capitalisme dans lesquelles elle a grandi" - Interview avec le Président des Jeunes Communistes de Prague
24 mai 2020Le journal Peoples Dispatch s'est entretenu avec Lubos Petricek, président des Jeunes Communistes de Prague (MK), qui revient sur la situation politique en République tchèque et sur l'orientation du Parti communiste de Bohême et de Moravie (KSČM).
Traduction NK pour Solidarité Internationale PCF
Nous nous entretenons avec Lubos Petricek, président de la Commission des Jeunes Communistes de Prague (MK) du Parti communiste de Bohême et de Moravie (KSČM), sur la situation politique en République tchèque.
La désintégration de l'Union soviétique et la fin des régimes communistes en Europe de l'Est ont entraîné des changements politiques radicaux dans la région. De nombreux partis communistes sont passés à la social-démocratie et ont modifié leurs programmes politiques, voire leurs noms. Certains d'entre eux ont fini par approuver le néolibéralisme et l'Union européenne. Les formations communistes qui n'ont pas suivi cette tendance ont souvent été persécutées, ce qui a entraîné de sérieux revers.
Le mouvement communiste dans l'actuelle République tchèque est l'un des successeurs de ces quelques partis communistes qui ont réussi à survivre à ces attaques. Le Peoples Dispatch s'entretient aujourd'hui avec Lubos Petricek, président de la Commission des Jeunes Communistes de Prague (MK) du Parti communiste de Bohême et de Moravie (KSČM), au sujet de leur rôle dans la politique tchèque contemporaine.
Peoples Dispatch (PD) : Quel est votre avis sur l'impact de la pandémie de COVID-19 sur la République tchèque ? Quelle a été la réponse du gouvernement ?
Lubos Petricek (LP) : Les premiers cas confirmés sont apparus le 1er mars, et 15 jours plus tard, notre république a été mise en quarantaine, et l'état d'urgence a été déclaré, sauf pour les services essentiels nécessaires, notamment la santé et l'alimentation. Les actions du gouvernement n'ont pas été mauvaises, mais elles ont été communiquées de manière généralement très confuse et chaotique. Certaines réglementations ont été modifiées trois fois dans la même semaine. Un plan d'assouplissement progressif des mesures a déjà été mis en place pour fin juin, qui pourra être actualisé en fonction de la situation
PD : Quel a été l'impact du COVID-19 sur la classe ouvrière tchèque ? Quelles sont les propositions du KSČM et des MK pour faire face à la crise liée au COVID-19 ?
LP : Les travailleurs des hôtels, du secteur de la restauration et des autres services ont été particulièrement touchés. Le chômage a atteint 3,5% à ce jour [au 16 mai], mais il devrait continuer à augmenter. Un obstacle majeur est que les écoles et les jardins d'enfants sont fermés et que les membres de la famille qui travaillent doivent donc rester à la maison, ce qui réduit considérablement leur budget familial. Le KSCM a présenté un programme en dix points par lesquels il entend résoudre la crise, que vous avez déjà relayé sur le site Peoples Dispatch.
PD : Quel est le point de vue des Mladí komunisté (MK) et du KSCM sur la politique du gouvernement dirigé par Andrej Babis ? En particulier envers les jeunes, les étudiants, les femmes et la classe ouvrière ?
LP : Notre parti au Parlement a fixé sept questions prioritaires concernant le gouvernement d'Andrej Babiš. Tous ces points sont importants, mais en ce qui concerne la classe ouvrière, l'augmentation du salaire minimum, la protection des ressources naturelles (en particulier l'eau), la prévention d'une hausse des prix du logement et le maintien de la qualité des services de santé gratuits, sont probablement les plus importants. En tant que Jeunes Communistes de Prague, nous nous concentrons principalement sur les coûts élevés du logement, sur les pratiques déloyales des promoteurs immobiliers et sur la réécriture de l'Histoire dans les espaces publics de notre capitale.
PD : Comment le KSCM a-t-il réussi à survivre dans le pays en tant que parti communiste dans la période post-soviétique ? Quelles sont les principales initiatives et campagnes du parti et de ses organisations de masse qui l'ont aidé à influencer les masses ? Pourquoi le mouvement est-il appelé Parti communiste de Bohême et de Moravie et non pas Parti communiste de la République tchèque ?
LP : Je vais commencer par la dernière question. Le Parti communiste de Bohême et de Moravie a été fondé en 1990, à une époque où la Slovaquie et la Tchéquie formaient encore une fédération. Le Parti communiste de Tchécoslovaquie avait donc été divisé en deux groupes - un pour la Slovaquie et un pour la Tchéquie. A cette époque, notre parti politique a connu des changements radicaux en interne. Par exemple, nous avons participé aux élections de 1992 en tant que membre du Bloc de gauche avec la Gauche démocratique (des communistes qui avaient supprimé le mot "communiste" de leur nom). L'échec de ces partis communistes marginaux n'a fait que convaincre les membres restants du KSČM de ne plus changer de nom et a contribué à renforcer la confiance des citoyens dans le mouvement communiste sous la dénomination de KSČM.
Il est difficile de déterminer ce qui a spécifiquement contribué à maintenir notre influence politique. Il s'agit certainement du caractère revendicatif de notre parti. Nous nous sommes notamment fermement opposés à la privatisation criminelle de l'industrie d'État, des services de santé et de presque tout ce que le socialisme avait construit. Nous rejetons également le pacte de l'OTAN et les autres programmes antisociaux des gouvernements de droite. Néanmoins, l'âge moyen de nos membres est d'environ 75 ans et le nombre d'adhérents du parti est en baisse, j'estime que nous comptons actuellement environ 30 000 membres. Dans ces conditions, il ne peut y avoir d'événements de masse.
Actuellement, le parti le plus fort du pays (ANO) et d'autres formations politiques se font passer pour des anti-système, et un marketing politique habile nous a fait perdre beaucoup de voix contestataires. Lors des dernières élections, nous n'avons eu que 7,76 % des voix, mais pour la première fois depuis la création du parti il y a trente ans, nous avons pu exercer une influence sur le gouvernement. Nous sommes conscients que ce comportement a brisé le mouvement communiste français lorsqu'il avait commencé à coopérer avec le gouvernement de son pays, mais l'avenir nous dira si c'était une bonne décision ou non. Nous n'avions que deux options : tolérer le gouvernement Babis ou bien laisser les partis de droite créer un gouvernement de coalition antisocial.
PD : Vous êtes sûrement au courant de la résolution anticommuniste adoptée récemment par le Parlement européen et des lois de décommunisation en vigueur en Pologne et dans plusieurs autres pays ? Le KSČM ou ses organisations de masse ont-ils une quelconque expérience de la persécution politique par l'État ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la polémique concernant la statue du général Ivan Koniev et sur vos projets et campagnes pour lutter contre les forces racistes et néo-fascistes dans la région ?
LP : Nous sommes extrêmement consternés et irrités par cette résolution. Notre député européen communiste a été le seul tchèque à voter contre cette résolution. Le résultat de cette résolution se fait déjà sentir dans le pays. Nous avons notamment pu constater le démantèlement de la statue du Maréchal Koniev, mais aussi le retrait de la plaque commémorative de la libération de Prague par l'Armée rouge, ou encore le vandalisme d'autres monuments commémoratifs de l'Armée rouge. Dans l'un des quartiers de Prague, au début du mois de mai, une plaque commémorative a également été érigée à la mémoire des collaborateurs nazis.
Dans notre campagne contre les partisans indirects du fascisme, nous nous tournons vers les historiens pour nous aider à expliquer les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et à clarifier les crimes perpétrés par ces collaborateurs des nazis contre la population civile.
De nombreux efforts ont été déployés pour dissoudre notre parti. Ces efforts n'ont cependant pas abouti. La dernière tentative a eu lieu en février.
PD : En tant qu'organisation de jeunesse dans le pays, quel est votre point de vue sur les aspirations politiques des jeunes du pays ?
LP : Pour clarifier notre position, la Commission de jeunesse dans laquelle nous opérons n'est pas vraiment une organisation de jeunesse classique. De par notre statut interne, nous ne sommes qu'un organe consultatif auprès du KSČM en matière de jeunesse. Notre république est divisée en 14 régions, et dans chacune d'entre elles, nous avons des organes élus en interne. La commission de jeunesse fait office de comité consultatif pour les organes régionaux du parti. Dans chaque région, le jeune président est ensuite délégué pour agir au sein d'une commission nationale, qui crée ainsi un organe consultatif auprès de la direction de notre parti.
Nous essayons donc de travailler au sein du parti et d'apporter des idées, des pratiques et des réflexions nouvelles. Dans le même temps, nous nous adressons à la jeunesse et notre objectif est d'ouvrir les yeux de nos pairs afin qu'ils ne soient pas aveuglés par les médias et le marketing politique, et qu'ils puissent faire une évaluation critique des 30 années de capitalisme dans lesquels ils ont grandi.
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