Nagorno-Karabakh: une vieille querelle actualisée
06 oct. 2020L'ancien diplomate turc Engin Solakoğlu commente le conflit dans la région Nagorno-Karabakh entre l'Azerbaijan et l'Arménie. Il soutient qu'il n'est pas facile d'estimer combien de temps va durer le conflit et quelle en sera l'issue, "mais il est hautement probable que la Russie en décide, et non les missiles imaginaires que quelques pom-pom girls politiques inhumaines et opportunistes désirent envoyer sur les civils."
Alors que nous disions "Que 2020 se termine et que nous ayons un peu de souffle", alors qu'il nous restait moins de 100 jours pour la nouvelle année, nous avons été surpris par des tirs de canon venant du Nord-Est. Comme c'est la coutume, les deux parties se reprochent mutuellement de savoir qui a tiré le premier coup de feu. En dehors de cela, nous pouvons voir que l'Azerbaïdjan, qui se plaignait du statu quo, a lancé une vaste opération et que l'Arménie et l'administration du Nagorno Karabakh ont riposté de la même manière.
L'ARMÉNIE EST-ELLE VICTIME ?
Nous rencontrons de nombreuses analyses dans les médias occidentaux et leurs prolongements turcs, qui parlent d'une "troisième guerre par procuration entre la Russie et la Turquie". Cependant, la question du Nagorno Karabakh [ndlr.: Haut Karabagh] a des dimensions différentes. Tout d'abord, il faut se tenir à l'écart des réflexes, qui peuvent se résumer à: "l'Azerbaïdjan a attaqué le Nagorno Karabakh, les Arméniens sont les victimes, il faut prendre parti pour la victime". La question ne se limite pas au Nagorno Karabakh, dont le droit à l'autodétermination doit être discuté et une solution trouvée. Sept provinces d'Azerbaïdjan sont sous l'occupation de l'Arménie et environ un million de personnes originaires de ces provinces vivent comme réfugiés dans leur propre pays. Il n'y a aucun problème à pointer du doigt les péchés de l'administration azerbaïdjanaise népotique (pour ne pas dire plus). Mais la principale raison pour laquelle ces personnes sont devenues réfugiés est bien l'occupation par l'Arménie.
QUE FAIT L'AZERBAIDJAN ?
Je pense que l'Azerbaïdjan veut reprendre ses sept provinces, et s'asseoir à la table d'éventuelles négociations en disposant d'un rapport de force. Les circonstances sont propices. Du groupe de Minsk [constitué à la suite de la conférence sur la "Sécurité et la Coopération en Europe" à Minsk en 1992 afin de résoudre le conflit au Nagorno Karabakh], les Etats-Unis n'ont plus d'intérêts spécifiques, les pays de l'UE sont inefficaces, tandis que la Russie a d'autres intentions sur la région. Je pense que l'hypothèse selon laquelle "la Turquie a provoqué l'Azerbaïdjan, et envoyé au front plusieurs centaines ou milliers de djihadistes de Syrie" n'est pas très réaliste. Sans aucun doute, l'Azerbaïdjan a reçu au moins un feu orange de la Russie, suffisant pour déclencher cette guerre. Puis elle s'est tournée vers la Turquie et a reçu le soutien de l'administration de l'AKP. L'Azerbaïdjan a ensuite lancé l'opération.
Des milliers de livres devraient être conseillés à ceux qui pensent qu'une opération militaire de cette ampleur, dans le Caucase du Sud, peut être lancée sans que la Russie en soit informée et sans son consentement. En des termes plus simples, le calcul de l'administration Poutine est de donner une leçon à Pashinyan [premier ministre arménien depuis 2018] qui cherche à prendre ses distances avec la Russie ; d'accorder quatre ou cinq jours à l'Azerbaïdjan pour reprendre ses provinces sous occupation ; puis de ramener la question du Nagorno Karabakh à la table des négociations ; et de la faire reporter pendant des années, afin de garantir la poursuite de la présence russe dans la région.
QUEL RÔLE POUR LA DINDE [L'AZERBAIDJAN]?
Il n'y a pas de preuve tangible que l'administration turque, comme le prétend l'Arménie, ait joué la provocation et ait poussé l'Azerbaïdjan au front. Cependant, il ne fait aucun doute que l'administration de l'AKP est très heureuse de voir ce vieux conflit ressurgir. Cela lui rapportera un profit autant politique qu'un économique. Sur le plan politique, il n'y a pas de meilleure occasion qu'une guerre entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie pour renforcer le nationalisme en Turquie et consolider le pouvoir. Sur le plan économique, le flux de trésorerie provenant de la vente d'armes [à l'Azerbaïdjan] sera d'un soutien vital pour le Trésor, réduit à sec par les dernières manoeuvres du ministère de l'économie.
Pour résumer brièvement l'affaire, l'Azerbaïdjan a lancé cette opération en accord de la Russie. La Turquie n'affronte pas directement la Russie mais soutient volontiers la mise en scène voulue par Poutine et jouée par l'Azerbaïdjan, "l'ami et la soeur". Autrement dit, ceux qui s'attendent à un duel entre la Turquie et la Russie dans ce conflit vont être déçus.
L'Arménie, qui a profité du status quo jusqu'ici, va s'efforcer de mettre fin à l'offensive de l'Azerbaïdjan le plus rapidement possible et en lui infligeant des pertes maximales (afin d'empêcher toutes vélléités d'offensives à court terme). L'Arménie intensifiera par la suite sa communication sur le thème "nous sommes un pays outsider et victime" et fera de la Turquie - qui a épuisé son capital de sympathie - une cible. Par ailleurs, en utilisant la diaspora arménienne, elle poussera les pays occidentaux à adopter une position plus active dans la région.
Ces dernières années, l'Azerbaïdjan a utilisé ses revenus provenant des hydrocrbures pour enrichir la famille régnante [la famille Alyiev au pouvoir depuis 1993, peu après l'indépendance] et pour renforcer son armement, non pas le bien-être de son peuple. L'Arménie, elle, lutte depuis longtemps contre la pauvreté; ce qui lui a fait perdre une bonne partie de sa population. Ainsi, l'Azerbaïdjan possède une supériorité militaire écrasante sur l'Arménie, mais les armes ne décident pas toujours de l'issue des guerres.
LA RUSSIE VA DÉCIDER
Il n'est pas facile d'estimer la durée de ce conflit et de son issue. Mais il est hautement probable que la Russie en décidera, et non les missiles imaginaires que certaines pom-pom girls politiques souhaitent envoyer sur les civils.
En conclusion, disons que le fait d'avoir été une fois opprimé ne donne pas le droit aux gens de se muer ensuite en oppresseurs. La réponse finale à ceux qui paradent en criant "Nous sommes tous..." vient d'un des plus grands patriotes de ce pays, Hrant Dink : "Une solution au conflit du Karabakh ne sera possible que par le retrait des terres que l'Arménie a occupée." (Dink était un intellectuel arménien renommé en Turquie; il a été assassiné par les fascistes en 2007).
UNE BREVE HISTOIRE DU CONFLIT AU NAGORNO-KARABAKH
La région du Nagorno-Karabakh principalement peuplée d'Arméniens fut revendiquée par la République démocratique d'Azerbaijan et la 1ère République d'Arménie, deux pays indépendants fondés en 1918 après la chute de l'Empire Russe.
A la suite de l'indépendance, une courte guerre éclata entre l'Arménie et l'Azerbaidjan à propos de cette région en 1920. La discorde fut largement réglée après que les deux pays ont rejoint l'Union Soviétique et que les autorités soviétiques ont créé la région autonome du Nagorno-Karabakh Autonomous Oblast (NKAO) au sein de la République socialiste d'Azerbaijan en 1923.
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Cependant, le conflit au Nagorno-Karabakh ressurgit en 1988, tandis que l'Union soviétique se désintégrait. La majorité des Arméniens au Karabakh accusait le gouvernement d'Azerbaidjan d'"azerification forcée" et a cherché à réintégrer la région au sein de la République socialiste d'Arménie.
En 1991, la région Nagorno-Karabakh, soutenue par l'Arménie, s'est déclaré république indépendante à la suite d'un référendum au NKAO. Ce référendum a déclenché la guerre avec l'Azerbaidhan et un conflit ethnique entre 1991 et 1994. Le conflit fut interrompu par un cessez le feu instaurant un status quo bénéfique à l'Arménie, non remis en cause depuis lors. Le conflit a ré-éclaté en 2016 lorsque l'Azerbaijan a menacé de reprendre la région du Nagorno-Karabakh, faisant 100 morts de chaque côté.
Paru dans SoLinternational (site du TKP)
le 19/09/2020
MR pour Solidarité Intenationale PCF
Nagorno-Karabakh: An old case with a new look
Turkish ex-diplomat Engin Solakoğlu commented on the large scale military hostilities along the line of contact in the Nagorno-Karabakh conflict zone. Solakoğlu argues that it is not easy to ...
https://news.sol.org.tr/nagorno-karabakh-old-case-new-look-176927
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