KKE : "Nous disons adieu à Mikis Theodorakis"

Texte publié sur le site du KKE le 2 septembre 2021. Traduction MR pour Solidarité Internationale - Vivelepcf

Déclaration du Comité Central du KKE à l'occasion de la mort de Mikis Theodorakis :

« C'est avec une profonde tristesse et des applaudissements retentissants que nous faisons nos adieux à Mikis Theodorakis : un combattant-créateur, un leader et le pionnier d'un nouvel art musical militant. Impulsif, inspiré et désirant ardemment donner au peuple, Theodorakis a réussi à rendre compte dans son œuvre majestueuse de l'épopée des luttes populaires du 20ème siècle dans notre pays. Après tout, il faisait aussi partie de cette épopée.

A 17 ans, il rejoint l'EAM (Ethnikó Apeleftherotikó Métopo), le Front de Libération National, et peu après le KKE, participant ainsi à la Résistance nationale grecque. En décembre 1944, il participe à la bataille d'Athènes, qui a entraîné un bain de sang. Après la défaite de l'Armée Démocratique de Grèce, lui et ses camarades subissent de graves persécutions de la part de l'État bourgeois. Il est exilé à Ikaria et Makronisos, où il est brutalement torturé. Dans les années qui ont suivi, il s'est battu aux côté de l'Union de la gauche démocratique (EDA) et du mouvement des Jeunesses Lambrakis pour la renaissance culturelle, payant son activité illégale contre la dictature des colonels en 1967 par de nouvelles difficultés, des emprisonnements puis l'exil. Les concerts qu'il donne à l'étranger jusqu'à la chute de la dictature, puis dans toute la Grèce, étaient spectaculaires. En 1978, il est candidat du KKE à la mairie d'Athènes. En 1981 et 1985, il est élu député du Parti. « J'ai vécu mes plus grandes et plus belles années dans les rangs du KKE », avait-il déclaré lors de l'événement organisé par le Parti en l'honneur de ses 90 ans.

Un des concerts de Mikis Theodorakis en Grèce après la chute du régime des colonels

Theodorakis n'a jamais oublié ses idéaux de liberté et de justice sociale. Son travail était une confrontation constante avec l'injustice et le défaitisme, un appel au combat, à de nouvelles luttes, à la résistance, à l'élévation et à l'espoir. « Romiosini » [1] était sa réponse à l'amertume et à la frustration d'un peuple aux rêves brisées qui n'ont toujours pas été vengés. Cette détermination à vivre et à lutter n'est ni superficielle ni toujours facile. Parfois, elle émerge à travers une réflexion tortueuse. Sans aucun doute, Mikis a su dénoncer toute forme d'injustice, tout comme il a su affirmer la conviction que l'amour, le bonheur, la paix et la liberté sont des aspirations concrètes. Bien qu'il agitait vigoureusement « l'épée à double tranchant », l'« épée brillante » de sa musique, il savait également comment adoucir sa chanson, touchant ainsi avec une tendre sensibilité tout ce qui est bon et beau dans la vie et dans le monde.

La musique de Mikis est faite de tous ces éléments qui composent le grand art, l'art qui capture l'esprit de son temps et devine les événements à venir. Le sentiment, l'esprit, la mémoire et l'expérience de ceux qui souffrent étaient la source de son inspiration. « Quoi qu'on fasse, on le prend au peuple et on le rend au peuple », disait-il, sans aucune fausse modestie. Theodorakis était profondément conscient que l'époque dans laquelle il vivait avait joué un rôle crucial dans ses réalisations artistiques. Il était pleinement conscient que les actions du peuple se reflétaient dans la manière particulière et le dynamisme de son art, et que sa propre participation à la lutte populaire - bien que dans une certaine mesure elle le distrayait de la création - en était l'oxygène. « L'artiste qui vit et crée dans la lutte, assure une place toute particulière à son travail », a-t-il déclaré. Son travail est un brillant exemple du fait que le grand art est toujours politique, que son créateur le recherche ou non.

Theodorakis faisait confiance au peuple. Il croyait que le peuple avait le pouvoir de conquérir les choses les plus nobles et les plus belles que l'humanité puisse créer dans l'histoire. C'est pourquoi il a créé, avec une dévotion énorme, un art qui élève les gens. Mikis n'a pas seulement composé de manière exquise sa musique pour des poèmes sans trahir la poésie, il l'a aussi recréé et l'a livrée sous une forme qui a directement transpercé le cœur des gens. « Il a apporté de la poésie à la table des gens, à côté de leur verre et de leur pain », comme l'a écrit un jour Ritsos à son sujet. Et il ne s'agit pas seulement de sa musique pour la poésie de Ritsos dans « Epitaph » qui, à travers les interprétations étonnantes de Bithikotsis et Chiotis, est devenue une chanson de deuil populaire intemporel et un hymne à la mort fécondant l'avenir. Theodorakis a réussi à parler à l'âme du peuple, avec la plus belle poésie, par des formes musicales exigeantes et inhabituelles à l'oreille des gens, comme celles de « Axion Esti » d'Elytis, de « Epiphania-Averoff » de Seferis, de « Pnevmatiko Emvatirio » » d'Angelos Sikelianos, etc.

Son œuvre prolifique inclut presque tous les genres musicaux : les  mélodies des chansons folkloriques, la tragédie antique, les gammes musicales byzantines, la chanson classique, la musique symphonique, les oratorios. Polyvalent, doté de talents multiples, intellectuel, il a également eu une riche œuvre littéraire. Avec Mikis Theodorakis, le génie artistique a rencontré une personnalité agitée, alerte et créative qui a toujours ressenti le besoin de se dépasser. Sa musique dépassait les frontières du pays, tant elle évoquait l'universalité des souffrances, des espoirs et des visions partagées par tous les peuples et tous les humbles de la terre. Aussi l'attribution du prix Lénine pour la paix a couronné sa contribution artistique et sociale. A l'avenir, les peuples de Grèce, de Turquie, de Chypre, des Balkans, du Moyen-Orient et du monde entier pourront chanter la paix avec sa musique.

Mikis aimait faire de longues promenades et respirer « dans les grandes rues, sous les affiches ». C'est là même que sa musique continuera à se faire entendre, à inspirer, à motiver, à éduquer. Nous continuerons à marcher en écoutant la musique de Mikis jusqu'à ce que sonnent « les cloches de la libération sociale ». Et même lorsque « la guerre sera finie » nous ne l'oublierons pas… Il sera encore présent lorsque « les rêves rougissent ». La mémoire de Mikis vivra en nous pour toujours !

Le KKE présente ses plus sincères condoléances à sa famille et lui souhaite beaucoup de courage.

[1] Le mot « romiosini » (ρωμιοσύνη), ou « grecité », dérive de l'idée byzantine que les Grecs sont les vrais Romioi, les héritiers de l'Empire romain. Pendant des centaines d'années sous l'occupation turque, la flamme du romiosini a été entretenue par des codes d'honneur, de loyauté, de bravoure, d'amour de la terre, de dévotion religieuse et de patriotisme. Pour Yiannis Ritsos, les partisans grecs de l'EAM/ELAS pendant la Seconde Guerre mondiale étaient les héritiers héroïques des romiosini des klephtes des montagnes, du héros épique médiéval Digenis Akritas et des révolutionnaires qui ont combattu les Turcs dans les années 1820. Publié pour la première fois en 1954, Romiosini a ensuite été mis en musique par Mikis Theodorakis.

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