L'accord "AUKUS" dévoilé : le nucléaire est de retour !
17 oct. 2021L'affaire des sous-marins australiens était sur toutes les ondes françaises le mois dernier. Pour les médias, la perte du "contrat du siècle" (d'un montant inédit de 56 milliards d'euros), prévoyant la livraison par Naval Group de 12 sous-marins à propulsion conventionnelle (c'est-à-dire non-nucléaire), était le signe de la perte d'influence géostratégique de la France et son incapacité à défendre ses intérêts face aux Etats-Unis. De fait, l'enjeu pour la France était également d'étendre son influence militaire dans la région indo-pacifique, où elle possède plusieurs territoires ultramarins (Polynésie, Nouvelle Calédonie, Mayotte, La Réunion, Wallis et Futuna, etc.).
La rupture unilatérale et soudaine de ce "contrat du siècle" a provoqué la colère de Jean-Yves Le Drian, qui a crié au scandale de la trahison américaine et n'a pas hésité à parler de "grave crise diplomatique" (sic). Il est vrai que pour le meilleur VRP de l'industrie d'armement française, et accessoirement ministre des Affaires étrangères depuis 2012, l'affaire des sous-marins australiens sonne comme un échec personnel (d'autant plus que les usines d'assemblement de Naval Group sont situées à Lorient).
En plus des difficultés liées au contrat (prix, retards de livraison, etc.), le gouvernement australien a justifié son choix en invoquant l'évolution de ses besoins et son désir de s'équiper de sous-marins à propulsion nucléaire. Ces sous-marins, technologiquement plus avancés, sont équipés d'un réacteur nucléaire embarqué capable de répondre à tous les besoins énergétiques à bord et permet une plus grande autonomie sous-marine (quand la propulsion conventionnelle contraint à revenir régulièrement à flots pour se recharger en essence/diesel). La France aurait pu répondre à cette évolution des besoins de l'Australie (et donc accepter de partager sa technologie en la matière), car elle construit également des sous-marins à propulsion nucléaire - ceux-ci constituent d'ailleurs l'essentiel de sa flotte. Mais à l'époque, l'Australie n'en voulait pas, notamment du fait de son opposition à la prolifération du nucléaire. La raison profonde de ce revirement soudain n'est donc ni une question de faisabilité ni une question d'argent.
Le fond de l'affaire est que l'Australie a accepté entre-temps de rentrer dans les plans belliqueux des Etats-Unis pour la région indo-pacifique. Avec l'Angleterre, l'Australie a en effet signé l'accord AUKUS (tiré des 3 acronymes des partenaires A-UK-US) : un pacte d'alliance militaire qui vise à "promouvoir la paix et la stabilité" dans la région. En contrepartie de cet accord, l'Australie va pouvoir bénéficier de la technologie américaine en matière de sous-marins à propulsion nucléaire, une technologie que les Etats-Unis n'ont partagé qu'une seule fois depuis les années 1950 (c'était alors avec l'Angleterre).
Avec l'accord AUKUS (voir les détails de l'accord ci-dessous), les Etats-Unis encouragent la prolifération de l'arme nucléaire dans toute la région indo-pacifique. Une telle manoeuvre ne peut qu'exacerber des tensions existantes dans une région où plusieurs pays disposent déjà de l'arme nucléaire : Chine, Corée du Nord, Inde et Pakistan. La Russie, qui dispose de sous-marins nucléaires parmi les plus "dissuasifs" du monde, pourrait également entrer dans la danse par pure réaction au renforcement de la présence américaine. Enfin, l'accord AUKUS a toutes les chances de devenir à terme un nouvel OTAN, mais cette fois dirigé contre la Chine, en ralliant les autres alliés des Etats-Unis dans la région : Japon, Corée du Sud, Taiwan, Philippines, Vietnam, etc. La volonté d'Obama en 2011 de réorienter l'ensemble de la stratégie militaire américaine sur la zone Asie-Pacifique a fini par porter ses fruits : la région est maintenant sous haute tension.
L'accord "AUKUS" dévoilé : le nucléaire est de retour !
Article d'Anna Pha publié dans The Guardian (journal du Parti Communiste Australien) le 18 octobre 2021. Traduction MR pour Solidarité Internationale PCF.
Lorsque le président démocrate nouvellement élu, Joe Biden, a proclamé que « l'Amérique est de retour », ce que cela impliquait n'était pas forcément clair. Il est maintenant évident qu'il ne s'agissait pas d'emplois dans la "ceinture de rouille" [ndlr.: bassin industriel au nord-est des USA, en déclin depuis les années 1980] ni de reprise économique pour les travailleurs. Il s'agissait du retour des États-Unis sur la scène mondiale, prêt à endosser un rôle dangereux et belliciste.
Biden a repris à son compte la stratégie de « pivoter vers l'Asie » de Barack Obama dans le but de contenir la Chine, de renverser son gouvernement et de vaincre le socialisme. Les États-Unis, menacés par la croissance économique et le développement rapides de la Chine socialiste, ont été pris de court par la modernisation rapide de l'armée chinoise pour faire face à l'impérialisme américain. La Chine, autrefois passif sur la scène internationale, s'est récemment affirmée et a tracé une « ligne rouge », refusant de faire face à plus d'intimidation.
Les États-Unis ont réagi en se lançant dans une nouvelle guerre froide et une nouvelle course aux armements dans la région Asie-Pacifique. Ils ont intensifié leurs exercices militaires avec des partenaires stratégiques, mis l'accent sur le Dialogue Quadrilatéral de Sécurité (Quad) et ont choqué leurs partenaires historiques au sein de l'OTAN et toute la région Asie-Pacifique en formant son pacte d'alliance militaire (AUKUS).
AUKUS
L'accord AUKUS est un pacte d'alliance militaire entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie prévoyant que l'Australie accède à la technologie nucléaire (pour un usage militaire) et puisse construire au moins 8 sous-marins à propulsion nucléaire (ce qui implique d'annuler le contrat des 12 sous-marins conventionnels auprès du groupe français "Naval Group").
Mais il y a bien plus dans AUKUS que des sous-marins à propulsion nucléaire et la technologie nucléaire qui l'accompagne. Les États-Unis vont s'assurer une plus grande présence militaire en Australie, plus de bases militaires, le droit de stationner ses sous-marins nucléaires (contenant des armes nucléaires), pourront mener plus d'exercices militaires et intégrer davantage les forces australiennes dans et sous le commandement des États-Unis.
AUKUS comprend encore l'achat de missiles de croisière Tomahawk [pouvant être équipés d'ogives à tête nucléaire], de missiles air-sol de longue portée, de missiles anti-navire longue portée, de missiles téléguidés à frappe de précision et de développement de missiles hypersoniques en collaboration avec les USA. D'autres aspects incluent la collaboration sur les cyber-capacités militaires, l'intelligence artificielle, les technologies quantiques et sur les capacités sous-marines. Enfin, il complète l'alliance d'espionnage du renseignement Five Eyes comprenant les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande.
Pour Hugh White, ancien secrétaire adjoint à la stratégie et au renseignement au ministère de la Défense, qui a analysé l'accord AUKUS dans le Saturday Paper : « … cela renforce notre engagement auprès des États-Unis dans sa confrontation militaire avec la Chine, qui a peu de chances de succès et comporte des risques terrifiants. Si les sous-marins australiens étaient principalement destinés à défendre l'Australie et nos voisins les plus proches, alors il n'y a aucune raison d'envisager la propulsion nucléaire. [...] Si les États-Unis, par erreur de calcul ou de conception, se retrouvent en guerre avec la Chine, nous ne pouvons absolument pas supposer que nous la gagnerions. Cela devrait entrer dans nos calculs quant à savoir si nous nous engageons à combattre aux côtés de l'Amérique. »
QUAD
Juste une semaine après l'annonce de l'accord AUKUS, les dirigeants de l'Australie, de l'Inde, du Japon et des États-Unis se sont rencontrés physiquement et se sont présentés, pour la première fois, comme forces constituantes du « Quad » (Dialogue Quadrilatéral de Sécurité).
Ils ont publié un communiqué de la réunion qui, sans la nommer, fait clairement de la Chine la cible des objectifs militaires du Quad. Une grande partie du Communiqué signale une coopération pour gérer la crise climatique et lutter contre la pandémie, prévoyant le don de plus de 1,2 milliard de doses de vaccin. Mais le vrai sujet était l'engagement du Quad pour « un Indo-Pacifique libre et ouvert [...] veillant à ce que la région reste inclusive, ouverte et régie par des règles et des normes universelles ».
L'objectif est clairement de défier la Chine dans les mers de Chine orientale et méridionale, où les États-Unis, l'Australie et d'autres alliés continuent d'effectuer des survols et de stationner leurs sous-marins et leurs navires de guerre.
RÉPONSE RÉGIONALE
Les réponses ont été mitigées dans la région Asie-Pacifique à la suite de l'accord AUKUS et à de la réunion du Quad. Certains pays sont pris par des forces antagonistes : ils aimeraient pouvoir comptent sur la Chine pour le commerce et l'investissement tout en s'alignant politiquement et stratégiquement avec les États-Unis. Mais la majorité des pays refusent de choisir leur camp – la Chine ou les États-Unis. Ils ne veulent pas non plus voir se déclencher une course aux armements dans la région ni être impliqués dans des guerres par procuration pour les États-Unis. L'Indonésie et la Malaisie ont vivement réagi contre l'achat par l'Australie de sous-marins à propulsion nucléaire. Singapour, proche allié de l'Australie et membre des Five Eyes, a exprimé son inquiétude.
Tous craignent une course aux armements nucléaires. Les sous-marins sont considérés comme une première étape vers l'acquisition par l'Australie d'armes nucléaires. L'Australie a refusé d'adhérer au Traité sur la prolifération des armes nucléaires. L'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) devrait adopter une position lors de sa prochaine réunion en octobre. Ses membres comprennent l'Indonésie, Singapour, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam. L'ASEAN se décrit comme une « zone de paix, de liberté et de neutralité », libre de toute ingérence de puissances extérieures. Ses membres ont signé le Traité sur la non-prolifération d'armes nucléaires en Asie du Sud-Est. Des pays comme l'Indonésie et la Malaisie tentent de suivre une voie médiane en gardant de bonnes relations avec les États-Unis et la Chine, tandis que les Philippines sont étroitement liées aux États-Unis. Reste à voir comment ces divergences se joueront lors de la prochaine réunion de l'ASEAN.
Le Japon est fortement allié militairement des États-Unis mais craint une guerre avec la Chine. Il montre ses différents avec la Chine en établissant des relations avec le parti au pouvoir à Taïwan, contribuant ainsi à saper l'idée d'"une seule Chine".
De son côté, l'Inde s'est récemment rapprochée des États-Unis et a été impliquée dans des exercices militaires conjoints, mais ce n'est pas un laquais des États-Unis même s'il adopte une position anti-chinoise. Le Premier ministre Narendra Modi voit l'Inde comme une future puissance concurrente de la Chine et des États-Unis.
AUKUS exposed: nuclear is back - CPA
When newly-elected Democrat President Joe Biden proclaimed that "America is back", it was not immediately clear just what that entailed. It is now evident that it was not about jobs in the rust belt
https://cpa.org.au/guardian/issue-1983/aukus-exposed-nuclear-is-back/
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