La part des économies émergentes dans l'économie mondiale est devenue si importante qu'elle constitue l'une des sources majeures de recomposition du capitalisme et de transformation des rapports de forces internationaux. Les communistes en font l'analyse pour fournir aux travailleurs une lecture claire des évolutions des intérêts capitalistes à l'échelle mondiale. Cependant, ces dernières années un certain nombres de partis ou journaux socialistes se sont mis à nourrir l'illusion que ces évolutions seraient favorables aux travailleurs : ils trouveraient dans un "ré-équilibrage mondial" un moyen de faire valoir les progrès sociaux contre une tutelle américaine vacillante. Si de telles analyses ne sont pas nouvelles et semblent nous ramener aux jeunes heures du maoisme, il est plus inquiétant de voir que de telles inepties soient portées largement par des tendances diverses au sein des partis communistes européens. Réformistes et révolutionnaires gauchistes retrouvent ensemble un champs idéologique à recycler afin de masquer leurs positions inconséquentes sur les questions internationales, notamment sur le rôle de l'UE. Ce communiqué de la section des relations internationales du KKE fait suite à la tenue du sommet de l'Organisation de coopération de Shangai (sorte de G7 de pays émergents dont la 4 des BRICS) et rappelle quelques éléments d'analyse de cette posture à l'opposé des intérêts de classe. Il est important pour les communistes d'amplifier cette analyse et surtout de démasquer les porteurs de ces illusions partout où ils se trouveront.

Source : https://inter.kke.gr/en/articles/Using-the-multi-polar-world-to-whitewash-capitalism/ (traduction A.S.)

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) a servi à entretenir de nouvelles illusions parmi les peuples. Certaines forces ne voient dans l’impérialisme que « l’empire » des États-Unis et, sur cette base, saluent la montée en puissance de nouvelles forces capitalistes émergentes sur la scène mondiale, telles que l’apparition de nouvelles unions interétatiques (BRICS, Organisation de coopération de Shanghai, Organisation du traité de sécurité collective, ALBA, etc.), formées par des États capitalistes, avec un contenu économique, politique et militaire.

Ces évolutions sont saluées comme le début de l’émergence d’un nouveau « monde multipolaire », qui « réformera » et donnera « une nouvelle vie » à l’ONU et aux autres organisations internationales, censées échapper à « l’hégémonie » américaine. Ces hypothèses concluent que la paix serait ainsi garantie.

On soutient que les « nouvelles » contradictions inter-impérialistes et le réajustement apparent du système mondial pourraient conduire à une « démocratisation » des relations internationales, car un monde à multiples « pôles » émergerait grâce au renforcement de la Russie, de la Chine, du Brésil et d’autres États, parallèlement au recul relatif de la position des États-Unis.

Des propositions connexes sont avancées, telles que, par exemple, l’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU à d’autres pays.

Se pose alors la question : un rôle mondial accru de l’UE, comme l’ont soutenu SYRIZA et le Parti de la gauche européenne, ou même un rôle renforcé de la Russie et de la Chine, comme l’affirment les apologistes de l’axe impérialiste eurasien en formation, peuvent-ils créer un environnement « pacifique » pour les développements internationaux ?

La réalité objective et l’expérience internationale apportent une réponse négative. Et cela parce que les guerres impérialistes ne sont pas causées par une corrélation particulière des forces entre États capitalistes à un moment donné, mais par les lois du capitalisme : développement inégal, concurrence, tendance à l’accumulation de profits supplémentaires. Les contradictions inter-impérialistes naissent, se reproduisent et se modifient sur cette base, notamment autour des matières premières, de l’énergie, de leurs réseaux de transport, et de la lutte pour les parts de marché. C’est la concurrence monopolistique qui mène à des interventions militaires locales ou généralisées et à des guerres. Cette concurrence se mène par tous les moyens dont disposent les monopoles et les États capitalistes qui expriment leurs intérêts. Elle se reflète dans les accords interétatiques, constamment remis en cause par le développement inégal. Voilà l’impérialisme, source d’agressions militaires, grandes ou petites.

Le discours sur une « nouvelle gouvernance mondiale démocratique », diffusé par des forces social-démocrates et opportunistes, vise à embellir idéologiquement le nouveau rapport de forces au sein de la barbarie capitaliste et impérialiste, dans le but de désorienter les travailleurs. C’est pourquoi il s’agit d’un blanchiment trompeur du capitalisme, qui répand l’illusion qu’il pourrait, à son stade actuel — monopoliste, c’est-à-dire impérialiste —, devenir « pacifique » pour les peuples.

Les guerres passées, comme la Seconde Guerre mondiale, ont également été déclenchées au nom de la correction d’accords injustes ou de la prévention de nouveaux conflits. Il est urgent que les travailleurs se libèrent de telles illusions et de ces pièges autour de la « démocratisation » du capital et des relations internationales, qui les alignent derrière des intérêts étrangers aux leurs.

Le « monde multipolaire » comme moyen de sauvegarder la paix et les intérêts populaires est une tromperie. En réalité, cette approche considère l’ennemi comme un allié, enferme les forces populaires dans le choix entre un impérialisme ou un autre, et paralyse le mouvement ouvrier.

De plus, il est important de clarifier ce que l’on entend par « impérialisme ». Si l’on entend par là les critères scientifiques établis par Lénine dans ses écrits — sur la base desquels il conclut qu’il s’agit du capitalisme à son stade le plus élevé, le stade monopoliste —, alors il devient évident qu’une puissance capitaliste comme la Russie, où dominent les monopoles, ne peut pas être caractérisée comme anti-impérialiste.

Des forces, même communistes, qui abandonnent la compréhension léniniste de l’impérialisme et le réduisent à une « politique étrangère agressive », ou qui l’identifient seulement aux États-Unis et à la notion d’« empire » américain, peuvent finir par commettre d’énormes erreurs politiques. Un exemple caractéristique est celui de ces forces qui, lorsque Erdoğan intensifie la confrontation de la Turquie avec Israël, qualifient la Turquie de force anti-impérialiste, alors même qu’elle fait partie de l’alliance militaire impérialiste de l’OTAN, qu’elle occupe militairement 40 % de Chypre et qu’elle menace la Grèce de considérer comme casus belli (motif de guerre) l’application du droit international de la mer dans la mer Égée.

L’exacerbation des contradictions inter-impérialistes et la guerre impérialiste, à elles seules, ne conduisent pas à un changement du rapport de forces en faveur de la classe ouvrière et des forces populaires, comme l’ont montré les développements en Syrie, en Ukraine et dans d’autres pays (*). Une condition préalable est l’existence de partis communistes solides, dotés d’une stratégie révolutionnaire élaborée et enracinés dans le mouvement ouvrier et populaire, afin d’orienter les masses insurgées vers l’objectif du renversement de la barbarie capitaliste. 

 

(*) Ndt. A l'inverse, le génocide palestinien démontre l'impossibilité de s'en remettre à un contre-poids diplomatique des économies émergentes. La Chine préfère garder des relations cordiales avec Israël qui représente directement les intérêts de l'impérialisme américain, au détriment de la population palestinienne pour l'instant hors de son giron politique et économique.

Retour à l'accueil