La recherche théorique et culturelle au service de l'unité (et de l'autonomie) des communistes

de Stefano G. Azzarà (Université d'Urbino),

 

sur Rinascita della Sinistra le 05 mars 2009. Traduction AC, depuis l'Ernesto

 

            Les grandes transformations technologiques et organisationnelles des dernières décennies ont-elles modifié de manière substantielle le processus d'accumulation de capital ou le conflit capital-travail a-t-il changé de forme pour conserver intact son essence même et sa place centrale [dans la société]? La crise met-elle en cause le mode de production [capitaliste] ou pousse-t-elle à sa modernisation dans un sens cognitif, « éthique » et même « mutualiste »? Quel attitude adopter face aux idées d'Histoire et de Progrès après la déconstruction post-moderne, hégémonique surtout à gauche, des « grands récits » de la modernité? En quel sens sommes-nous encore héritiers de la pensée dialectique? Qu'en est-il de l'univeralisme des Lumières dans un contexte mondial dominé par le polycentrisme et le multi-culturalisme? Quelle est l'intention de certains intellectuels quand ils parlent d'une « transformation  anthropologique » qui rendrait les classes sociales obsolètes? Peut-on encore parler du développement des forces productives ou faut-il raisonner selon le concept de « décroissance »? Que dire des potentialités inexploitées que la science et la technologie contemporaines, appliquées à la production de la vie matérielle, mettent à disposition du genre humain? La démocratie moderne existe-elle encore? Et quelle rapport y a-t-il entre celle-ci, le libéralisme et la tradition révolutionnaire?

 

            Face à ces problèmes qui mettent au défi notre intelligence, apparaît la misère, qui passerait presque inaperçue, du débat d'idées à gauche . La crise actuelle met à nu, non seulement les contradictions structurelles immanentes au capitalisme, mais surtout le hiatus entre la présence des conditions objectives pour un conflit de masse et pour la construction d'un nouveau « bloc historique » et la dramatique arriération des conditions subjectives, que ce soit sur le plan politique et organisationnel ou sur le plan, même, des formes de conscience. D'un côté, précarité, chômage, besoins primaires non-satisfaits chez les classes populaires, paupérisation des couches moyennes et intellectuelles, montée du prolétariat noir et musulman dans les métropoles, premiers signes d' effondrement de la suprématie de l'économie états-unienne, montée et prise d'autonomie de certaines ex-colonies...; de l'autre côté notre faiblesse exaspérante, la rhétorique populiste, la répétition dans notre tête des batailles déjà disputées et déjà perdues, l'incapacité à lier toutes ces choses au travers d'une analyse rationnelle et d'une ligne politique. Si nous sortons de la crise par la droite, c'est-à-dire par une guerre entre pauvres – entre blancs et noirs – aux conséquences inimaginables, ce sera en partie par nos insuffisances.

 

            La terrible phase politique et sociale dans laquelle nous sommes impose aujourd'hui l'unité des communistes comme condition minimale pour accumuler les forces nécessaires pour résister et il est inconcevable que l'on puisse repousser par des arguments rationnels une perspective aussi élémentaire. C'est inutile de contester les thèses de ceux qui s'opposent à ce processus (plus qu'autre chose la raison en est la peur de perdre les bénéfices de positions institutionnelles). Il est bien mieux cependant de déplacer l'enjeu sur un terrain plus important , c'est-à-dire sur celui de l'identité politique et culturelle de la force communiste qu'il est nécessaire de construire dès maintenant.

 

            Evidemment, la simple unité des communistes ne suffit pas. Il est nécessaire aussi de comprendre que la phase actuelle du capitalisme est différente de celle du cycle fordiste-keynesien et de celle de la Guerre Froide. Toute hypothèse redistributive est irréaliste, par exemple, si auparavant on ne conquiert pas un rapport de force dont nous sommes bien loin. Mais si un tel rapport de force se récupère aujourd'hui dans l'organisation et la convergence des luttes, le plus important reste l'identité politique autonome de l'unité communiste et sa différenciation par rapport aux hypothèses improbables et minimalistes de gestion modérée de la crise (le « pacte des producteurs »). Ainsi, il est important, d'un autre côté, que les communistes se démarquent des « nouvelles gauches » fantaisistes, qui prétendent avoir tout compris des transformations en cours et avoir dépassé, de manière mystique, le vingtième siècle, le conflit capital-travail, la géopolitique, et, dans le fond, la politique elle-même, mais qui se révèlent subordonnées et solidaires de l'offensive des classes dominantes.

 

            On peut faire le même discours par rapport à d'autres grandes questions de notre temps, comme le rapport entre le socialisme et le marché, le socialisme et la religion, le socialisme et la question nationale, le socialisme et les droits de l'Homme: quelle que soit la manière dont nous prenons le problème, cela nous dit une seule chose et c'est la nécessité de reconstruire l'autonomie intellectuelle et politique des communistes, d'échapper à la condition de subordination idéologique que nous avons hérité de notre défaite et qui nous pousse à penser avec les idées et les mots de l'adversaire. Ce point de vue autonome, cependant, s'acquiert seulement à partir d'une élaboration culturelle et théorique, sur une longue période, qui sache reconstituer une ligne politique en ouvrant une nouvelle perspective stratégique, la détachant des échéances électorales ou des luttes internes, assez insignifiantes. Une chose qui jusqu'à présent n'a jamais été faite.

 

            C'est aujourd'hui le problème le plus important, un problème que les forces communistes actuelles présentes sur la scène politique ont toujours évité et sur lequel elles ont donc été à la longue mises en déroute: le parti communiste construit sa propre organisation et ses propres propositions politiques à partir d'une réflexion profonde sur la réalité et d'un projet théorique et culturel qui doit devenir sa priorité stratégique (et pour lequel il doit se doter des instruments nécessaires). Un projet qui soit ouvert à la recherche, nécessaire, et à l'expérimentation. Mais qui soit aussi solide et rigoureux, qui ne se perde pas dans l'éclectisme et les syncrétismes inutiles et qui maintienne l'aspiration à la « scientificité » qui est le legs le plus important du matérialisme historique. En partant de cette exigence plus d'une fois réclamée par Marx, Gramsci et Lénine, il est possible d'unir dès maintenant les forces du PRC et du PdCI, mais aussi celles d'en dehors, qui se reconnaissent dans un patrimoine commun d'idées et d'en faire un élément catalyseur de ce nouveau défi politique, le parti communiste du XXIème siècle. Et il est possible de remettre le marxisme au coeur du débat culturel duquel il est exclu aussi par notre faute, en lui redonnant à nouveau cette capacité à devenir hégémonique.

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