L'Union Européenne mise à nu...

Contribution pour une intervention nécessaire...

 

Par Pedro Guerreiro, membre du Comité Central du PCP et député européen.

 

Nous sommes confrontés à une situation politique particulièrement complexe, extrêmement exigeante pour notre Parti, dans ses interventions publiques, et pour chacun de ses militants, particulièrement face à l'offensive idéologique du grand capital qui, devant débattre dans un contexte d'intensification de la crise du capitalisme, cherche à ne pas perdre l'initiative.

 

Comme base de départ pour notre intervention, nous avons des instruments précieux d'analyse, de réflexion, de proposition collective à notre disposition, comme la Résolution Politique du XVIIIe Congrès, les documents de la Conférence Nationale sur les Questions Economiques et Sociales et les récents communiqués du Comité Central du PCP.

 

Dans ce contexte, notre approche des questions européennes tient une importance toute particulière, tant par la participation du Portugal dans l'intégration capitaliste européenne et par le fait que c'est l'Union Européenne, et son processus d'intégration qui sont les causes et l'origine de la grave situation économique du pays et de la dégradation des conditions de vie de la grande majorité des portugais, que parce que le 7 juin prochain se dérouleront les élections pour le Parlement Européen.

 

Causes, responsables et conséquences, faisons le point...

 

La crise du capitalisme montre actuellement combien l'UE, depuis 25 ans, est le coeur et le bras séculier de l'offensive néo-libérale contre les travailleurs et contre les peuples. Nous pouvons seulement comprendre la grave situation économique et sociale qui touche les différents pays ayant intégré l'UE, Portugal y compris, si nous sommes conscients des objectifs de ce « processus d'intégration » et de la manière dont ses politiques forment le coeur des causes de l'actuelle crise du capitalisme, dont l'UE est un des épicentres.

 

En ce sens, de manière très résumée, récapitulons les grands axes et les principaux moments, en tout cas les plus significatifs, de l'intégration capitaliste européenne depuis 1986, année où est entré en vigueur l'Acte Unique, qui a fixé comme objectif la mise en place du « marché unique », soit, la libre circulation des capitaux, des biens et des services et la libre concurrence capitaliste jusqu'au 31 décembre 1992. Sachant que, pour « faciliter » la réalisation de cet objectif parmi d'autres, la Communauté Européenne a décidé d'accélérer le traitement de ces questions, en donnant au Conseil (où sont représentés les gouvernements de différents pays de l'UE) la possibilité de délibérer à la majorité qualifiée et non plus à l'unanimité. En somme, l'Acte Unique a raffermi la domination des grandes puissances et des intérêts des grands groupes financiers et économiques.

 

La prochaine étape a été le Traité de Maastricht, en 1992, avec la création de l'UE comme entité embryonnaire d'un bloc politico-militaire ambitieux, justement nommé Union Economique et Monétaire (UEM), dans laquelle les différents pays doivent coordonner leurs politiques économiques, instituer une « vigilance multilatérale » et être assujettis à des « règles de discipline financière et budgétaire ». L'objectif de la politique monétaire était de mettre en place une monnaie unique et d'assurer sa stabilité à travers la « stabilité des prix » et le respect de l' « économie de marché », c'est-à-dire la garantie d'une politique de « modération salariale » et de concurrence capitaliste exacerbée.

 

Une nouvelle étape a été franchie avec le Traité d'Amsterdam, en 1997; avec la mise en place du Pacte de Stabilité et de la troisième phase de l'UEM, la création de l'Euro. Après avoir mis l'emploi au rang de ses compétences, l'UE a défini une « Stratégie Européenne pour l'Emploi » se fixant comme priorité la libéralisation et à la précarisation du marché du travail. En 2000, l'UE établit ce qu'on appelle la « Stratégie de Lisbonne » qui, dans son essence, cherche à renforcer le « marché unique », en promouvant la libéralisation des services – particulièrement des services financiers, à travers l'intégration des marchés financiers nationaux – et la privatisation progressive des services publics, « éliminant les barrières à la concurrence » et incitant à « l'ouverture des marchés » dans l'énergie, les services postaux, les transports, mettant en cause les systèmes publics de sécurité sociale, d'éducation et de santé, entre autres.

 

Une nouvelle phase s'est ouverte avec le Traité de Nice, en 2002, qui a concrétisé l'élargissement du « marché unique » à plus de 12 pays d'Europe de l'Est et de la Méditerranée, assurant la maîtrise du processus de décision par les grandes puissances, et entamant le processus de militarisation de l'UE, dans le cadre de l'OTAN.

 

La dernière phase se conçoit à travers la proposition de nouveau traité, qui vise à institutionnaliser l'UE ainsi que son fédéralisme, son néo-libéralisme et son militarisme, initialement présenté sous la forme d'une « constitution européenne » (2004) pour, plus tard, être rebaptisée « Traité de Lisbonne » (2007). Proposition de traité qui fut rejetée par les peuples français et hollandais, en 2005, et par le peuple irlandais, en 2008.

 

Ainsi, pendant les 22 dernières années la CEE/UE a favorisé la libre circulation des capitaux et la financiarisation de l'économie, elle a libéralisé et impulsé les privatisations (l'appropriation par le grand capital des moyens de production) dans le cadre du « marché unique », elle a concentré la production entraînant la sur-production, elle a délocalisé et détruit les capacités de production, elle a favorisé la domination économique des uns au prix de la dépendance des autres, intensifiant l'exploitation des travailleurs et le transfert progressif des gains de productivité du travail vers le capital, elle a concentré la richesse créée, augmenté les inégalités sociales et les assymètries régionales, tout cela étant orchestré par les grandes puissances et les grands groupes financiers et économiques. Ce sont ces politiques, promues au niveau de l'UE et des différents pays qui l'ont intégré, qui sont au coeur des causes de la dégradation des conditions de vie des travailleurs et des populations. Elles sont à l'origine de la crise capitaliste.

 

Donc, bien que certains cherchent à masquer les origines de la situation sociale et économique grave dans laquelle nous sommes – cherchant à confondre les causes avec ses conséquences -, les causes ne sont pas la « crise », mais les politiques qui en sont à l'origine. Ainsi, ce n'est pas la « crise » mais les politiques inhérentes au capitalisme qui sont à l'origine du chômage, de la précarité, des bas salaires, de la dégradation des conditions de vie, de la pauvreté, de la mauvaise santé, de la faim, des difficultés croissantes auxquelles sont confrontées les travailleurs et les populations.

 

La crise ne date pas d'aujourd'hui...

 

Au Portugal, la dégradation de la situation sociale et économique et des conditions de vie des travailleurs et des populations est la conséquence des politiques de droite menée depuis plus de 30 ans. L'adhésion du Portugal à la CEE, en 1986, a servi de prétexte et a été instrumentalisée par le PS, le PSD et le CDS-PP pour poursuivre et approfondir la mise en place d'une politique de droite, particulièrement en appliquant les orientations et les recettes néo-libérales de l'UE dans le pays, avec en vue le démantèlement des réalisations démocratiques, économiques, sociales et culturelles conquises, souverainement, par les travailleurs et le peuple portugais lors de la Révolution d'avril de 1974. Dans les quatre dernières années, le gouvernement PS (avec la majorité absolue au Parlement) a été encore plus loin que n'importe quel autre gouvernement auparavant dans la mise en oeuvre d'une politique de droite, exposant encore plus le pays à la crise qui explose au niveau international.

 

En adoptant la profession de foi néo-libérale et en assumant une posture « plus papiste que le pape » par rapport aux orientations et aux politiques de l'UE – par exemple, quant à l'application des objectifs politiques et des critères du Pacte de Stabilité -, le gouvernement PS a lancé une violente offensive contre les travailleurs de l'administration publique et des services publics (comme dans l'éducation et dans la santé); remettant en cause le Code du Travail (cherchant à « légaliser » l'illégal, généralisant la précarité, dérèglementant le temps de travail, diminuant les salaires, remettant en cause les conventions collectives et l'activité syndicale); et imposant le nivellement par le bas des salaires et des politiques sociales (en particulier avec l'application de ce qu'on appelle le « facteur de soutenabilité »).

 

Le gouvernement PS n'a pas défendu l'activité productive et, au contraire, il a continué à appliquer les politiques communes dans l'agriculture et la pêche, accélérant la lente agonie de milliers de petits agriculteurs et de pêcheurs et remettant en case la sécurité et la souveraineté alimentaire du Pays; il a abandonné à son sort une grande partie du tissu industriel (textile et vêtements, verre et céramique,...) et l'ensemble des très petites, petites et moyennes entreprises (TPME); et a réaffirmé que c'était sa politique de fixer le Portugal dans un rôle de pays disposant d'une main d'oeuvre bon marché mise au service des grandes multinationales. Comme conséquence de ces politiques, après 22 ans, le Portugal est un pays plus dépendant, plus injuste et moins souverain.

 

Aujourd'hui, la situation socio-économique au Portugal est caractérisée par l'augmentation du chômage (sans doute plus que les chiffres annoncées) et de la précarité; par le bas niveau des salaires, des allocations et des retraites; par la dérèglementation croissante du temps de travail, par le non-respect des droits des travailleurs; par l'augmentation de la dépendance extérieure (avec d'importants déficits: alimentaire, énergétique, technologique,...); par l'endettement croissant vis-à-vis de l'étranger; par la domination des monopoles et le contrôle croissant de l'économie par le capital étranger; par des inégalités sociales, des indices de pauvreté et d'échec scolaire toujours plus importants que ceux de la moyenne européenne (peut-être encore plus importants si on prend en compte la manipulation des chiffres), par le creusement des écarts économiques avec la moyenne Européenne; par les assymètries régionales croissantes et la désertification de l'intérieur du pays.

 

Au service du capital financier...

 

Face à l'émergence et l'approfondissement de la crise financière et de ses répercussions économiques et sociales gravissimes, comme c'est dans sa nature et dans sa finalité, l'UE feint de prendre ses distances, en paroles, avec la voie du néo-libéralisme, pour mieux dissimuler qu'elle continue à l'impulser. L'UE cherche à sauver, autant qu'elle le peut, le capital financier, volant à son secours, en facilitant son renflouement et l'injection de la part de chaque Etat de fonds publics colossaux dans les institutions financières, socialisant les pertes. Le renflouement du secteur financier par des fonds publics que le gouvernement PS s'est empressé d'appliquer, sans une quelconque garantie sérieuse, comprend un montant de 20 milions d'euros, pratiquement l'équivalent du total des fonds structurels que le pays pourra utiliser pendant l'actuel Cadre financier communautaire 2007-2013, près de 21,5 millions d'euros.

 

Dans le même temps, l'UE persiste dans ses propositions et ses mesures qui visent à accroître l'exploitation des travailleurs, la libéralisation et la privatisation des services publics et la politique de modération salariale, politique dont le gouvernement PS est responsable au Portugal, et qu'il applique avec une grande continuité. Bien que des appels, tirant la sonnette d'alarme, se soient multipliés pour insister sur la nécessité d'adopter des mesures « coordonnées » entre les centres capitalistes, la nature prédatrice du grand capital a imposé le grand plongeon dans « le sauve qui peut » ou, mieux dans « la loi du plus fort », et dans les froides « affaires de temps de crise », où abondent les fusions-acquisitions. « Coordination » signifie le respect et l'application stricte des règles du « marché unique » de l'UE, donc, de la concurrence capitaliste. Au lieu d'appuyer le secteur productif ainsi que les TPME, ils (re)financent le capital financier. Bien que l'UE puisse énumérer ses bonnes intentions quant à la soi-disant « surveillance » et à la « transparence » du système financier international et des « marchés financiers », ensuite, en réalité, ce sont les principes et les objectifs du FMI et de la Banque Mondiale qui sont réaffirmés, ou la poursuite de la politique du « libre-échange » de l'OMC, esquivant la mise en place de toute mesure qui puisse mettre en cause la financiarisation de l'économie, la libre circulation des capitaux et les instruments qui la supportent, comme les « paradis fiscaux ».

 

Si des doutes persistaient quand à l'(in)existence de mesures qui offrent une réponse effective à la détérioration de la situation économique au niveau de l'UE, le Budget Communautaire pour 2009 est là pour les dissiper. Comme si rien ne s'était passé, l'UE adopte un Budget Communautaire qui n'intègre aucune mesure (extraordinaire ou non) pour répondre aux besoins et aux difficultés croissantes des travailleurs et des populations, des TPME, de la majorité du secteur productif. De manière significative, au lieu de prendre des mesures budgétaires d'urgence, de soutien à la petite agriculture et à l'agriculture familiale, au secteur de la pêche, à l'industrie textile, à l'industrie navale, aux TPME, au profit de la création d'emplois avec un statut, avec des salaires permettant aux travailleurs de vivre dignement, notamment dans les « pays de cohésion » comme le Portugal, l'UE a décidé une réduction du Budget Communautaire à un niveau sans précédent: le plus bas, en termes de % du PNB communautaire (0,89%), depuis que le Portugal est entré dans la CEE.

 

Le budget communautaire pour 2009 met à nu la supercherie du soi-disant « plan de relance de l'économie européenne » et de la soi-disant « solidarité européenne ». En vérité, le mot d'ordre est « chacun pour soi », c'est-à-dire, une politique qui augmentera encore plus les assymètries entre les pays économiquement plus développés et les « pays de cohésion ». Le capitalisme s'adapte à la crise de façon à ce que ce soient les travailleurs et les peuples qui supportent toutes les conséquences de la crise financière actuelle, amplifiant l'exploitation, ou le chômage, la misère, la maladie et la faim pour des milliers et des millions d'hommes, de femmes et d'enfants au Portugal, en Europe et dans le Monde.

 

L'instrumentalisation de la « crise »...

 

Anxieux à l'idée que, face la situation actuelle, augmente chez les travailleurs la conscience du caractère de classe de ses politiques, l'UE et ses hérauts – les grands intérêts économiques et financiers et les forces politiques qui les représentent – cherchent à cacher frénétiquement et jusqu'à épuisement que la « crise » est la conséquence de ses politiques, tentant de l'instrumentaliser pour nous vendre l' « inévitabilité » de ses orientations et de ses décisions (dont un exemple est le sophisme: « ou c'est l'euro ou c'est le chaos »), pour désorganiser la lutte des travailleurs et intensifier son exploitation (et imposer « plus d'Europe »).

 

C'est-à-dire, imposer plus de fédéralisme, plus de néo-libéralisme et plus de militarisme, imposer un bloc impéraliste et le « Traité de Lisbonne » qui le consacre. Proposition de traité qui, un exemple gravissime parmi d'autres, offre sur un plateau aux grandes puissances de l'UE le renforcement de leur pouvoir; elle offre à l'UE la gestion exclusive de nos ressources biologiques marines; elle offre au « marché interne » les services publics, en les libéralisant pour mieux les privatiser; elle fait un cadeau aux grandes puissances avec la militarisation de l'UE/OTAN (réalisée pour les 60 ans de l'OTAN en Avril 2009). Son « plus d'Europe » doit être lu comme la « refondation du capitalisme ». Capitalisme, dont la réalité prouve son caractère brutal et inhumain, sa nature profondément exploitatrice, prédatrice et destructrice, l'impossibilité de son « humanisation ».

 

Tout le monde n'est pas égal face à la crise...

 

Avec la détérioration de la situation du pays et face à un calendrier électoral dense, ceux qui sont responsables depuis plus de trente ans de la politique de droite mise en place au Portugal, essayent de nouvelles manoeuvres démagogiques, « en brassant du vent », cachant que ce sont eux et leurs politiques qui sont la cause des difficultés auxquelles sont confrontés l'extrême majorité du peuple portugais.

 

Dénonçant leurs projets, le PCP intervient pour que se matérialise une rupture, que soient prises des mesures urgentes pour répondre aux problèmes et aux difficultés croissantes auxquelles est confrontée l'extrême majorité du peuple portugais et du pays. Le PCP intervient pour demander l'augmentation générale des salaires, des retraites et des allocations; l'accès légitime aux indemnités chômage; le gel des prix des biens de première nécessité; la modération de l'augmentation du coût des emprunts immobiliers.

 

Le PCP intervient pour la défense et la promotion de la production nationale, des droits des travailleurs, pour des services publics et un fort secteur public, reposant sur des entreprises d'Etat, au service des portugais et du pays et pour une juste redistribution de la richesse créée au niveau national.

 

Le PCP intervient pour la fin de la politique monétaire actuelle de l'UE et son Pacte de Stabilité, pour la fin des « paradis fiscaux » et pour une utilisation des fonds structurels au service du développement économique effectif du pays et de l'amélioration des conditions de vie des travailleurs. Le PCP intervient pour le progrès social et pour la souveraineté nationale, pour l'émancipation des travailleurs et du peuple portugais, pour la paix, pour les idéaux et les conquêtes d'Avril, pour le socialisme. Ne soyons pas surpris qu'ils cherchent à nous réduire au silence, à caricaturer et à déformer nos positions. Ne soyons pas surpris qu'ils cherchent à imposer leurs choix en instrumentalisant les sondages. Ne soyons pas surpris par l'utilisation des manoeuvres les plus ignobles pour tenter de nos dénigrer. Dans le fond, tout cela prouve que nous sommes sur la bonne voie!

 

Au Portugal, seuls le PCP et la CDU peuvent et sont en condition de dénoncer l'étendue de ces manoeuvres inacceptables et de combattre une UE fédéraliste, néo-libérale et militariste. Seuls le PCP et la CDU ont un projet réellement alternatif pour le pays et des propositions pour une Europe de coopération entre Etats souverains et égaux, de progrès et de paix. Seuls le PCP et le CDU, de manière sérieuse et cohérente, ont impulsé la création d'un front social de lutte qui porte l'espoir et la confiance en un avenir meilleur.

 

Dans le numéro 299, de mars-avril d'O Militante., revue théorique du PCP

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