Une autre Europe


 

de Daniele Cortese, extrait de son éditorial dans l'Ernesto


Traduit par AC/LAS pour Solidarité-Internationale-PCF


 

Les élections européennes se dérouleront dans 27 pays de l'Union (UE), qui réunissent 500 millions de personnes et concentrent 19% du PIB mondial.


 

Nous constatons qu'au niveau de la Commission et du Parlement, il n'existe pas de différences stratégiques fondamentales sur le plan de la politique étrangère (euro-atlantisme) et économique (libéralisme appuyé par l'intervention de l'Etat pour faire face à la crise) entre les deux grands groupes politiques: le groupe conservateur, formé autour du Parti populaire européen et le groupe social-démocrate. Avec les libéraux (très proches des deux autres) ces groupes représentent plus de 75% du Parlement Européen (PE) et dominent la vie politique de l'UE, dans une logique de fer bipartisane d'alternance et de collaboration.


 

La présidence Obama a rapproché les deux rives de l'océan dans une solidarité euro-atlantique sanctionnée par le retour de la France dans la structure militaire intégrée de l'OTAN, dont de Gaulle a voulu sortir pour sauvegarder l'indépendance nationale de son pays. La nécessité, même pour les libéraux les plus endurcis, d'en appeler au secours de l'Etat pour « socialiser les pertes » causées par la crise et la récession, a réduit les divergences sur le plan de la politique économique entre les différentes forces internes au système. Et le poids très limitée des forces communistes et de la gauche « alternative » au Parlement Européen (le groupe de la Gauche Unitaire Européen - GUE - qui les rassemble, réunit 41 députés sur 783 soit 5,2% du parlement) met ces forces devant des tâches essentiellement défensives, de survie à l'échelle nationale, d'accumulation de forces, d'implication dans les luttes sociales dans les pays respectifs. La possibilité d' « une autre Europe » n'est certainement pas à l'ordre du jour; et qui dit le contraire, soit trompe les électeurs, soit en réalité envisage une alternance avec les sociaux-démocrates, les libéraux et les verts qui, dans le contexte actuel de l'UE et avec les rapports de forces actuels entre classes, qui n'aurait justement rien d'une « alternative ». D'autant plus que les choix fondamentaux en termes de politique économique et étrangère sont pris en dehors du Parlement Européen: par les grands Etats nationaux et les puissances de l'argent (dont les secteurs économiques et financiers se coordonnent dans le cadre de l'UE et de l'OTAN), dans le dos des peuples. Alors qu'il n'existe pratiquement pas de syndicalisme de classe coordonné à l'échelle continentale.


 

La gravité de la crise mondiale et l'importante modification actuelle des rapports de force entre les grandes puissances, avec le déclin de la triade impérialiste (Etats-Unis, UE et Japon) et l'essor de nouvelles entités qui ne sont pas liées au vieil ordre mondial euro-atlantique (Russie, Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud...), avec une forte incidence sur les dynamiques régionales respectives, peuvent avoir d'importantes répercussions à moyen terme aussi sur les équilibres au sein de l'UE. Il n'est donc pas prématuré de lancer un appel aux communistes pour qu'ils travaillent vivement à leur réorganisation, pour raffermir notre enracinement dans la société. L'histoire n'est pas linéaire, et c'est toujours mieux de ne pas se faire surprendre par son accélération imprévisible (qui aurait prévu, quelques années auparavant, l'effondrement de l'URSS?).



On peut ramener tout cela à une question stratégique fondamentale, presque totalement absente de cette campagne électorale: qu'entendons-nous quand nous parlons d' « une autre Europe », d'une « Europe des peuples », d'une alternative progressiste à l'Union Européenne?


 

L'UE n'est pas un contenant neutre, tantôt de droite tantôt de gauche selon les circonstances et de la domination conjoncturelle au Parlement Européen de majorités de centre-droit ou de centre-gauche (d'alternance), mais un projet structuré, qui vient de loin, de construction d'un nouveau pôle capitaliste surpa-national, consolidé depuis des années par d'innombrables traités contraignants, avec la création de l'Euro et d'une Banque Centrale Européenne; et d'une Politique Etrangère et de sécurité commune qui cherche des espaces de relative autonomie vis-à-vis des Etats-Unis au sein des structures de l'OTAN, et selon ses principes, sans constituer bien sûr une alternative aux Etats-Unis (plutôt une sorte de « condominium impérial » pour la direction du monde). Comme cela s'est vu pendant la guerre en Yougoslavie, dans ses rapports avec Cuba, la Chine, la Russie..., dans sa subordination à Israel.


 

Tout cela en fait un processus d'intégration régionale bien différent de ceux en ce moment en Amérique Latine, en Afrique, en Asie, qui ne se déroulent pas sur des bases néo-impérialistes. Une alternative en Europe comparable à celle poursuivie par les forces progressistes en Amérique Latine ne peut voir le jour qu'en se démarquant nettement du projet porté par l'Union Européenne.

 

Parmi les communistes et les forces de gauche critique en Europe, y compris au sein du Groupe GUE/NGL, on retrouve en réalité deux types d'approche.

 


La première est celle qui croit à une « réformabilité » de l'UE, c'est pourquoi une progression de la social-démocratie et de ses éléments de gauche, un renforcement de la gauche anti-capitaliste, la relance d'un nouveau cycle de luttes sociales, rendrait crédible la formation dans l'UE (et dans certains de ses Pays clés) de majorités porteuses d'une alternative, de « gauche », capables de changer la nature et toute la politique de l'Union Européenne. Dans cette veine, on retrouve aussi certains éléments de la social-démocratie et une bonne partie des groupes dirigeants du Parti de la Gauche Européenne (PGE), qui a fait de ce positionnement « interne » au cadre que constitue l'UE, un de ses traits fondateurs de son identité stratégique et programmatique, à partir de Die Linke, qui est aujourd'hui parmi ces forces l'élément le plus influent.

 


Une seconde approche caractérise au contraire une partie des partis communistes du continent (à l'Est comme à l'Ouest), pour une grande part extérieurs au PGE (ou « observateurs »); la majorité des forces de la gauche anti-capitaliste de la région scandinave; et certaines composantes (non majoritaires) internes à tel ou tel parti de la Gauche Européenne (le débat est transversal, et parfois même pas vraiment posé).

 


Tous, au sein du groupe GUE, sont d'accord sur la nécessité de lutter pour des conquêtes partielles dans le cadre de l'actuelle UE (les bases pour un programme mimimum partagé par tous existent). L'UE existe, elle existera probablement encore pour un certain moment - malgré la crise profonde qu'elle traverse - et on ne peut pas se soustraire au débat politique et programmatique qui s'y déroule au nom d'une Europe future qui reste à construire.

 


Le point central est - et c'est le fond stratégique de la seconde position, dont nous nous sentons proches - que les forces qui se réclament du socialisme et d'une alternative anti-libérale, d'opposition à la guerre et à l'impérialisme; les forces qui veulent une Europe unie et autonome des Etats-Unis et de l'OTAN, fondée non pas sur des pouvoirs fédéraux supranationaux, mais sur la coopération entre Etats souverains, non pas impérialiste mais plutôt d'amitié et de coopération avec les peuples du Sud, ne peuvent pas penser poursuivre la réalisation de tels objectifs dans le cadre et selon les principes de l'UE, mais doivent porter dès maintenant un projet alternatif.

 


On continue à discuter comme si l'UE était toute l'Europe: et il a raison celui qui a dit au lendemain des réferendums français et hollandais, que « l'idée d'une Grande Europe Unie [élément géopolitique à la signification planétaire] ne peut pas voir le jour seulement avec l'élargissement de l'UE », c'est-à-dire par absorption ou cooptation; et qu' « un processus pan-européen de cette ampleur ne peut pas être construit seulement par la partie occidentale ».

 


Une vision « vraiment pan-européenne » devrait avant tout s'opposer à toute ingérence néo-impérialiste des Etats-Unis, de l'UE et de l'OTAN dans les affaires internes d'ex-URSS comme au contraire c'est en train de se passer de manière très lourde dans les événements en Ukraine, en Géorgie, dans les Pays Baltes, en Biélorussie, en Moldavie et en Russie même.

 


Un intellectuel britannique proche de Tony Blair a écrit après la guerre en Irak qu'en Europe la ligne de division est entre « euroasiatiques, qui veulent créer une alternative aux Etats-Unis (le long d'un axe Paris - Berlin - Moscou - Delhi - Pékin) et euro-atlantiques, qui veulent maintenir un rapport privilégié avec les Etats-Unis ». Tony Blair (anticipant Obama) a exprimé en son temps clairement sa ligne euro-atlantique, d' « une puissance uni-polaire fondée sur le partenariat stratégique entre l'Europe et les Etats-Unis », pour emprunter les termes de Sergio Romano, « une grande communauté atlantique de la Turquie à la Californie ». Si au contraire l'Europe accepte l'épreuve de force avec les Etats-Unis et sortir de la subordination atlantique, elle doit être ouverte aux accords de coopération et de sécurité avec la Russie (qui fait partie de l'Europe), avec la Chine, l'Inde; et avec les forces les plus progressistes et non-alignées qui se mettent en mouvement en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique Latine.

 


Samir Amin a écrit dans une interview à l'Ernesto: « la grande majorité des forces politiques européennes - qu'elles soient de centre-droit ou de centre-gauche - semblent tout sauf intéressées à un tel projet. Aujourd'hui il n'y a pas - au-delà de la rhétorique qu'on entend souvent à gauche également à ce sujet - d' « autre Europe » à l'ordre du jour. (...) Sur les questions de fond, le programme de l'UE est tout simplement le pendant européen du projet américain (encore plus aujourd'hui, avec Obama - ndr).
Et en Europe, avoir accordé - également de la part de la majorité des forces de gauche - une priorité à la question de la « construction de l'Union Européenne » a favorisé et favorise un glissement progressif vers le social-libéralisme, vers les illusions entretenues par la rhétorique de la « troisième voie ». Personnellement, je pense qu'un changement dans les orientations politiques nationales de tel ou tel Pays européen et en particulier la rupture avec l'atlantisme est la condition préalable à tout discours sur l'autonomie de l'Europe et des pays qui en font partie. L'OTAN est le grand ennemi de l'indépendance des peuples européens. Une autre Europe suppose un rapport de coopération stratégique avec la Russie, et donc le dépassement d'une conception qui assimile l'Europe avec l'Union Européenne. Un axe privilégié entre la France, l'Allemagne et la Russie serait un pas important en cette direction; mais l'évolution de la situation politique et en Allemagne va dans le sens inverse, vers un retour à la solidarité atlantique. Pour cela, je considère qu'il est erroné et purement rhétorique d'insister sur le rôle « progressiste » de l'Union Européenne dans la sitation mondiale actuelle. Je ne sous-estime pas le rôle et l'importance des luttes progressistes qui se déroulent dans les pays de l'UE, mais il faut regarder la réalité en face, et il n'est pas sûr que ce soit ici que nous trouvions l'épicentre du processus révolutionnaire de transformation progressiste à l'échelle mondiale ».

 


Au moment où nous agissons afin que les prochaines élections européennes marquent la constitution en Italie de la liste qui peut (doit) représenter le premier pas vers la réunification des communistes, nous souhaitons que dans les autres pays de l'Union européenne les forces qui se reconnaissent dans la GUE progressent, et en particulier celles (communistes) qui à l'intérieur de la GUE soutiennent, avec une grande détermination et une grande cohérence,
les lignes générales d'un projet pour une autre Europe, en dehors de l'OTAN, unie du Portugal à l'Oural, ouverte à la coopération avec les forces progressistes et de paix de tous les continents, porteuse d'un projet alternatif à celui représenté historiquement par l'Union Européenne.

Traduit depuis le site de l'Ernesto: http://www.lernesto.it/

 

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