Les élections afghanes: Une mascarade en pays occupé

 

de Miguel Urbano Rodrigues,

 

journaliste et écrivain, dirigeant historique du Parti Communiste Portugais

 

Numéro 1865 du 27 août d'Avante, hebdomadaire du PC Portugais

 

Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

 

Les élections présidentielles et locales en Afghanistan furent, comme on pouvait le prévoir, une mascarade dramatique. Plus de 300 000 soldats et policiers (dont 100 000 de l'OTAN et de la Force « Liberté Durable » exclusivement constituée de troupes nord-américaines) furent mobilisés pour garantir le caractère « démocratique » du processus. Mais le spectacle offert n'avait pas grand-chose à voir avec le programme annoncé.

 

Washington avait manifesté l'espoir que ces élections seraient « transparentes et massives ». Elles furent opaques et l'abstention fut énorme. Dans la majorité des provinces, les attaques armées se sont multipliées dans les lieux stratégiques. Selon la Commission Électorale Indépendante (auto-proclamée), on a enregistré 135 « incidents » dans 15 provinces. Bilan provisoire: 56 morts. Certains collèges électoraux ont été atteints par des missiles. La veille, le palais présidentiel a été bombardé.

 

Hamid Karzai – ancien fonctionnaire d'une multinationale états-unienne – s'est empressé de proclamer sa victoire à la majorité absolue, ce qui lui éviterait un second tour en Octobre. Mais son principal adversaire, Abdullah Abdullah, a également revendiqué la victoire.

 

La Commission Électorale a déclaré que l'on commencera seulement à divulguer les résultats partiels à partir de la semaine prochaine. Les résultats officiels, mais non-définitifs, pas avant la mi-septembre.

 

Étaient appelés à voter, officiellement, plus de 17 millions de citoyens. Cela montre à quel point les statistiques en Afghanistan peuvent être fantaisistes. Elles attribuent actuellement au pays 33 millions d'habitants, mais il y a 30 ans le gouvernement révolutionnaire en avait seulement compté 16 millions.

 

La Commission Électorale a informé que 95% des 6500 bureaux de vote ont fonctionné normalement. Personne n'y croit puisque la plupart des 364 circonscriptions sont sous contrôle des guérillas.

 

Étrangement, 70% des électeurs sont de sexe féminin. L'absurde a une explication. Ce sont les maris qui inscrivent les femmes – souvent trois ou quatre – sur les listes électorales. La loi n'exige pas qu'elles se présentent au moment de l'inscription. Les cartes d'électeur ne comportent pas, d'ailleurs, de photographies, ce qui rend le contrôle impossible.

 

Des correspondants de journaux européens ont révélé, qu'au marché noir, des centaines de milliers de cartes électorales ont été vendues, pour un prix équivalent à six euros. Un des candidats à la présidence, le millionnaire Ashrai Ghani, ancien ministre des Finances, affirme que Karzai a récolté plus de 800 000 votes fictifs de la part de l'électorat féminin.

 

Comme l'extrême majorité de la population est analphabète, on trempait le doigt des illettrés dans l'encre après le vote. L'encre utilisée, toutefois, était lavable ce qui permettait au même citoyen de voter plus d'une fois.

 

Le nombre de candidats à la présidence mérite d'être enregistré dans le Guiness: une quarantaine. Comme, dans le même temps, 3195 citoyens se sont affrontés dans le cadre des élections locales, se présentant pour être élus conseillers municipaux, la corruption et la violence se sont propagées dans le pays comme une coulée de lave.

 

Les partisans de Karzai et Abdullah se sont empêtrés dans une guerre interne. Des dizaines de candidats ont été assassinés. Le directeur de campagne de Abdullah a été également abattu.

 

L'implication de la présidence dans une série de cas de corruption (on a retrouvé dans la maison du frère du chef de l'exécutif une quantité énorme d'héroïne) et le détournement par ses collaborateurs de centaines de millions de dollars de « l'aide internationale » ont mené Karzai, dans les derniers mois, à un retournement d'alliances. Pour recevoir l'appui des grands chefs tribaux qu'il avait pendant des années combattu ou déporté (comme l'ouzbek Rachid Dostum, un génocide), il a acheté leur conscience et leurs votes.

 

 

L'euphorie et la peur de Hamid Karzai

 

Le président avait peur de ce qui pouvait se passer ce 20 août. La censure a interdit aux médias de rendre compte des actes de violence qui se dérouleraient la veille ou le jour des élections. L'accès des journalistes aux bureaux de vote a été également refusé et le gouvernement a déclaré que les correspondants étrangers qui violeraient l'interdit seraient expulsés.

 

Plus tard, vendredi matin, Karzai et ses ministres ont commencé à parler de participation massive au scrutin. Certains médias étrangers ont diffusé la nouvelle. Elle était fausse. Les longues files de votants dans les collèges électoraux n'existaient pas.

 

Samedi la Commission Électorale a affirmé qu'elle estimait que la participation se comprenait entre 40 et 50%. En d'autres termes, plus de la moitié des électeurs inscrits n'aurait pas voté malgré les formidables pressions officielles et le climat d'intimidation qui régnait en pays occupé. Des envoyés spéciaux d'agences comme Reuters et Efe et de grands journaux européens conservateurs – parmi lesquels Le Monde, Le Figaro et El Pais – ont souligné d'ailleurs dans leurs chroniques que des fraudes gigantesques enlevaient toute crédibilité aux résultats qui allaient être divulgués.

 

Des diplomates occidentaux, selon Le Monde, ont estimé à 10% la participation des électeurs dans certaines régions du Sud.

 

Un rapport de l'UNAMA, la mission d'Assistance des Nations Unies pour l'Afghanistan, publié début août, manifeste sa grande inquiétude pour l'avenir du pays. Selon ce rapport, le climat de violence dans lequel s'est déroulé la campagne, marquée par des menaces, le détournement des fonds internationaux, les assassinats et une corruption de type féodale dément l'optimisme de ceux qui insistent pour définir ces élections comme étant « démocratiques ».

 

Cette évidence n'empêche pas Barack Obama de les définir comme « un succès » à la fermeture des bureaux de vote.

 

La veille, dans un discours en Arizona, le président des Etats-Unis a défendu une fois de plus la guerre en Afghanistan comme une priorité stratégique, indispensable à la sécurité du peuple nord-américain et a souligné que la grande mission des militaires de son pays consiste désormais à « conquérir les cœurs et les esprits des afghans ».

 

La situation réelle dans le pays ne permet pas de confirmer l'espérance teinté de romantisme de Barack Obama.

 

Le nouveau secrétaire-général de l'OTAN, le danois Anders Rasmussen, a exprimé également sa satisfaction vis-à-vis de l'atmosphère qui a entouré la journée électorale, garantie par les « forces de sécurité ».

 

D'après plusieurs correspondants étrangers, la grande majorité des afghans, de toutes les ethnies, déteste les militaires étrangers qui occupent le pays.

 

La popularité de Karzai à Kaboul serait très basse. Le même Karzai empêche la diffusion de toute image des anciens dirigeants de la révolution afghane. René Girard, l'envoyé du Figaro, a rendu compte du fait que dans la capitale, on ne peut pas voir un portrait de l'ex-président Muhamad Najibullah. Mais il n'empêche – écrit-il – que celui-ci est « de loin le politicien le plus populaire de l'histoire afghane contemporaine ».

 

Le nom du futur président: le choix de Washington

 

L'objectif principal des élections était de légitimer par le vote la tutelle impériale imposée par les États-Unis sur le peuple afghan.

 

Mais le taux élevé de l'abstention a exprimé le rejet de la guerre et du simulacre de démocratie représentative mise en place sous la protection des baïonnettes américaines.

 

Ce n'est pas un hasard si la presse des États-Unis même commence à remettre en question la stratégie d'Obama pour la région.

 

Il faut rappeler que le président a envoyé en Afghanistan plus de 21 000 soldats et a étendu ses attaques aériennes aux zones tribales du Pakistan, habitées par des pachtounes, en prétextant qu'elles fonctionnaient comme des « sanctuaires pour les talibans ».

 

La nomination du général Stanley McChrystal comme commandant en chef dans la région fut d'ailleurs le prologue à une grande offensive dans la province de Helmand à laquelle ont participé 4 000 marines et troupes d'élite britanniques. Pourtant ce même général – un béret vert au CV de criminel de guerre – a reconnu que cette offensive, visant à sécuriser la situation en vue des élections, n'avait pas atteint ses objectifs. Ce fut un désastre militaire et politique. Les pertes ont été très élevées. McChrystal a abandonné sa rhétorique triomphaliste et parle désormais d'une « guerre de longue durée ».

 

La popularité d'Obama (pour la première fois autour des 50%) en souffre et sa stratégie afghane est est toujours plus contestée.

 

Les grandes chaînes de télévision et les journaux d'influence nationale, comme le New York Times et le Washington Post, sont conscients que l'élection présidentielle a mis la Maison Blanche devant un dilemme.

 

Dans les dernières semaines, les critiques se sont intensifiées de la part de personnalités de haut rang de l'administration de Hamid Karzai. Le président fantoche et corrompu est dans une position de plus en plus inconfortable. Mais à Washington on craint une situation d'instabilité qui résulterait de la nécessité d'organiser un second tour si Karzai n'obtenait pas les 50% indispensables à sa réélection automatique.

 

La réponse à cette inconnue sera connue quand la Commission Électorale annoncera le nom du vainqueur des élections et le nombre de voix qu'il a obtenu.

 

Les observateurs internationaux s'accordent, toutefois, pour dire que la décision sur le nom du futur président sera prise à Washington.

 

Il y eut tant de fraudes lors de ces élections fantoches que celle-là de plus, la plus importante et la plus grave de toutes, n'est pas improbable.

 

Le peuple afghan, acteur de son histoire

 

C'était en 1988, il y a 21 ans, que je me suis rendu pour la dernière fois en Afghanistan.

 

La révolution, abandonnée par Gorbatchev luttait à ce moment-là pour sa survie.

 

Les dernières troupes soviétiques se retiraient du pays et la farine et le pétrole commençaient à manquer. Mais les Forces Armées afghanes se battaient avec bravoure contre les bandes de moudjahidines des Sept Organisations Sunnites de Peshawar, armées et financées par les États-Unis. Reagan a reçu à la Maison Blanche en tant que « combattants de la liberté » ses chefs, presque tous millionnaires liés à la production et au trafic de drogue et aux pratiques mafieuses.

 

Ousama Ben Laden, à l'époque un inconnu, était allié à ces gens; sa famille maintenait des relations d'amitié avec George Bush père, vice-président des États-Unis. Les talibans n'avaient pas encore été créés par la CIA et par les services secrets Pakistanais.

 

En cette année 1988, les filles étaient encore plus nombreuses que les hommes à l'Université de Kaboul. Dans la Cordillère, quand je traversais l'Hindu Kush, je parlais avec des femmes qui luttaient pour la Révolution, le fusil à l'épaule et le visage découvert. Il y avait des femmes ministres dans le gouvernement.

 

Je garde de cette visite et des précédentes des souvenirs ineffaçables.

 

La Révolution avait exproprié les seigneurs féodaux, remettant la terre et l'eau aux paysans (dans un pays où aucune verdure ne peut pousser sans l'eau des neiges venues de la haute montagne), elle avait financé les universités, installé des usines, construit des milliers d'écoles, rendu leur dignité aux femmes.

 

Une seule capitale sur les 34 provinces qui composent le pays a été conquise par les contre-révolutionnaires.

 

Je ne peux pas oublier les moments passés à Kaboul à parler de la Révolution et des défis qui en sont inséparables avec les dirigeants du Parti Démocratique Populaire, l'organisation marxiste qui avait pris le pouvoir une décennie plus tôt. Je me rappelle avec bonheur de ces camarades, révolutionnaires exemplaires qui m'ont aidé à comprendre l'histoire profonde des peuples qui vivaient il y a des siècles dans les montagnes, les vallées et les déserts de ce pays.

 

Deux décennies sont passées, tout cela est bien terminé.

 

Au Portugal, en lisant les textes que des journalistes mercenaires ou ignorants écrivent sur cette élection-mascarade, ce n'est pas sans peine que j'imagine la terre afghane, envahie, occupée et gouvernée par les États-Unis.

 

Est né dans mes rencontres là-bas un amour qui s'est quasiment transformé en passion pour l'histoire de ce mélange de peuples très différents qui ont seulement commencé à être appelés afghans au XVIIIème siècle.

 

J'ai écrit sur son histoire des centaines de pages dans des livres et dans les journaux

 

Hier, en lisant ce qu'ont dit sur les élections le président Obama et le général McChrystal, une question est montée en moi:

 

Ont-ils une conscience, même superficielle, de ce que l'est Afghanistan aujourd'hui, peut-être le musée archéologique naturel le plus riche de l'humanité, car là-bas sous terre, inexplorés, se trouvent des vestiges uniques de grandes civilisations disparues?

 

Je pensais aux cités Achéménides de Bactrie, les ruines des polis grecques fondées par les vétérans d'Alexandre, aux murailles des perses sassanides, aux Bouddhas géants de Bamyan érigés par les Kouchans venus d'Orient, aux trésors que récèlent les statues greco-bactriennes, aux palais souterrains des gahznévides turcs, aux mosquées éblouissantes des séfévides, au prince timouride Babur, fondateur de l'Empire du Grand Mongol, qui à Kaboul a écrit un des plus grands ouvrages de la littérature mondiale.

 

Et je me demandais si Obama et le général McChrystal savaient que depuis vingt-cinq siècles, d'innombrables générations de peuples d'origine iranienne desquels descendent les pachtounes et les tadjiks actuels se sont battues pour le droit à vivre libres dans les montagnes et les vallées de l'Afghanistan actuel contre tous les envahisseurs, depuis les perses de Darius jusqu'aux américains d'Obama, en passant par les Huns hephtalites, les arabes, les mongols de Gengis Khan, les turcs Tchagatai de Tamerlan, les anglais, les russes de l'empire tsariste.

 

Cela me fait de la peine d'écouter le président des États-Unis, un homme instruit et peut-être honnête, débiter des absurdités sur la nécessité d'intensifier la guerre en Afghanistan pour défendre la liberté et la démocratie.

 

Cela fait de la peine, je le répète, d'imaginer que la barbarie occidentale s'abat sur la terre et les peuples d'Afghanistan que j'ai appris à aimer.

 

Site d'Avante: http://www.avante.pt/

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