Il est possible de sortir de la prison de Maastricht: pour une autonomie des peuples et des Etats nationaux, par un camarade italien
21 juin 2010 Il est possible de sortir de la prison de Maastricht
Pour une autonomie des peuples et des Etats nationaux
de Federico Guglielmi pour l'Ernesto (revue et courant marxiste du Parti de la Refondation communiste)
Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net
Dans la crise actuelle de l'Union européenne deux questions centrales, au sein de la gauche italienne – et pour bonne partie aussi dans la gauche anti-capitaliste et communiste – sont presque complètement éludées (ou, pour le dire mieux: une éludée et l'autre même diabolisée, nous verrons quelle est l'une et quelle est l'autre). Deux questions qu'il serait bon, au contraire, de replacer au centre de la discussion, au moins comme des questions qui méritent une investigation politique et théorique, digne d'être au moins prises en considération.
La première question à laquelle on se réfère (celle qui est 'seulement' éludée) est celle de la nécessité extrême (non qu'il en ait la conscience totale, mais objectivement) pour le mouvement ouvrier dans son ensemble de répondre à l'unification trans-nationale du capital européen et à sa lutte anti-ouvrière homogène organisée à l'échelle continentale, par un mouvement similaire vers l'unité trans-nationale et l'organisation de sa lutte à l'échelle européenne. Il est vital, en d'autres termes, que face au fait qu'une multi-nationale puisse mener une attaque simultanée dans ses usines, dans ses entreprises situées, par exemple, en France, en Espagne et en Italie, le mouvement communiste et anti-capitaliste européen et le mouvement syndical de classe européen puissent répondre simultanément dans les trois pays où les travailleurs sont attaqués par le même et unique patron. Il est vital que face aux politiques anti-ouvrières que l'UE déclenche de manière homogène à l'échelle continentale le mouvement ouvrier répondre avec une lutte tout aussi homogène et supra-nationale. Cette question de l'unité trans-nationale du mouvement communiste, anti-capitaliste et syndical européen est un objectif, aujourd'hui, tout aussi nécessaire qu'absent du débat et loin de se réaliser.
La seconde question (celle justement diabolisée, aussi par des secteurs très importants des forces de la gauche modérée, et pas seulement, italienne et européenne) c'est celle relatif à un possible mot d'ordre pour la dissolution, le dépassement de l'Union européenne et au retour à l'autonomie des peuples et des Etats nationaux.
L'Union Européenne s'est constituée (en plus des pressions particulières du grand capital) aussi à travers des processus culturels de sanctification et de mythification soutenus par les classes dominantes: de tels processus 'religieux' ont été aussi intensifs et envahissants que nécessaires aux intérêts du grand capital européen. De telle manière qu'aujourd'hui les forces politiques, les tendances, les partis (parfois aussi communistes) qui réussissent à remettre en question l'existence et le 'sens historique' de l'UE ne sont certainement pas majoritaires; alors que nombreuses sont les forces tendant à reconnaître la légitimité et l'inéluctabilité historique de l'UE, faisant abstraction, ainsi, des intérêts des peuples et des travailleurs européens. Et comme si l'idéal pseudo-romantique d'une seule patrie (en réalité d'une seule banque et d'une seule monnaie) européenne avait déjà dépassé depuis longtemps l'idéal de la transformation socialisteet de la défense du mouvement ouvrier européen contre les processus sauvages d'accumulation capitaliste dont le pôle impérialiste européen en constitution a besoin pour s'inscrire dans la compétition avec d'autres pôles impérialistes et les zones économiques mondiales émergeantes.
Elles sont au nombre de deux, les 'certitudes' granitiques par lesquelles, aussi à gauche, on nous injecte la mythification de l'UE, conduisant à sanctionner son indissolubilité et finissant par croire seulement à sa supposée réformabilité, théorie et praxis de la gauche modérée: on croit, d'une part, que l'UE est le fruit d'un processus historique irréversible et, d'autre part, que la monnaie unique est salvatrice pour toutes les économies des pays de l'Union européenne.
En vérité nous ne sommes pas, pour ce qui est de la construction de l'UE, face à un processus soutenu par un élan historique, soutenu par des pays et des peuples traversés par une pulsion historique unitaire; nous avons été et nous sommes, plutôt (nous le répétons) face à l'exigence du grand capital européen de s'unir pour devenir capital supra-national en mesure de concourir et de vaincre économiquement à l'échelle internationale. Comme l'intendance, les peuples, les travailleurs et les Etats doivent suivre. Et ils ont suivi.
Et pour ce qui concerne l'autre mythe – la monnaie unique salvatrice – ce sont les mêmes faits, les grandes attaques spéculatives du dollar avec la crise relative de l'euro dans la période, qui nous disent à quel point l'euro, comme toute monnaie nationale, est exposée aux risques de déstabilisation par des vagues spéculatives financières internationales et combien l'oscillation de sa valeur est subordonnée, en fin de compte, aux crises titanesques de sur-production et de sous-consommation qui aujourd'hui caractérisent le capitalisme mondial. Par ailleurs, pour démontrer combien l'euro est également fragile et exposée aux vents économiques et combien est mythifiée sa fonction de « bouclier » pour les économies européennes, il a suffi que Merkel ait interdit la vente à découvert d'obligations souveraines et de certaines actions pour que la monnaie de l'UE, dans la première moitié du mois de mai dernier, pour qu'il perde à nouveau de sa valeur. Et, d'autre part, c'est même à Carlo de Benedetti, dans sa conférence 'retentissante' organisée le 18 mai dernier à la London School of Economics, que l'on doit l'affirmation selon laquelle « l'euro est désormais entre les mains des allemands » et que « l'Allemagne, dans ces conditions, peut aussi décider que l'expérience monétaire européenne est arrivée à son terme ». La nouvelle crise du 4 juin dernier, avec le danger annoncé de faillite hongroise, l'effondrement des bourses qu'il en suivit (Milan et Madrid – 3,8%) et l'effondrement de l'euro, descendus sous la barre des 1,20 dollar, sa valeur la plus basse depuis le printemps 2006, ne plaide pas en faveur d'un euro comme digue défensive, ni de l'économie trans-nationale européenne ni des économies nationales.
Et que l'Euro – à partir de l'impact matériel qu'il a eu sur les conditions de vie des peuples et des travailleurs européens – ne soit pas aimé, cela est démontré non seulement par la très large méfiance envers cette monnaie de la part des peuples européens moins riches, qui se rappellent, aussi en Italie, le pouvoir d'achat supérieur sur les marchés réels du temps de la lire et des autres monnaies; mais une telle méfiance persiste et s'étend parmi les peuples européens aux plus hauts revenus par tête: le peuple de Grande-Bretagne, qui voit d'un oeil sombre la possibilité de perdre la Livre sterling, et même le peuple allemand. Et c'est bien en ce mois de mai, la leçon d'un sondage mené en Allemagne par la société 'Tns Emnid' et rapporté par le journal historique 'Bild'. Plus de 60% des électeurs allemands – rapporte Bild – voudraient revenir au mark allemandà cause de l'affaiblissement conséquent de l'euro provoquée par la crise. Et en tête du journal, le directeur de Tns Emnid, Klaus-Peter Schoeppner a commenté ainsi le sondage: « L'affaiblissement de l'euro et la crise des derniers mois ont dépouillé les citoyens allemands de leurs dernières illusions. A cause de la crise financière, plus de 60% de la population voudrait un retour au mark allemand ».Un autre sondage mené, dans la même période en Allemagne, le 'Deutschlandtrend' de l'entreprise 'Infratest-Dimap', a révélé de plus que « la moitié des électeurs craint une baisse de leur niveau de vie dans les prochaines années et les deux-tiers craignent pour leurs épargnes. »
Mais si l'euro peut aussi jouer – dans certains moments critiques – un rôle de protection partielle pour les économies nationales européennes, l'écart entre cet éventuel, et assurément occasionnel et quand même précaire, rôle de garant et le prix que les peuples et les travailleurs européens ont du payer pour le Traité de Maastricht de 1992, le Pacte de Stabilité d'Amsterdam de 1997, le Traité de Lisbonne et la directive Bolkestein est tellement important que vraiment le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Le fait est que du Pacte de Stabilité d'Amsterdam à Bolkestein on a fait passer, dans son intégralité et dans toute la zone Euro, cette ligne hyper-libérale visant au confinement et ensuite à la réduction des salaires et des retraites, de destruction de l'État social et de privatisations qui a, comme fin ultime, de libérer les forces du grand capital européen, de maximiser ses profits, l'exonérant par ailleurs et de manière presque totale de la participation au soutien du peu de l'État social qui reste, qui fonctionne désormais seulement par la taxation du travail.
Le fait est que cette Union européenne qui, sur le plan institutionnel, ne connaît pas la division des pouvoirs, sans aucun filtre démocratique et soumise à la dictature de la BCE semble toute faite pour subir la domination du néo-impérialisme allemand, qui vise (des développements ultérieurs et plus sophistiqués de la lutte de classe) à séparer l'Europe faible et maigre (Grèce, Portugal, Espagne, Italie) de celle forte et grasse; qui vise à transformer les pays d'Europe de l'est en des nouveaux terrains privilégiés d'accumulation capitaliste pour le pôle impérialiste européen; à faire payer – en somme – la facture imposée par Maastricht et par Amsterdam avant tout aux pays et aux peuples les plus faibles d'Europe.
Les droites qui ont gouverné les pays de l'UE dans les dernières décennies ont déchargé sur une immense dette publique les coûts de Maastricht, tandis que – paradoxalement, mais jusqu'à un certain point – les gauches du réformisme mou ou libérales qui ont gouverné ont souvent impulsé des politiques et des budgets pro-Maastricht du sang et des larmes (celles du premier gouvernement Prodi, avec le soutien des communistes, ont été parmi les budgets les plus restrictifs de toute l'histoire de la République, faits pour « entrer dans l'Europe »). Le même gouvernement Zapatero en Espagne (que Vendola, dans son document pour le VIIème Congrès du PRC de Chianciano a elevé au rang de nouveau guide de la gauche européenne) a par ailleurs déjà annoncé qu'il obéira jusqu'au bout aux ordres allemands pour sauver l'euro en coupant de manière drastiques dans les salaires, les retraites et l'Etat social.
Bien sûr, il faudrait jeter au feu les diktats de Maastricht et le manifester dans la rue, « faire comme en Grèce » (mais là-bas, il y a un Parti communiste et un syndicat de classe et de masse que le mouvement ouvrier italien, pour le moment, ne peut que rêver d'avoir et qui pose le problème – justement – de la construction d'un parti communiste et d'un syndicat de classe dans notre pays).
Toutefois, il y a une question centrale: avec quelle stratégie les forces communistes et anti-communistes européennes doivent-elles aller de l'avant? Avec la stratégie qui a caractérisé la majorité de la gauche européenne (en Italie, souvent, aussi celle communiste) jusqu'à maintenant, c'est-à-dire la ligne de la réformabilité de l'Union européenne? Cette position qui, par exemple, a caractérisé politiquement et culturellement aussi le courant intellectuel et politique venant, dans notre pays, du Manifesto, avec la camarade européiste Luciana Castellina en particulier et qui a fortement influencé les forces communistes italiennes?
Ou alors est-il possible de rouvrir 'l'affaire UE' et (sans préjugés et à partir, de façon matérialiste, tant des souffrances qui sont et seront infligées dans les prochaines années aux jeunes, aux travailleurs et aux peuples européens, en particulier ceux les plus faibles et les plus subordonnés à l'impérialisme allemand, que des processus d'évidement progressif des souverainetés nationales) prendre en considération aussi la possibilité d'une sortie stratégique, pour les pays et les peuples qui le veulent, de l'Union européenne? Nous sommes pour ouvrir cette réflexion, rappelant aussi le fait que le contexte actuel n'est certainement pas celui du bi-polarisme (USA/URSS) dans lequel l'UE a effectué ses premiers pas.
Aujourd'hui, nous sommes dans un monde multi-polaire, avec de nombreuses régions économiques mondiales structurées, politiquement diverses, et chaque pays européen pourrait choisir librement, de manière autonome, quel partenaire économique il désire avoir en Europe et dans le monde, avec qui il désire créer des liens, dans l'optique d'un avantage mutuel, hors d'une prison, comme celle de Maastricht qui garantit une fausse protection en demandant en échange des contraintes sévères, des taxes et des impôts. Car le Portugal, la faible économie portugaise, par exemple, doit être contrainte – par la mythologie de l'Europe unie – à se mouvoir à l'intérieur des diktats européens et ne peut pas librement choisir d'avoir – aussi pour des raisons historiques, culturelles, primaires – un partenaire privilégié comme le Brésil, tout le groupe des BRIC, en voie de développement? Pourquoi l'Italie ne devrait pas relancer sa ligne 'naturelle', libre, d'ouverture – politique et économique – vers le Moyen-Orient et les pays arabes? Pourquoi ne peut-on pas développer pleinement une politique économique vers l'Amérique latine, l'Afrique, la Chine et l'Eurasie entière?
Il y a des économistes, certains d'orientation marxiste, qui posent le problème suivant: du point de vue marxiste – affirment-ils – l'unification du marché, du capital et des forces de travail de l'UE constitue un cadre, une potentialité essentielle pour les destinées du socialisme. Une telle affirmation, qui semble découler d'une certaine rationalité et d'une lecture apparemment scientifique et matérialiste de l'avenir européen, souffre d'une profonde contradiction interne, une contradiction qui risque de faire déboucher une telle analyse sur le mécanicisme; nous sommes face à un processus d'unification du capital qui pour se réaliser a besoin d'un tournant réactionnaire sur long et très long terme et, dans le même temps, face à la situation d'un prolétariat européen qui se retrouve, dans son ensemble, loin d'être prêt à une perspective révolutionnaire
Cela veut dire, concrètement, que la constitution de ce pôle réactionnaire européen ne consiste pas seulement à étendre à l'infini les temps de la transformation socialiste à l'échelle européenne et supra-nationale, mais dans le même temps, par le fait que des politiques réactionnaires s'abattent aussi lourdement sur chacun des pays, elle tend à faire obstacle aussi aux processus de transformation socialiste à l'échelle nationale.
Jusqu'à présent, l'UE est un mythe de la culture dominante: les communistes, au moins eux, ne peuvent-ils pas s'en libérer? Peuvent-il penser tout haut, peuvent-ils oser penser, dire qu'un peuple et un pays européen est plus libre s'il s'évade de la prison de Maastricht et s'aventure en haute mer, dans le grand océan de marchés mondiaux divers, nouveaux et vastes? Discutons-en, et maintenant.
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