grillo_thumb.jpgL'émergence du « grillisme » et de l'anti-politique en Italie

 

Vingt ans après la liquidation du PCI, recomposition et décomposition de la vie politique italienne


 

Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/


 

L'Italie fut un laboratoire d'une vie politique décomposée, recomposée et aujourd'hui en voie de délitement. Une scène politique redessinée par le grand capital italien après l'explosion de la scène politique de l'après guerre, tirant profit de deux opportunités historiques : le scandale de corruption Mani pulite et surtout la liquidation du Parti communiste italien, en 1991.

 

Vingt ans après, cette vie politique recomposée autour de deux grands pôles – les ex-communistes devenus démocrates à l'américaine, et le berlusconisme à droite – est à son tour en train de s'effondrer, laissant voir le champ de ruines qu'a laissé en Italie la disparition du plus grand parti communiste d'Europe occidentale.

 

La faillite de la classe politique italienne, recomposée après 1991, est mise en évidence par une série d'éléments :

 

  • rejet massif des deux partis du consensus dominant, qui va bien au-delà de la simple déchéance du mouvement mené par Silvio Berlusconi, mais touche aussi un Parti démocrate (PD) qui ne se maintient que par sa posture d'opposition formelle à la droite et à l'extrême-droite italienne aux accents néo-fascisants. Un rejet d'une politique libérale et européiste, avec toutes les ambiguités d'un rejet aussi de la « partitocratie » qui n'est pas loin du « tous pourris », ce sur quoi a longtemps flirté la formation d'extrême-droite de la Ligue du nord ;

 

  • la mise sous tutelle par l'Union européenne avec le gouvernement Monti ; l'ancien commissaire européen, conseiller de Goldman Sachs, appelé à la rescousse par l'Union européenne pour diriger la quatrième puissance européenne et adoubé par les deux partis dominants, c'est le spectacle d'un pouvoir confisqué, d'une classe politique qui achève d'être illégitime aux yeux des Italiens même. Ligue du nord exceptée encore une fois, tous les partis parlementaires ont accepté ce « coup d’État » de palais ;

 

  • une vie politique gangrenée par les scandales de corruption ; l'opération Mani pulite n'a guère solutionné ce mal italien, né de la collusion entre milieux économiques et classe politique mais aussi de la spécificité d'une Italie où les contrats frauduleux portent parfois la marque de la Mafia, comme sur l'attribution douteuse du pont de Messine. Des scandales qui ont éclaboussé le parti de Berlusconi, n'ont pas totalement épargné le centre-gauche mais ont surtout touché dernièrement le groupe dirigeant de la Ligue du nord, autour d'Umberto Bossi. Le mouvement Italie des Valeurs (IdV), classé à gauche pour son opposition au berlusconisme mais animé par le juge de centre-droit, l'intègre Antonio di Pietro, sorte de Eva Joly transalpin, est né du rejet de ce mal italien ;

 

  • l'extrême personnalisation de la vie politique italienne ; excepté peut-être le Parti démocrate, toutes les formations italiennes sont incarnées par une « grande gueule » qui passe à la TV pour taper du poing sur la table et annoner des slogans démagogiques. C'était le propre de la droite berlusconienne et de l'extrême-droite bossienne, poissons-pilote de cette personnalisation, aujourd'hui sérieusement entamés par les scandales. C'est à gauche que cette personnalisation de la politique est en train d'atteindre son comble. Notamment avec un certain Nichi Vendola, l'ancien dirigeant liquidateur de Refondation communiste, sioniste, ancien fan de Zapatero dans les années 2000, candidat potentiel aux primaires du Parti démocrate. Le culte de la personnalité développé par un Vendola est aussi une forme de dégénérescence de la gauche italienne et de la vie politique dans son ensemble ;

 

C'est dans ce contexte, certes de rejet populaire du consensus dominant et de la tutelle européenne, mais aussi de sentiments populistes d'opposition à la « partitocratie » et à la « kleptocratie », et enfin d'adhésion à des solutions démagogiques prônées par des grandes gueules en dehors des partis que naît le mouvement 5 étoiles de l’humoriste Beppe Grillo.

 

Un mouvement ancré dans des traditions contestataires italiennes : des restes du PCI au « qualunquisme » poujadiste

 

Au-delà des rapprochements avec des tentatives similaires échouées en France, de Coluche à Patrick Sébastien, le mouvement de Grillo s'inscrit autant dans un contexte politique national bien précis que dans un mouvement européen de rejet de la politique, exprimant aussi un sentiment confus d'une autre politique, sous des formes très diverses : partis « pirate » en Allemagne et en Europe du nord ou indignés en Espagne et en Europe du sud.

 

La seule unité du mouvement « grilliste », c'est une vague opposition à un système indéfini. Relayés par le langage volontairement vulgaire de Grillo, c'est le « Vaffanculo ». Un 'Va te faire foutre' devenu le slogan de ce mouvement de l'anti-politique.

 

Une vague opposition à tout, fédérant des oppositions de partout et de n'importe où. Sans tomber dans les rapprochements abusifs et trompeurs, que la percée du mouvement de Grillo, essentiellement au Nord, ait coïncidé avec l'écroulement de la Ligue du nord n'est pas totalement indépendant.

 

En effet, Grillo s'inscrit dans une démarche contestataire aux influences multiples :

 

  • il reprend certaines idées issue des restes de positions communistes qui ont influencé depuis la Libération toute la gauche italienne, et au-delà, et continuent d'influencer l'imaginaire collectif. C'est ainsi que Grillo a récupéré les critiques historiques formulées par le PCI, celles contre le capitalisme mondialisé, l'immoralité de la vie politique italienne, la privatisation des services publics ou encore l'opposition à l'Europe des 'gros', bien que le PCI fut le plus europhile des partis communistes européens ;

 

  • il reprend dans ses formes la tradition contestataire qu'Umberto Bossi et la Ligue du nord ont aussi su incarner dans les années 1990-2000 Le talent politique de Bossi fut de transformer le mouvement régionaliste récessif en mouvement de fédération des oppositions y compris en prenant le contre-pied de ses positions historiques sur l'Europe ou même la défense du droit à la retraite. Si la Ligue du Nord et le mouvement 5 étoiles ont des divergences indéniables sur le fond, Grillo présente d'étonnantes similitudes de forme avec Bossi : même gouaille et langage ordurier (les doigts d'honneur de Bossi), même posture d'opposition à toute la classe politique, même grand écart politique. Que la Ligue du nord s'affaisse au moment où le mouvement de Grillo perce n'est pas sans relation ;

 

  • il reprend enfin la tradition de l'anti-politisme, vivace en Italie. La France a connu le « poujadisme », l'Italie le « qualunquisme », ce mouvement de l'Italien moyen né dans l'après-guerre du rejet des institutions étatiques, de la partitocratie. Le mouvement a prospéré brièvement, avant de retomber dans l'oubli lorsqu'il a dû affirmer, au-delà de sa posture d'opposition, un programme politique concret.

 

Un grand écart politique : de la lutte pour les services publics aux diatribes anti-immigrés

 

Car c'est lorsqu'il s'agit de formuler un programme d'action positif que le Mouvement 5 étoiles montre ses limites et ses contradictions.

 

Grillo lutte pour l'eau et les transports publics mais peste contre une fonction publique pléthorique et les impôts trop élevés.

 

Il ne réserve pas seulement ses diatribes anti-européennes et anti-mondialisation à l'Euro et à l'UE mais aussi aux immigrés, auxquels il nie le droit du sol, aux roms, péril pour la sécurité de l'Italie.

 

Grillo prône un écologisme qui est peut-être sa seule boussole idéologique, mais fait le grand écart entre développement durable et décroissance, son opposition au TGV Lyon-Turin s'inscrit également dans ses contradictions.

 

Un banquier « grilliste » à la tête de Parme élu... avec les voix de la droite

 

Le résultat obtenu par Grillo aux dernières élections municipales va toutefois rapidement mettre ses partisans aux prises avec les responsabilités. Réalisant près de 10% des voix dans les communes soumis au vote, le « Mouvement 5 étoiles » a fait trembler la 'gauche' à Gênes, obtenant 41% des voix au second tour face au candidat du Parti démocrate et a remporté quatre communes dont la ville de Parme.

 

Cet ancien bastion communiste, ville de près de 200 000 habitants, est tombé entre les mains du mouvement de Grillo, lors du second tour qui se déroulait le 21 mai. Une performance d'autant plus remarquable que le candidat « grilliste », Federico Pizzarotti, est parvenu à surmonter un ballottage extrêmement défavorable.

 

Avec moins de 20% des voix au premier tour face au candidat de la 'gauche unie', qui avait obtenu 39% des voix au premier tour. Pizzarotti a bénéficié d'un report maximal des voix qui s'étaient portés sur les petits candidats : de l'extrême-gauche (Refondation) à l'extrême-droite (Ligue du nord), en passant par la liste de l'UDC (centre-droit démocrate chrétien) qui était arrivé en troisième position avec 15% des voix.

 

L'élection de ce chef de projet dans le milieu de la banque, guère le profil d'un révolutionnaire en puissance, sera un test révélateur de la teneur du projet grilliste.

 

Après vingt ans sans véritable Parti communiste en Italie, son manque est plus que criant que jamais face à un système en pleine déliquescence mais qui produit toujours ses fausses alternatives, ses mouvements de contestation stériles ou récupérables par le système dominant.

 

Où sont les communistes italiens aujourd'hui?

 

Que dans la plupart des communes soumises au vote lors de ce scrutin, les communistes aient décidé de rallier le Parti démocrate dès le premier tour est lourd de responsabilités dans l'effacement de la perspective communiste, qui alimente un consensus dominant, producteur de contestations stériles.

 

Plus que jamais, le peuple italien a besoin d'un Parti communiste qu'il reste à reconstruire.

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