L'Université de Porto-Rico en grève depuis un mois: chronique d'une lutte pour le droit à l'éducation dans un pays sous tutelle états-unienne
25 mai 2010Porto Rico: chronologie d'une grève en cours
Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
Par David Vázquez Abella et Rafael Alejandro González Escalona, étudiants en journalisme de l'Université de la Havane
San Juan, Porto Rico, 13 mai, 14h45. Une marée d'étudiants quitte le Centre des Conventions en direction du Capitole. Une pluie fine tombe sur leurs têtes, mais ils ne paraissent pas le remarquer. De loin, on peut voir les membres de la Police anti-émeutes qui « protègent » le Capitole des étudiants. « Fortuno n'est pas ici, Fortuno est en train de vendre ce qu'il reste du pays » est le mot d'ordre qu'ont répété les centaines d'étudiants et de professeurs.
Certains frémissaient de fierté quand ils ont décidé de descendre le drapeau nord-américain et de laisser seulement celui de Porto Rico. Peu importe les coups. Lentement, ils se retirent. Petit à petit, la place se vide, mais le mot d'ordre « onze campus, une seule grève » résonne encore dans l'atmosphère. Les jeunes retournent à leur poste, à côté des portes de l'université. Sur le Capitole, flotte le drapeau national, le drapeau de Porto Rico.
Avec cette marche, la grève universitaire commencée le 21 avril atteignait son paroxysme, une manifestation coordonnée par les étudiants pour briser le mur de silence qu'opposait l'administration à leurs revendications.
Les antécédents
Le mardi 13 avril, les élèves du campus de Rio Pedras de l'Université de Porto Rico se sont réunis pour une assemblée convoquée par le Conseil Général des Etudiants. Andrés González Berdecía, étudiant de Droit, raconte sur le blog Desde Adentro que la première motion adoptée fut la création du Comité Négociateur: « Une grande partie de l'Assemblée, cependant, a été consacrée à délibérer sur les mécanismes de pression que l'on devait utiliser. Une frange des étudiants était claire sur le fait que, face aux tentatives infructueuses pour maintenir un dialogue avec l'Administration, on devait adopter un vote de grève indéfinie, immédiate ».
Après huit jours d'attente, l'Administration n'avait toujours pas dialogué avec les étudiants ni reconnu le tout juste créé Comité de Négociation. Le président de l'Université de Porto Rico (UPR), José Ramón de la Torre, « a laissé tomber les représentants étudiants, affirmant qu'ils ne savaient pas qui ils étaient et qu'ils avaient changé les règles du jeu », a déclaré Andrés González. Ainsi a commencé la grève de 48 heures annoncée à l'Assemblée du jour même.
Aura Colón Solá, étudiante et responsable du projet Desde Adentro, dans une interview par e-mail explique que la « grève était conditionnée à l'avancée des négociations avec l'administration universitaire. On a laissé deux jours de répit à l'Administration pour dialoguer et éviter la grève. Ils n'étaient pas disposés à s'asseoir pour négocier, provoquant ainsi un soutien massif multi-sectoriel à la grève ».
Les revendications des étudiants portent fondamentalement sur les coupes de 100 millions de $ dans le budget de l'UPR et la fin des exonérations de frais pour les étudiants méritants et pour les athlètes. Ils exigent, par ailleurs, des garanties sur le fait que les locaux ne seront pas vendus. « Cette grève vise à faire un pas en avant vers ce qui serait une éducation de qualité et accessible à l'ensemble du peuple – soutient Aura Colón. Actuellement, les coûts des études approchent les 13 000 $ annuels et les aides économiques couvrent seulement 5 000 $. Pour cette raison – remarque-t-elle – les exemptions de frais d'inscription sont d'une importance capitale pour les étudiants. L'éducation supérieure doit être un droit et non un privilège ».
Les premiers jours
La majorité des étudiants à faible revenu ont soutenu la grève. Bien qu'ils ne soient pas au courant de tout ce qui se passait, ils ont compris parfaitement que de telles coupes budgétaires allaient les toucher. C'est pour cela qu'ils montent la garde devant les portes, partagent des chansons et des jeux sur le campus, participent aux débats, toujours sans perdre de vue que cette grève ne cherche pas à fermer l'université, mais bien à maintenir ouvertes les portes de l'éducation comme un droit civil.
Les autres campus de l'UPR ont rapidement compris les motifs de la grève et commencent à la rejoindre. Grâce à l'action des étudiants en Droit et en Communication, ils ont pu diffuser leurs revendications dans les médias et cela porte déjà ses premiers fruits; des universités des quatre coins du monde leur ont apporté leur appui solidaire.
En dépit de cela, certains étudiants opposés à la grève ont décidé d'agir. Le groupe « La majorité silencieuse » s'est vu acceptée une rencontre avec le président. Alors que les grèvistes et leurs revendications sont pratiquement ignorés.
Le 28 avril est un jour particulier, Andy Montañez, Calle 13, Intifada, Rebeldía, Antonio “El Topo” Cabán, Danny Rivera…, de nombreux artistes expriment leur soutien aux étudiants par le chant ou le verbe, rappellent leurs années d'étudiant. Nombre d'entre eux ont été émus par le poème lu par le chanteur Mickie Rivera, « Je connais toutes les histoires », de León Felipe:
Je sais bien peu de choses, c'est vrai, je ne parle que de ce que j'ai vu
Et j'ai vu:
que le berceau de l'homme est bercé avec des histoires...
que les cris d'angoisse de l'homme sont étouffés avec des histoires...
que les larmes de l'homme sont noyées avec des histoires...
que les os de l'homme sont enterrés avec des histoires...
et que la peur de l'homme... a inventé toutes les histoires
Et je ne sais que bien peu de choses, c'est vrai.
Mais ils m'ont endormi avec toutes ces histoires...
Et je connais toutes les histoires
Les jours se succèdent sans qu'un accord entre les deux parties ne soient en vue; les jeunes continuent déterminés. Ana Guadalupe, la rectrice, tente une approche; mais au lieu du dialogue, sa proposition est juste de mettre fin à la grève, au blocage de l'accès à l'université de la part des étudiants. Ils ont passé des jours sans rentrer chez eux, parfois le découragement les gagne; mais ils restent ensemble et déterminés avec l'université occupée.
Nous ne sommes pas seuls
Le mouvement étudiantin a reçu le soutien de diverses organisations syndicales de l'Ile comme la Confrérie du Personnel non-enseignant (HEEND), l'Association Porto-Ricaine des Professeurs d'Université (APPU), des leaders du Parti Populaire Démocrate, de l'Union National des Educateurs et des Travailleurs de l'Education (UNETE) et d'autres organisation sociales et de lutte pour les droits à l'éducation et pour la défense du peuple porto-ricain.
Les anciens élèves de l'UPR, le mouvement universitaire suisse « Unsereuni », et les Clubs internationalistes de l'Université de la Ville de New York (CUNY) sont quelques unes des organisations universitaires qui se sont joints au choeur de ceux qui soutiennent les manifestants.
« Sous le prétexte de la crise économique, le droit à l'éducation subit une attaque frontale tandis que Wall Street bénéficie de milliards de dollars de crédit du 'plan de sauvetage des banques' », ont exprimé les étudiants de la CUNY, dans une des nombreuses lettres envoyées.
Ce soutien se fait sentir aussi sur les principaux réseaux sociaux d'Internet comme Facebook et Twitter, où des dizaines d'internautes suivent minute par minute le déroulement de la grève. Le blog estudiantin Desde Adentro et son équipe de rédaction a joué un rôle décisif en faisant connaître la réalité des étudiants qui font entendre leur voix. En de nombreuses occasions, les principaux médias de l'île ont été contraint de recourir à ce projet des étudiants en journalisme pour obtenir les dernières nouvelles.
La station Radio Huelga, fondée le 2 mai, est devenue la voix des étudiants. Dans sa première émission, on y affirmait: « Pour la première fois dans l'histoire, le mouvement étudiant peut compter avec une station de radio à leur disposition. Invoquant la riche tradition de la protestation étudiante, nous nous fixons comme tâche de créer un outil de lutte qui contribue à ce processus, que, avec détermination et esprit militant, nous allons développer. »
Ricardo Olivero Lora, représentant du collectif Radio Huelga, a affirmé que ce projet « est conçu en lui-même comme un autre comité de grève de plus. Nous faisons partie de cette grève, nous ne sommes pas une entité en dehors du processus qui tente de communiquer depuis l'extérieur ».
La portée de la grève, soutenue par ces médias alternatifs, se démultiplie immédiatement. En un succès sans précédent, tous les campus intègrent les manifestations, excepté celui de Sciences médicales. Lors de l'Assemblée générale du 13 mai, on vote la grève illimitée. Leonardo Aldridge, étudiant en Droit qui s'opposait à la grève, a exprimé dans une interview concédée à Desde Adentro, que « l'Assemblée est toujours souveraine et comme c'est sa décision, il faut la respecter et l'accepter. Bien que ne soyons pas d'accord, cela doit servir de message à l'administration: le mouvement estudiantin croit fermement en ses revendications et les étudiants sont prêts à continuer la grève illimitée parce que, par ce moyen, ils pensent qu'ils vont avancer ».
L'affaire de tous
Le 6 mai, une solution à la grève était en vue, et il semblait que les choses allaient se régler. Les leaders étudians convoquent une assemblée générale. La rencontre a lieu au Centre des Conventions, renommé avec humour « Centre des Corruptions ». L'incertitude se lit sur les visages de tous. Les cris de « onze campus, une seule grève » résonnent dans toute la place; beaucoup sont en colère contre les accords unilatéraux entre le Comité de Négociation et le Conseil d'Administration.
L'assemblée commence avec du retard. Beaucoup d'étudiants se sentent désorientés, d'autres développent des arguments raisonnables, mais le fait incontestable c'est que c'est bien le droit à l'éducation qui est en jeu. Quand on appelle au vote, la majorité soutient le maintien de la grève. Joie, émotion. Spontanément, des groupes d'étudiants et de professeurs marchent en direction du Capitole convaincus:
L'Université n'est pas l'affaire des étudiants et des professeurs, mais bien l'affaire de tous.
Repris de Cubadebate
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