rivoluzione-civile-ingroia-432x432.jpgLégislatives en Italie : les communistes effacent leurs symboles pour se ranger derrière des juges anti-mafia centristes

 

Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

 

 

Note du rédacteur: l'article ayant fait polémique parmi certains acteurs et observateurs. Nous fournissons ci-dessous certains éléments concrets permettant au lecteur de se faire une idée des événements en Italie*

 

 

Dans le laboratoire italien de la destruction de la vie politique traditionnelle, les communistes italiens semblent alimenter de douteuses recompositions plutôt que de réaffirmer l'exigence de reconstruction d'un Parti communiste, dont le peuple italien a besoin comme jamais

 

Les semaines se suivent et se ressemblent en Italie.

 

Nous avions laissé le PdCI (Parti des communistes italiens) prêt à s'allier avec le Parti démocrate (PD) centriste, et Refondation communiste (PRC) à la recherche d'un introuvable « Quatrième pôle » (à côté du PD, du PdL – parti de Berlusconi et du mouvement de l’humoriste Beppe Grillo).

 

La donne a changé, PdCI et PRC ont désormais accepté de participer à une liste commune pour les législatives de 2013. La liste ne sera pas communiste, elle ne portera même pas ni le nom ni les symboles communistes.

 

L'unité de la liste – paradoxe pour un mouvement se réclamant « anti-berlusconiste » – se construit autour d'une personnalité et d'un nom effaçant partis et idéologies : INGROIA, juge anti-mafia à la moralité aussi incontestable que ces opinions politiques sont modérées.

 

Une unité forgée autour d'un slogan : « La révolution civile », associant un terme radical en apparence, celui de « révolution » à un processus assumé de changement institutionnel et graduel.

 

Enfin, une couleur symbolique qui est, plus que le rouge trop connoté, le « Orange ». Celui du « Movimento arancione », porté par divers politiciens supposés issus de la « société civile », lui-même inspiré directement ou indirectement par la « Révolution orange » ukrainienne.

 

Les protagonistes de ce mouvement : les juges centristes réformateurs

 

A la tête de ce mouvement, un citoyen au-dessus de tout soupçon : Antonio Ingroia. Apôtre crédible de la moralisation de la politique et juge spécialisé dans les cas de corruption et de lutte contre la mafia. Son image est celle d'un justicier intègre, indépendant des « pouvoirs forts ».

 

Sur le plan politique, si Ingroia peut apparaître « radical » dans le milieu feutré des magistrats, ses idées restent somme toute modérées : un attachement sincère à la légalité alimentant des réformes politiques visant à régénérer une démocratie bourgeoise italienne à bout de souffle.

 

En réalité, le phénomène Ingroia ne donne qu'un nouvel élan à une vieille formulée déjà expérimentée par le juge Antonio di Pietro il y a 15 ans de cela : celui du juge impartial, ni de droite ni de gauche, du justicier moralisateur de la politique.

 

Ce n'est pas un hasard si Di Pietro a été un des premiers soutiens de la liste Ingroia. Di Pietro se définit lui-même comme un libéral, un centriste (son parti est membre de l'Alliance des libéraux européens).

 

Di Pietro a soutenu tous les gouvernements Prodi, il fut même son Ministre des Travaux publics, avalisant le projet de TGV Lyon-Turin ou encore organisant la fusion entre l'ex-entreprise publique des autoroutes italiennes et un grand groupe espagnol pour en faire un « monopole européen ».

 

Parmi les autres leaders du mouvement « Ingroia » : deux maires élus en 2011 dans le Sud et issus de la « société civile », les juges de Magistris et Orlando.

 

Les deux n'ont pas vraiment le profil de révolutionnaire. Le premier se reconnaît dans les idées de Di Pietro sur la liste européenne duquel il s'est présenté et a été élu à Bruxelles en 2009. Le second, lui aussi membre du parti de Di Pietro, est un ancien de la Démocratie chrétienne.

 

Deux juges reconvertis dans la politique élus triomphalement respectivement en 2011 et 2012 à la tête des villes de Naples et Palerme avec des scores (65% et 71%) reflétant, dans ces villes loin d'être de tradition progressiste, le caractère « moral » et « a-politique » de ces candidatures.

 

Depuis, dans des villes certes extrêmement difficiles à gérer, le changement peine à se matérialiser et la déception grandit parmi les militants associatifs quant à la prudence des changements dans les politiques sociales et environnementales des nouveaux maires.

 

Un manifeste « réformiste » assumé pour une révolution... « radicale et démocratique »

 

Dans un cadre toujours plus droitier et dépolitisé, le programme d'Ingroia n'a guère de mal à apparaître comme « révolutionnaire ». Or, une simple analyse du Manifeste (« Io ci sto »/« j'en suis ») de la liste d'Ingroia conduit à une autre lecture : un programme de réformes institutionnelles.

 

En effet, le mouvement se présente comme une « alternative de gouvernement » construit à partir d'une « force réformiste » dont le but est de « sortir l'Italie de la crise » et relancer « un pays libéré des mafias et de la corruption ».

 

Cette force se fixe deux objectifs fondamentaux : tout d'abord, réformer l'Union européenne « pour qu'elle devienne autonome des pouvoirs financiers » ; ensuite, « changer le personnel (caste) politique italien », en somme proposer qu'une nouvelle équipe remplace l'ancienne usée.

 

Le catalogue de réformes proposées s'inscrit dans une perspective démocratique et inter-classiste : faire « de la légalité et de la solidarité le ciment du pays ».

 

Parmi les dix points du programme, des mesures réformistes et une insistance sur la moralisation de la politique qui font du manifeste d'Ingroia un programme radical-démocratique plus qu'un programme d'une gauche de classe ou d'alternative.

 

Seule mesure économique (de classe) concrète, la proposition 6 selon laquelle « les entrepreneurs doivent pouvoir développer des projets, la recherche et des produits sans être étouffés par la finance, la bureaucratie et les taxes ».

 

Que ce programme soit limité aux PME ou à toutes les entreprises, cela n'en reste pas moins un plan d'exonérations fiscales pour les entreprises au nom de la compétitivité.

 

Dans son ensemble, le programme de la liste Ingroia s'assume comme celui d'une force ouvertement légaliste, réformiste et démocratique. Comme l'a affirmé lui-même la tête de liste : « Nous avons besoin d'une révolution... radicale et démocratique »

 

Pas d'alliance avec le Parti démocrate?

 

Une force qui reste pourtant inflexible sur un point : pas d'alliance avec le Parti démocrate et ceux qui ont soutenu Monti.

 

Une ligne de fer face au PD dans les paroles qui pourrait subir quelques exceptions en pratique. Si Ingroia a récusé tout pacte de désistement ou liste commune avec le PD, notamment pour le Sénat la réalité locale pourrait être autre.

 

En Lombardie, Sicile ou Campanie, les appels du pied du PD, pour l'instant rejetés, pourraient se concrétiser par un accord électoral concédant à la liste Ingroia quelques élus potentiels.

 

Derrière le numéro de « Je t'aime moi non plus » entre Ingroia et le candidat du PD Bersani (ex dirigeant liquidateur du PCI), le leader de la « Révolution civile » lance malgré tout des appels du pied calculés au PD pour faire barrage aux ennemis communs : Monti et Berlusconi.

 

Ne pas oublier que, si la liste efface symboles et noms des partis, les partis traditionnels – PdCI, Refondation, Verts et Italie des Valeurs – continuent à jouer un rôle déterminant dans la politique d'alliances de cette nouvelle force.

 

Tout récemment, à l'exception de Refondation communiste, le PdCI et l'Italie des Valeurs ont manifesté leur volonté de signer des alliances électorales dès le premier tour avec le Parti démocrate pour revenir (ou rester) au Parlement.

 

Quant à Ingroia, il inscrit son opposition sur des considérations morales revendiquant l'héritage du PD : « Cela ne va pas cher Bersani. La question morale et la lutte contre la mafia doivent être la priorité de l'engagement politique. Dans ce cas, c'est nous qui porterons sur nos épaules l'héritage que le PD a abandonné ».

 

Et les communistes dans tout cela ?

 

Intégrés au projet du PGE (le PdCI avec de fortes critiques), les communistes italiens semblent pourtant dépasser par la droite le projet du PGE matérialisé en 2008 par le projet Fédération de la gauche qui l'a alors emporté sur l'ambition de reconstruction d'un véritable Parti communiste.

 

Dans un cadre original – un PCI liquidé depuis 20 ans et une scène politique en décomposition – les communistes font le choix de l'effacement derrière une force « morale » et « radical-démocratique ». Un choix aux conséquences organisationnelles et idéologiques incertaines.

 

Conséquence probable, un nouvel affaiblissement de la visibilité des idées communistes ainsi que de l'enracinement social de l’organisation communiste. Un affaiblissement fruit de choix politiques qui pourraient justifier de nouveaux compromis électoraux glissant vers des compromissions.

 

Des voix critiques du côté du syndicat de classe de la FIOM : Plutôt la lutte de classes plutôt que la lutte anti-mafia

 

La seule voix critique associée aux communistes bien que proche d'éléments gauchistes est celle de Giorgio Cremaschi, l'ex-secrétaire de la FIOM, le syndicat des métallurgistes italiens, connu pour ses positions de classe.

 

Cremaschi critique une alliance réformiste à contre-temps :

 

« Ce n'est plus l'heure des réformes graduelles ni de l'unité des gauches. Il faut une rupture radicale avec l'Europe du Pacte budgétaire et de Monti, dire non au consensus dominant politique et syndical sur les contre-réformes. Plus forte sera les ruptures, plus nette sera la position politique ».

 

Ce que reproche Cremaschi à Ingroia, c'est de mettre la « lutte anti-mafia » avant « la lutte de classe », le « changement institutionnel » avant le « changement social » : « Ce qui ne me convient pas, c'est son ordre des priorités ».

 

Pour Cremaschi, il faut d'abord lutter contre les réformes libérales, ensuite rompre avec les engagements européens et enfin reposer la question de la socialisation de l'appareil productif.

 

La question de la lutte contre la corruption et les mafias dérive pour lui de la lutte contre ce système capitaliste : « C'est la question sociale qui l'emporte sur la lutte contre la criminalité et non l'inverse ».

 

« Voilà la différence de fond entre la lutte contre les mafias des libéraux honnêtes et celle du mouvement ouvrier socialiste et communiste : une différence encore plus vraie aujourd'hui, si l'on veut vraiment se positionner comme une alternative au cadre politique libéral dominant ».

 

Le dirigeant de la FIOM rappelle la ligne de fracture fondamentale à gauche : entre réformisme puisant à l'humanisme libéral-démocratique et gauche révolutionnaire et de classe, communiste, qui propose non d'aménager mais de renverser le système dominant.

 

* Voici le manifeste de la "Révolution civile" proposée par le secrétaire aux relations internationales du PdCI: http://www.rivoluzionecivile.it/manifesto-io-ci-sto/ ou http://www.esserecomunisti.it/?p=53612

 

Voici un article d'analyse positif sur l'alliance proposé par nos camarades suisses: http://www.sinistra.ch/?p=2401

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