Les racines sociales de la chasse aux immigrés à Rosarno (Italie): une bombe à retardement oubliée
13 janv. 2010
de Tonino Perna
dans Il manifesto du 10/01/2010
Traduction JC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
En mars de l'année dernière, la CGIL de la commune de Gioia Tauro a organisé une assemblée sur la question brûlante des conditions de vie des immigrés saisonniers dans la région. Une assemblée avec une forte présence d'immigrés qui avaient dénoncé courageusement les conditions de vie et de travail terribles qu'ils subissent dans cette terre de la Calabre Ultra. Dans le débat, des syndicats et des hommes politiques sont intervenus et ont exprimé leur entière solidarité avec les immigrés. Même le président Loiero, dans un discours émouvant, après avoir retracé les étapes de la douloureuse émigration calabraise, s'est exclamé: « Les conditions dans lesquelles vivent les immigrés à Rosarno sont un scandale. Malheureusement, la Région ne peut rien y faire ».
Huit ans auparavant, dans la même salle, j'avais participé à la même réunion organisée par le maire courageux de Rosarno, Peppe Lavorato, ancien député PCI et maire de la ville pendant plusieurs législatures. Les mêmes discours, les mêmes dénonciations, les mêmes appels rhétoriques à la solidarité. De concret, rien. Les immigrés africains ont continué à venir à Rosarno par milliers, de trois à cinq mille par an, après avoir été dans la région de Caserta, de Foggia ou de Raguse. Jusqu'à l'année dernière ils vivaient, ou plutôt survivaient, dans l'ancienne papeterie de Rosarno, dans des structures délabrées, sans le minimum d'hygiène, d'eau, de chauffage.
Cette année, ils ont trouvé l'ancienne papeterie brûlée et se sont réfugiés pour une partie d'entre eux dans l'usine désaffectée de la Rognetta [ce qui signifie en italien... la gale!], un nom qui est déjà tout un programme, et pour une autre partie à l'ancienne raffinerie d'huile d'olive de l'ESAC.
Toutes ex-usines comme la plupart des usines de la région, ex- aussi ces journalières, ces cueilleuses d'olive qui des années 1950 à 1970 ont mené de grandes luttes pour un salaire décent. Les filles de ces femmes/journalières qui ont lutté pour les droits des travailleuses sont aujourd'hui elles aussi pour la plupart journalières, mais bidon. On estime qu'elles sont entre 5 et 7 000 fausses journalières dans la région de Gioia-Rosarno.
La plupart d'entre elles n'ont pas fait une seule journée de travail, mais elles reçoivent les indemnités chômage après un minimum de cinquante-et-une journées de travail inexistantes, et prennent 4 500 euros pour chaque enfant. Une forme d'assistanat qui a permis aux familles de survivre sur ce territoire avec les aides communautaires accordées aux entreprises qui transforment les oranges en essences pour l'industrie des boissons.
Dommage que les fonctionnaires de l'Union Européenne ne se soient pas rendus compte que la plupart des factures présentées pour les aides communautaires étaient fausses et que les agriculteurs et les entrepreneurs du secteur des essences d'agrume se sont partagés les fonds communautaires sans rien produire ou seulement une petite partie des tonnes d'oranges qu'ils déclaraient transformer.
Tout était faux, tous était ex-quelque chose, les usines comme les personnes, sauf les immigrés. Qui étaient bien réels même si personne ne voulait les voir, qui travaillaient dans les champs pour vingt euro par jour et qui se saignaient aux quatre veines de l'aube au crépuscule.
On savait qu'ils arriveraient également cette année, comme le cadran qui suit les saisons. Quand arrive le temps des oranges, les immigrés arrivent dans la région de Gioia Tauro. On savait également que cette année, ils n'auraient nulle part où se loger. On savait que la situation sociale était à haut risque: en décembre 2008, deux sénégalais ont été blessés, dont un gravement, et il y avait eu alors une réaction légitime des immigrés pour demander protection et justice.
Comment fait-on avec une bombe à retardement? On cherche à la désamorcer, normalement. Dans notre cas, sachant que cette « bombe sociale » exploserait cet hiver, il était encore temps d'intervenir, au moins en terme de logistique. La Protection civile, par exemple, avait les ressources humaines et financières pour intervenir et de solides raisons: les conditions inhumaines hygiénico-sanitaires dans lesquelles vivaient les immigrés constituaient un risque pour toute la population de la commune et de la région. Elle pouvait rénover et mettre aux normes les édifices abandonnés, les usines désaffectées, installer l'eau et les services sanitaires. Elle le pouvait, mais elle ne l'a pas fait. Tout comme le Conseil régional pouvait intervenir à temps, lui qui trouve des fonds pour la moindre initiative, qui a dépensé des millions d'euros pour payer le footballeur Gattuso qui, de manière pathétique, nous regarde dans un écran en nous disant « J'ai la Calabre dans le coeur » ou le fameux Oliviero Toscano qui a noirci des pages de quotidiens italiens avec une publicité démentielle du type « Je suis calabrais donc je suis mafieux ».
C'était le minimum à faire pour créer les conditions pour que ces travailleurs puissent vivre décemment, pour éviter que l'exaspération ne monte. Ce n'est certainement pas la solution au problème qui passe par la rupture avec cette violence structurelle représentée par un marché du travail sauvage, par une filière agro-alimentaire qui pénalise ceux qui produisent – les oranges sont vendues sur place à 12 centimes le kilo – et récompense ceux qui spéculent et exploitent. Voilà le problème fondamental: tolérance zéro envers les clandestins, tolérance totale et omerta vis-à-vis de l'exploitation sauvage des travailleurs.
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