4blog_-_tourist_sign_540x361.jpgUne scène de crime : la Nouvelle-Orléans



Traduction AC pour http://www.solidarite-internationale-pcf.fr/



Article du journaliste d'investigation américain Greg Palast, repris par le Morning star, issu de son livre « Vultures picnic » (prix du livre de l'année de la BBC)



C'était il y a dix ans, la Nouvelle-orléans était noyée sous les eaux. De quoi oser mettre Dame Nature sur le rang des accusés. Mme Katrina n'a tué personne dans cette ville. Mais c'était un homicide, avec près de 2 000 morts. Si ce n'est Katrina, qui est responsable ? Qui est à accuser pour l'avalanche d'eau dévastatrice qui a enseveli cette ville ?



Il ne s'agissait pas d'un acte de Dieu. C'était un acte de Chevron, celui d'Exxon, des grandes compagnies pétrolières.



Regardez ces chiffres extraits des statistiques de l'Etat de Louisiane : Conoco 3,3 millions d'acres, Exxon Mobil 2,1 millions d'acrres, Chevron 2,7 millions d'acres, Shell 1,3 million d'acres.



Voici le total des terres humides rognées par ces quatre compagnies en quelques décennies. Si vous n'êtes pas agriculteur, je vous fais la conversion en superficie urbaine – c'est 23 688 km2 (NdT : l'équivalent du territoire de la Slovénie!) qui a fini au fond du Golfe du Mexique.



Voilà ce qui s'est passé. La Nouvelle-Orléans opposait depuis longtemps un grand espace marécageux au Golfe du Mexique. Les ouragans et les tempêtes devaient traverser une forêt de mangrove protectrice de plus de 150 km.



Mais ça, c'était il y a un siècle, Standard Oil – l'ancêtre d'Exxon – a commencé à poser des plate-formes de forage, à acheminer des oléoducs, à aménager des voies de navigation pour les tankers dans ce qui était jadis une douce prairie herbeuse sur le delta.



La plupart de ces magnifiques bayous que vous voyez sur les cartes postales ne sont que les cicatrices, les plaies des travaux dans la prairie qui fut un temps le cœur de l'élevage bovin américain. Les bayous, plein d'alligators et d'écrevisses, ont gagné du terrain tandis que le littoral s'effritait.



Les opérations pétrolières ont rapproché le golfe de la Nouvelle-Orléans, 6 km par an.



Un des chenaux creusés pour le bon plaisir d'Exxon, le canal de la Rivière-Golfe du Mississippi, a été surnommé l' « Autoroute de l'Ouragan » par les experts – bien avant Katrina – qui a invité la tempête à passer les portes de la ville, les digues.



Sans l'holocauste des arbres et de la prairie du aux grandes compagnies pétrolières, « Katrina n'aurait été qu'un ouragan de petite importance », m'a confié le professeur Ivan van Heerden.



Van Heerden, autrefois vice-directeur du Centre sur les ouragans de l'Université d'Etat de Louisiane (LSU), est un des plus grands spécialistes mondiaux des ouragans.



Si seulement ils avaient laissé juste 10 % de ce glacis protecteur, la face des événements aurait changé. Mais ce ne fut pas le cas.



Van Heerden m'a fait faire un tour dans la zone de combat, dans la guerre du pétrole. C'était la 9 ème section basse (Lower ninth ward) de la Nouvelle-Orléans, qui détenait le record de concentration de foyers afro-américains aux Etats-unis. Désormais, il détient un autre record : celui del a concentration de décombres appartenant à des familles afro-américaines.



Nous nous tenions devant une maison, des années après Katrina, avec un « X » peint à la bombe sur le mur et « 1 chien mort », « 1 chat », le nombre 2 et « 9/6 » partiellement recouvert d'une note de saisie.



Le professeur traduit : « 9/6 », cela signifie que les sauveteurs n'ont pu atteindre la maison pendant 8 jours, donc le « 2 » – le couple qui vivait ici – a du nager péniblement avec leurs animaux jusqu'à ce que la montée des eaux les pousse contre le plafond et qu'ils étouffent, leurs cadavres gonflés d'air ont flotté pendant une semaine encore.



En juillet 2005, van Heerden a averti la Chaîne numéro 4 : « D'ici un mois, la ville pourrait se retrouver sous les eaux ».



Un mois après, c'était le cas. Van Heerden a tiré la sonnette d'alarme pendant au moins deux ans, parlant même auprès de la Maison Blanche et George Bush d'une situation d'urgence – avec le golfe se rapprochant, les digues étaient trop courtes de 50 cm.



Mais le corps des ingénieurs de l'armée était occupé avec d'autres rivières – le Tigre et l'Euphrate.



Donc lorsque ces digues ont commencé à céder, la Maison blanche, espérant éviter toute responsabilité fédérale, n'a pas dit au gouverneur de la Louisiane Kathleen Blanco que les digues lâchaient.



Ce lundi soir, le 29 août, avec la tempête contournant la Nouvelle-Orléans, le gouverneur avait arrêté l'évacuation de la ville.



Van Heerden était avec le gouverneur au Centre d'urgence de l'Etat. « A minuit, lundi, la Maison-blanche savait. Personne parmi nous ne savait ». C'est alors que les noyades ont commencé.



Van Heerden était censé garder cela secret. Il ne l'a pas fait. Il m'a dit, face à la caméra – sachant que le flot de dénonciation officielle retomberait sur lui.



On lui a dit de garder le silence, d'ensevelir la vérité. Mais il m'a dit plus, beaucoup plus : « je n'allais pas écouter toutes ces menaces, les laisser me réduire au silence ».



Bien, ils l'ont fait taire. Après avoir rendu public la menace permanente, vitale que constituent les creusement de canaux pour les compagnies pétrolières, LSU (l'université de Louisiane) a fermé son Centre sur les ouragans – vous pouvez imaginer cela ? – et ont viré le prof van Heerden et ses experts associés.



. Le chèque était transmis par un groupe appelé « Terres humides d'Amérique » – qui fait du lobbying pour aller plus loin dans le forage sur les terres humides.C'était juste après que l'université a reçu un chèque de 450 000 € de Chevron



A la place de van Heerden et de ses experts indépendants, le nouveau « Centre sur les terres humides » de la LSU compte des professeurs choisis par un conseil de bureaucrates issus de l'industrie pétrolière.



En 2003, les gens aux Etats-unis ont protesté : « Pas de sang pour le pétrole » en Irak. Il est temps que nous disions : « Pas de sang pour le pétrole », mais en Louisiane.



Retour à l'accueil