« Printemps bosnien » : l'UE soutient le gouvernement et n'exclut pas … d'envoyer des troupes contre les manifestants !
27 févr. 2014 « Printemps bosnien » : l'UE soutient le gouvernement et n'exclut pas … d'envoyer des troupes contre les manifestants !
Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
Double discours, double jeu. Pendant que l'Union européenne soutient en Ukraine les manifestants - y compris les plus violents, les groupes fascistes – contre le gouvernement, elle soutient en Bosnie son gouvernement corrompu contre des manifestations populaires.
Le focus de nos médias est sélectif. A 1 700 km de Paris, le peuple bosniaque dit « Non » face à un gouvernement corrompu, qui a tout privatisé et ruiné son pays, et qui a épuisé toutes les ficelles du nationalisme ethnique et du fondamentalisme religieux.
Certains parlent même de « printemps bosnien » : deux semaines de manifestations populaires, parties de centaines d'ouvriers licenciés dans des entreprises tout juste privatisées et déjà en faillite à Tuzla. Désormais dans toutes les villes, de Sarajevo à Mostar, Bosniaques, Serbes, Croates réclament tout simplement « du travail et du pain ».
La Bosnie, du mirage de l'indépendance à la réalité de la dépendance
Car la situation, on la connaît. Un pays où 44 % de la population est au chômage (57 % pour les moins de 25 ans), un tiers sous le seuil de pauvreté, un pays totalement dépendant où le déficit commercial frôle les 30 % (4 % pour la Grèce, 2 % pour la France).
Le mirage de l'indépendance laisse la réalité du dépendance accrue face au capital allemand, aux banques autrichiennes, aux troupes européennes. La Yougoslavie socialiste, multi-culturelle, pacifique n'est plus qu'un lointain souvenir, entretenu avec nostalgie.
L'Europe porte une lourde part de responsabilité dans cette situation. C'est elle, en particulier l'Allemagne, qui a précipité l'éclatement de la Yougoslavie en 1992 en reconnaissant les pays sécessionnistes, afin de récupérer la grosse partie du gâteau.
C'est elle qui a imposé, en lien avec le FMI, des « plans d'ajustement structurel » qui ont surtout contribué à détruire la petite agriculture du pays, l'industrie lourde héritée de l'ex-Yougoslavie socialiste, le secteur bancaire, tous privatisés et passés sous dépendance des capitaux étrangers.
La Bosnie, un pays sous tutelle européenne : le Haut représentant, un pro-consul
Aujourd'hui, la Bosnie est non seulement un pays dépendant mais sous tutelle. Héritage des Accords de Dayton (1995), le « Haut représentant pour la Bosnie » est le véritable maître du pays.
Ce haut dignitaire international est toujours membre d'un pays de l'Union européenne, il a droit d'imposer des décisions contraignantes y compris contre l'avis des élus locaux ou nationaux, d'annuler des mesures prises par ces derniers, voire de révoquer ces élus.
C'est ainsi le Haut représentant qui a imposé l'adoption du Mark comme monnaie nationale, d'un drapeau national (comme celui du Kosovo) fort similaire à celui de l'Union européenne et bien sûr a pressé pour l'adoption des « réformes structurelles » en vue de l'adhésion à l'UE : coupes dans les aides sociales, baisse de salaires, privatisations des secteurs-clés
La révolte populaire depuis plusieurs semaines en Bosnie, c'est donc une réaction de colère contre cet agenda européen qui a réduit le pays – autrefois région plutôt prospère de Yougoslavie – à la misère.
Pour le Haut représentant : « il faut penser à l'envoi de troupes européennes »
La première réaction vient du pro-consul, le Haut représentant actuel pour la Bosnie, l'Autrichien Valentin Inzko.
Dans un entretien au journal viennois « Kurier », le 9 février, il avertit que la situation est « la pire » depuis la guerre civile et lance un appel : « Si la situation se dégrade, nous devrons penser à l'envoi de troupes de l'Union européenne en Bosnie ».
Le bouillonnant Paddy Ashdown, qui fut Haut représentant de 2002 à 2006 et a révoqué des centaines d'élus locaux bosniaques, lance un cri d'aide : « Il faut que la communauté internationale agisse maintenant, ou sinon je crains que la menace du sécessionisme ne devienne irrésistible », a-t-il confié à la chaîne américaine CNN.
Quelle réponse du côté des dirigeants de l'Union européenne ? Bien différente de celle apportée en Ukraine. Un soutien prudent au gouvernement, un besoin urgent d'accélérer l'intégration européenne … quitte à envisager l'usage de la force pour couvrir l’infamie d'un gouvernement corrompu.
« Que ces dirigeants montrent leur leadership, nous les soutiendrons » (Catherine Ashton)
Ainsi, la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton a conseillé aux dirigeants bosniaques discrédités d'apporter une solution aux problèmes de la population, par l'adoption de réformes économiques, et a apporté le soutien de l'UE au gouvernement dans cette optique :
« Il y a beaucoup de dirigeants en Bosnie-Herzégovine, et il est temps qu'ils démontrent leur leadership, et nous les soutiendrons dans cette tâche ».
Ce n'est pas le même discours qui est tenu en Ukraine face au gouvernement de M.Ianoukovitch !
Elle a rajouté, en conférence de presse le 11 février : « qu'il fallait que les manifestants expriment leurs revendications de façon pacifique, sans recours à la violence, que nous condamnons ».
Encore une fois, on peut comparer les appels différents en Ukraine, où la répression gouvernementale fut la première condamnée, la violence des manifestants – souvent organisée par des milices d'extrême-droite – minimisée.
Le commissaire européen Stefan Füle à Sarajevo ...
dans les palais gouvernementaux !
Le Commissaire européenne à l'intégration et à l'élargissement de l'UE, l'allemand Stefan Fule, s'est lui envolé pour Sarajevo pour rencontrer … les leaders des différents partis bosniaques honnis par les manifestants afin d'envisager une sortie de crise.
Il a néanmoins ferraillé avec eux, non pour exiger leur démission, pour imposer des réformes sociales mais … le Jugement de la Cour européenne des droits de l'Homme, faire sauter en Bosnie les discriminations qui empêchent Juifs et Roms d'accéder à la Présidence et à l'Assemblée.
Füle est reparti furieux de Sarajevo, car les différents partis nationalistes n'ont rien lâché sur cette question centrale à leur fond de commerce raciste. Il n'a pas apporté le moindre soutien aux manifestants, essayé de faire pression sur le gouvernement.
« On peut leur donner un coup de main, comme nous le faisons tout le temps »
On se rappelle qu'à Kiev, Catherine Ashton mais aussi les ministres des Affaires étrangères allemands et polonais étaient venus apporter leur soutien aux manifestants pro-européens, jusque sur la place Maidan, apportant des oranges aux « indignés » à crânes rasés.
Rien de bien différent chez Doris Pack, attachée du Parlement européenne pour la Bosnie, elle pour qui « la situation actuelle peut rapprocher la Bosnie de l'UE (…) si les dirigeants actuels font des efforts pour résoudre les problèmes.
On peut juste leur donner un coup de main, comme nous le faisons tout le temps, et leur montrer que nous sommes toujours intéressés par l'avenir de ce pays. Une forte représentation de l'UE peut convaincre les gens de rejoindre l'Union européenne ».
Chez les diplomates des principaux pays européens, indignés face à la situation en Ukraine, un silence assourdissant que ce soit du côté des ministres des Affaires étrangers français (Fabius) ou allemand (Steinmaier).
Seul le ministre des Affaires étranger anglais, William Hague, a qualifié la situation en Bosnie « d'avertissement pour l'UE », appelant l'Union européenne à accélérer l'intégration de la Bosnie dans le bloc européen.
Des troupes d'occupation européennes à Bosnie ? Mais elles y sont déjà !
A savoir que la Bosnie abrite encore sur son sol des troupes européennes. On se rappelle que les forces d'interposition de l'ONU avaient cédé la place dès 1995 à celles de l'OTAN (l'IFOR puis la SFOR), elles-mêmes dépassées en 2004 par l'EUFOR : les forces armées européennes.
L'EUFOR ne visait pas seulement à garantir une paix désintéressée mais officiellement à assurer un environnement pacifié y compris sur le plan social pour assurer la transition vers l'intégration européenne.
Depuis 2004, les troupes européennes sont passées de 6 500 en 2004 à 2 500 en 2007, puis à un peu moins de 1 000 aujourd'hui.
Toutefois l'Autriche – à la fois premier fournisseur de troupes, puissance dominant le secteur bancaire et financier bosniaque et pays d'origine du Haut représentant en Bosnie – ait renforcé son contingent sur place, avec l'envoi de 130 hommes supplémentaires en janvier 2014.
Peu importe si l'Union européenne osera mobiliser des troupes en Bosnie – ou plutôt renforcer le contingent déjà présent – en tout cas ce que révèlent les crises de Bosnie et d'Ukraine en parallèle, c'est bien l'hypocrisie de nos dirigeants :
que la main droite qui aide des manifestants douteux (nationalistes mais pro-européens) en Ukraine ne voie pas qu'elle aide un gouvernement encore plus douteux (nationaliste mais pro-européen) en Bosnie !
Commenter cet article