Saramago« On privatise tout, on privatise la mer et le ciel,

on privatise l'eau et l'air, on privatise la justice et la loi,

on privatise le nuage qui passe,

on privatise le rêve, surtout s'il est diurne

et qu'on le rêve les yeux ouverts.

Et finalement, pour couronner le tout et en finir avec tant de privatisations

on privatise les Etats, et on les livre une fois pour toutes

à la voracité des entreprises privées,

vainqueurs de l'appel d'offre international

Voilà où se trouve désormais le salut du monde...

Et, en passant, on privatise aussi

la pute qui est notre mère à tous »



José Saramago, dans les Cahiers de Lanzarote



privefm2On privatise... (ou l'avenir de la pêche dans l'Union Européenne)



par Pedro Guerreiro, membre du Comité Central du Parti Communiste Portugais et ancien député européen (2004-2009)



Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/



A la fin de l'année s'est achevée la période de consultation publique sur le Livre Vert pour la réforme de la Politique Commune de Pêche (PCP) (1). Lancé par la Commission Européenne l'an passé, ce document comprenait un diagnostic du secteur de la pêche au sein de l'Union Européenne et des propositions pour ce qu'on dit devoir être « une véritable mutation permettant de venir à bout des raisons profondes qui sont à l’origine du cercle vicieux dans lequel la pêche européenne est emprisonnée depuis ces dernières décennies. ».



Le diagnostic repose sur ce que l'on considère être « une surexploitation des stocks, une surcapacité des flottes de pêche, de fortes subventions, une faible résilience économique et une baisse des quantités de poissons capturées ». En résumé, à écouter la Commission, « il y a trop de navires pour trop peu de poissons ». Conséquence: « un grand nombre de segments de la flotte européenne ne sont pas viables économiquement ». La solution, c'est certain, ne pouvait être autre: la Commision nous l'explique, c'est le marché



Droits de pêche transférables



L'intention n'est pas nouvelle. Cela fait longtemps que l'activité de la pêche est utilisée comme exemple pour illustrer ce que Hardin, dans un essai qui allait devenir célèbre, avait appelé « La tragédie des biens communs » (2). Depuis lors, l'attribution de droits de propriété sur les ressources naturelles d' « usage commun », c'est-à-dire la privatisation de ces ressources, a été préconisée et rendue effective dans une grande variété de domaines d'activité.



Dans les dernières semaines, nous avons parlé d'un autre exemple, très actuel: les permis d'émission de carbone. Sous prétexte de protéger un bien public – l'atmosphère et sa capacité à réguler le climat – on attribue et on commercialise des droits (privés) d'émission de CO2, en plaçant entre les mains du privé ce service que, naturellement l'atmosphère nous rend.



Avec les droits de pêche transférables, défendus par la Commission comme la manière « la plus efficace et la moins onéreuse » de réduire la « surcapacité », on cherche à créer, de manière progressive, un système communautaire de droits de propriété, privés, pour l'accès à l'exploitation d'un bien public: les ressources halieutiques.



C'est la Commission elle-même qui, dans le Livre Vert, anticipe sur les conséquences inévitablement désastreuses de ce choix pour la petite pêche et pour les communautés côtières – et nous pourrions ajouter pour un Etat-membre comme le Portugal – en défendant la nécessité de clauses de sauvegarde destinés à éviter une « concentration excessive » de la propriété.



Même si dans un premier moment les droits de pêche transférables (aussi appelés ITQ, dans la terminologie anglaise) ne s'appliqueront qu'à une partie de la flotte et au niveau national, comme le prétendent certains, rien ne pourra empêcher à ce qu'à l'avenir on s'achemine vers un marché unique des droits de pêche dans l'Union Européenne. Ce qui pourrait inclure même des transactions de ces droits sur les marchés boursiers. Comme cela est prévu par les règles communautaires en matière de concurrence dans le marché interne, toute « clause de sauvegarde » éventuelle devra obligatoirement s'y soumettre. Il sera ainsi impossible d'empêcher, dans la pratique, la réalisation de la véritable intention du grand capital européen et de ses serviteurs, dans ce domaine comme dans les autres: la concentration de l'activité entre les mains des grands groupes économiques et financiers, à l'échelon national, dans un premier temps, et, plutôt tôt que tard, à l'échelle de l'Union Européenne. La référence faite dans le Livre Vert à la « flotte européenne », occultant le fait qu'il existe en réalité des flottes nationales très différentes, n'est pas innocente. Au contraire, elle est révélatrice.



Dans la lignée du Traité de Lisbonne, nous sommes face à une attaque inacceptable contre la souveraineté des Etats dans un domaine d'une importance vitale.



Il faut dire que cette solution ne constitue en aucun cas une garantie de la durabilité des stocks de poissons, car il est évident (et l'expérience l'a montrée dans bien d'autres domaines) que la réduction et la concentration des droits entre les mains d'une poignée d'opérateurs ne signifie pas nécessairement une réduction de l'activité de pêche, mais seulement la concentration de l'exploitation des ressources.



 

(1)http://agriculture.gouv.fr/sections/magazine/focus/assises-peche/enjeux-assises-peche/downloadFile/FichierAttache_2_f0/Livre_vert.pdf?nocache=1254735049.92



(2)http://www.sciencemag.org/cgi/reprint/162/3859/1243.pdf



Numéro 1884 du 7 janvier d'Avante (hebdomadaire du PC Portugais)



Site d'Avante: http://www.avante.pt/

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