rosa luxRosa Luxembourg dénonce l'hypocrisie des dirigeants socialistes face à la guerre de 1914 :

 

« La reconstruction de l'Internationale »

 

 

Premier article de la revue « Die Internationale » : La reconstruction de l'Internationale, 15 avril 1915, publiée par Rosa Luxembourg qui fait partie de la minorité au sein du Parti social-démocrate s'opposant à la guerre impérialiste.

 

La revue est immédiatement saisie par les autorités, ses rédacteurs – parmi lesquels Franz Mehring, Clara Zetkin, Karl Liebknecht, dont le noyau formera le futur Parti communiste allemand – poursuivis pour haute trahison.

 

Un article encore éclairant au moment où la social-démocratie tente d'imposer des sacrifices aux travailleurs de tous les pays au nom de l' « Union sacrée », de la « compétitivité économique », des « opérations humanitaires » à l'étranger.

 

Et où le parallèle avec la Première Guerre mondiale, et ses millions de morts, nourrit d'un côté les appels à « l'unité nationale » des classes dirigeantes mais rappelle surtout les origines de cette guerre, profondément ancrées dans un choc des impérialismes et la crise du capital.

 

 

Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

 

« Ce 4 août 1914, la social-démocratie allemande a abdiqué politiquement, et dans le même temps, l'Internationale socialiste s'est effondrée. Toutes les tentatives visant à nier ou occulter ce fait, quelles que soit les raisons qui les animent, tendent objectivement à perpétuer, et à justifier, la désillusion désastreuse des partis socialistes, la maladie interne du mouvement, qui a conduit à sa faillite, et à faire sur le long-terme de l'Internationale socialiste une fiction, une hypocrisie.

 

Un tel auto-effondrement est sans précédent dans l'histoire de l'Humanité. Socialisme ou impérialisme – cette alternative résume complètement l'orientation politique des partis ouvriers dans la dernière décennie.En Allemagne, elle a été formulée dans d'innombrables discours, programmes, meetings de masse, brochures et articles comme le mot d'ordre de la social-démocratie, comme l'interprétation par le parti des tendances de l'époque historique actuelle.

 

Avec le début de la guerre mondiale, le mot est devenu substance, l'alternative est passée de tendance historique à situation politique. Face à cette alternative, qu'elle a été la première à reconnaître et à porter à la conscience des masses, la social-démocratie a capitulé sans lutter et a cédé la victoire à l'impérialisme. Jamais auparavant dans l'histoire de la lutte des classes, depuis qu'il existe des partis politiques, un parti n'avait, de cette manière, après cinquante années de croissance ininterrompue, après avoir acquis une position de pouvoir prééminente, après avoir rassemblé des millions de personnes autour de lui, si entièrement et honteusement abdiqué en tant que force politique en l'espace de 48 heures, comme la social-démocratie l'a fait. Précisément parce qu'elle était l'avant-garde la mieux organisée, la plus disciplinée de l'Internationale, l'effondrement actuel du socialisme peut être lu à la lumière de l'exemple de la social-démocratie.

 

Kautsky, représentant du dit « centre marxiste », ou, en termes politiques, comme théoricien du marais, a pendant des années dégradé la théorie en instrument commode pour la pratique officielle des bureaucrates du parti et a donc rendu sa contribution sincère à l'effondrement actuel du parti. Il a déjà conçu une nouvelle théorie opportune pour justifier et expliquer l'effondrement. Selon cette théorie, la social-démocratie est un instrument pour la paix mais pas un outil pour combattre la guerre. Ou, comme les élèves fidèles de Kautsky dans la « lutte » autrichienne, se perdant en soupirs dans l'aberration actuelle de la social-démocratie, l'expose :la seule politique convenant au socialisme pendant la guerre, c'est le silence ; seulement quand les cloches de la paix sonneront, le socialisme pourra à nouveau se mettre en marche. Cette théorie d'un rôle d'eunuque délibérément assumé, qui affirme que la vertu du socialisme ne peut être conservée que si, dans les moments décisifs, il s'efface en tant que facteur de l'histoire mondiale, souffre de l'erreur la plus fondamentale de tous les récits d'impuissance politique : il ne fait que fermer les yeux sur le facteur le plus vital.

 

Confrontée à l'alternative d'être pour ou contre la guerre, la social-démocratie, à partir du moment où elle a abandonné l'opposition, a été contrainte par l'impulsion de fer de l'histoire à jeter tout son poids dans la guerre.Le même Kautsky, qui dans ce meeting mémorable du parti parlementaire du 3 août plaidait pour accorder les crédits de guerre, les mêmes Austro-marxistes (comme ils se nomment) qui désormais voient comme une évidence le vote des parlementaires social-démocrates aux crédits de guerre – même s'ils versent à l'occasion quelques larmes sur les excès nationalistes des organes du parti social-démocrate et sur leur formation théorique inadéquate, particulièrement sur la séparation tenue entre le concept de « nationalité » et d'autres « concepts » supposément coupables de telles aberrations. Mais les événements ont leur propre logique, même quand les êtres humains n'en ont pas. Une fois que les parlementaires social-démocrates ont décidé de soutenir la guerre, tout le reste a suivi automatiquement, avec l'inéluctabilité de la destinée historique.

 

Le 4 août, la social-démocratie allemande, loin de rester silencieuse, a joué un rôle historique extrêmement important : celui du bouclier de l'impérialisme dans la guerre. Napoléon disait qu'il y avait deux facteurs qui décidaient de l'issue d'une bataille : le facteur « terrestre », qui consiste dans le terrain, la qualité des armes, le météo, etc. et le facteur « divin » qui est la constitution morale de l'armée, son moral, sa foi dans sa propre cause. Le facteur « terrestre » fut de la charge côté allemand de l'entreprise Krupp d'Essen ; le facteur « divin » fut à la charge de la social-démocratie. Les services qu'elle a rendus depuis le 4 août, et qu'elle rend quotidiennement aux dirigeants de guerre allemands sont incommensurables : les syndicats qui au début de la guerre ont mis en veilleuse la bataille pour les salaires et ont investi avec l'aura du « socialisme » toutes les mesures de sécurité des autorités militaires visant à empêcher tout soulèvement populaire ; les femmes social-démocrates qui ont soustrait tous leurs efforts et leurs temps à l'agitation social-démocrate pour les consacrer, main dans la main avec les patriotes bourgeois, à aider les familles des combattants dans le besoin ; la presse social-démocrate qui, à quelques exceptions près, se sert de ses quotidiens, hebdomadaires et mensuels pour diffuser la guerre comme cause nationale et cause du prolétariat ; cette presse qui, selon le tour que prend la guerre, dépeint le péril russe et l'horreur du gouvernement tsariste, ou abandonne une perfide Albion à la haine du peuple ou se réjouit des soulèvements et révolutions dans les colonies étrangères ; ou prophétise le renforcement de la Turquie après la guerre, qui promet la liberté aux Polonais, aux Biélorusses et à tous les peuples, qui insuffle un courage martial, un héroïsme à la jeunesse prolétarienne – en bref, qui manipule complètement l'opinion publique et les masses pour l'idéologie de la guerre ; les parlementaires social-démocrates et les dirigeants du parti, finalement, qui n'ont pas seulement voté les crédits de guerre, mais qui essaient de réprimer énergiquement tout frémissement inquiet de doute et de critique au sein des masses, sous le nom de « complots », et qui de son côté soutient le gouvernement avec des services personnels fort discrets, tels que des brochures, discours et articles faisant étalage du patriotisme national allemand le plus sincère – quand, dans l'histoire mondiale, a-t-on vu une guerre où tout s'est passé ainsi ?

 

Où et quand la suspension de tous les droits constitutionnels a-t-elle été acceptée aussi docilement comme une évidence ? Où de tels louanges à la censure la plus dure ont-ils été chantés dans les rangs de l'opposition, comme c'est le cas dans les journaux de la social-démocratie allemande ? Jamais auparavant une guerre n'avait trouvé un tel Pindare ; jamais auparavant une dictature militaire n'avait trouvé tant d'obéissance ; jamais un parti politique n'avait si ardemment sacrifié tout ce qu'il défendait et possédait sur l'autel d'une cause sur laquelle il avait juré un millier de fois avant que le monde ne lutte jusqu'à la dernière goutte de sang. Jugés à l'aune de cette métamorphose, les Nationaux-libéraux sont les vrais Catons romains, des rochers de bronze. Justement l'organisation puissante et la discipline tant vantée de la social-démocratie allemande s'est vu confirmée lorsque ce corps de 4 millions d'hommes a permis à une poignée de parlementaires de faire volte-face et de tirer le wagon dans le sens opposé à sa raison d'être. Les cinquante années de travail préparatoire de la social-démocratie se sont matérialisées dans la guerre actuelle. Et les dirigeants du syndicat, du parti peuvent prétendre que l'élan et la force victorieuse de cette guerre, côté allemand, sont dans une large mesure les fruits de la « formation » des masses dans les organisations prolétariens. Marx et Engels, Lassalle et Liebknecht, Bebel et Singer ont formé le prolétariat allemand afin qu'Hindeburg puisse le commander. Et plus la formation, l'organisation, cette fameuse discipline, la consolidation des syndicats et de la presse ouvrière est avancée en Allemande, en comparaison avec la France, et plus fort est le soutien rendu à la guerre par la social-démocratie allemande, par rapport à celle donnée par le parti socialiste français. Les socialistes français, avec leurs ministres, ne semblent que de modestes amateurs dans cette affaire inhabituelle du nationalisme et de la guerre, si on les compare aux services rendus à l'impérialisme patriotique par la social-démocratie allemande et les syndicats allemands.

 

II –

 

La théorie officielle qui instrumentalise le marxisme selon les besoins domestiques contemporains des responsables du parti afin de justifier leurs affaires quotidiennes, et dont l'organe est le Neue Zeit, tente d'expliquer le petit écart entre la fonction actuelle du parti des travailleurs et ses paroles d'hier, en disant que le socialisme international était très concerné par la question de faire quelque chose contre le déclenchement de la guerre, mais pas par faire quelque chose après qu'elle se soit déclenchée. Comme une jeune fille qui plaît à tout le monde, cette théorie nous assure que la plus belle harmonie prévaut entre le pratique actuelle du socialisme et son passé, qu'aucun des partis socialistes n'a de reproches à se faire, qui pourrait conduire à remettre en cause son adhésion à l'Internationale. Dans le même temps, toutefois, cette théorie opportunément élastique a également une explication adéquate sous la main pour la contradiction entre la position présente de la social-démocratie internationale et son passé, une contradiction qui frappe même les personnes les plus myopes. L'Internationale, dit-on, n'a posé que la question d'empêcher la guerre. Or, désormais, « la guerre s'impose à nous », comme on dit, donc ce sont des modèles de comportement très différents qui régissent l'attitude des socialistes après la guerre par rapport à avant. Quand la guerre s'impose à nous, la seule question qui se pose au prolétariat de chaque pays est : victoire ou défaite. Ou comme un autre austro-marxiste, F.Adler, l'a expliqué plus dans les termes de la science naturelle ou de la philosophie : la nation, comme tout organisme, doit avant tout assurer sa survie. En bon allemand, cela veut dire : pour le prolétariat, il n'y a qu'une règle vitale, comme le socialisme scientifique l'a affirmé jusque-là, ou plutôt deux règles : une en temps de paix, l'autre en temps de guerre. En temps de paix, on serait pour la lutte de classes à l'intérieur de chaque pays et la solidarité internationale à l'extérieur; et en temps de guerre, on serait pour la solidarité de classes à l'intérieur et pour la lutte entre les travailleurs des différents pays à l'extérieur. L'appel historique du Manifeste Communiste reçoit un complément important et proclame désormais après avoir été corrigé par Kautsky : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous en temps de paix et tranchez-vous la gorge en temps de guerre ». Donc aujourd'hui: « A chacun son Russe, à chacun son Français! » et demain une fois la paix conclue: « Etreignez-vous, millions d'hommes, ô baiser de l'Univers! » Car l'Internationale est « essentiellement un instrument de paix, mais elle n'est pas un outil efficace dans la guerre ».

 

Cette théorie accomodante ne fait pas qu'ouvrir des perspectives séduisantes pour la pratique social-démocrate, en élevant la versatilité du parti parlementaire, couplé au jésuitisme du Parti du centre, virtuellement en dogme fondamental de l'Internationale socialiste. Il inaugure une nouvelle « révision » complète du matérialisme historique, à côté duquel toutes les vieilles tentatives de Bernstein apparaissent comme d'innocents jeux d'enfants. La tactique prolétarienne, avant et après le déclenchement de la guerre, est supposée se baser sur des principes différents, opposés même. Cela suppose que les conditions sociales, les fondements de notre tactique, sont également différents dans le fond en temps de guerre et en temps de paix. Selon le matérialisme historique fondé par Marx, toute histoire jusqu'à nous jours est histoire de lutte de classes. Selon le matérialisme révisé de Kautsky, les mots « exceptés en temps de guerre », doivent être rajoutés. En conséquence, le développement social, puisqu'il a été depuis des millénaires régulièrement interrompu par des guerres, suit une évolution selon le schéma suivant : une période de lutte de classes, ensuite une pause où il y a fusion entre les classes et lutte nationale, ensuite une période de lutte de classes, ensuite pause et fusion de classes, et ainsi de suite, dans ce modèle séduisant. Chaque fois, les fondements de la vie sociale en temps de paix sont renversés par le déclenchement de la guerre et ceux des périodes de guerre renversés une fois la paix conclue. Ceci, comme chacun peut le voir, n'est plus une théorie du développement social « en catastrophes », contre lequel Kautsky avait dû se défendre, c'est une théorie du développement – en galipettes. Selon cette théorie, la société se meut quelque part pareille à un iceberg emporté par les courants du printemps qui, lorsque sa base a fondu dans les eaux tièdes, après un certain temps voit sa tête sombrer, à partir de quoi ce petit jeu peut recommencer.



Désormais ce matérialisme historique révisé est un affront grossier à tous les faits historiques acceptés jusqu'alors. Cette anti-thèse nouvellement construite entre guerre et lutte de classe n'explique ni ne démontre cette transition dialectique constante de la guerre à la lutte de classe, et de la lutte de classe à la guerre, qui révèle son unité interne fondamentale. C'était le cas dans les guerres dans les cités médiévales, dans la guerres de la Réforme, dans la guerre hollandaise de libération, dans les guerres de la grande Révolution française, dans la guerre de sécession américaine, dans le soulèvement de la Commune de Paris, dans la grande Révolution russe de 1905. Et ce n'est pas tout, même en termes purement abstraits-théoriques, la théorie du développement historique de Kautsky efface complètement la théorie marxiste, une petite réflexion suffit à le rendre manifeste. Si, comme Marx le pose, à la fois la lutte de classe et la guerre ne tombent pas du ciel, mais sont enracinés dans des causes économiques et sociales, alors les deux ne peuvent disparaître régulièrement à moins que leurs causes ne se soient évaporées. Maintenant, la lutte de classes prolétarienne n'est qu'une conséquence nécessaire de l'exploitation économique et de la domination de classe politique de la bourgeoisie. Mais pendant la guerre, l'exploitation économique ne s'atténue en rien; au contraire, son élan est considérablement renforcé par la folie spéculative qui s'épanouit dans l'atmosphère exaltée de la guerre et de l'industrie, et par la pression exercée par la dictature politique sur les travailleurs. La domination de classe politique de la bourgeoisie ne s'est pas non plus atténuée en temps de guerre; au contraire, elle s'élève au rang de dictature de classe pure et simple, par la suspension des droits constitutionnels. Puisque les sources politiques et économiques de la lutte de classes dans la société se décuplent inévitablement en période de guerre, comment la lutte de classes pourrait-elle cesser d'exister? Réciproquement, dans la période historique actuelle, les guerres trouvent leur origine dans les intérêts concurrents de groupes de capitalistes et dans le besoin du capitalisme de s'étendre. Ces deux raisons, toutefois, ne valent pas seulement quand les canons parlent, mais aussi en temps de paix, préparant et rendant inéluctable les guerres à venir. La guerre est donc – comme Kautsky a coutume de citer Clausewitz – seulement « la continuation de la politique par d'autres moyens ». Et le stade impérialiste de la domination du capitalisme a donc rendu la paix illusoire en décrétant la dictature du militarisme – la guerre – comme un état permanent.



Pour les partisans de ce matérialisme historique révisé, cela conduit à la nécessité de choisir entre deux alternatives. Soit la lutte de classe est la loi suprême régissant l'existence du prolétariat, et les déclarations sur l'harmonie de classe des responsables du parti en temps de guerre sont un outrage aux intérêts vitaux du prolétariat ; soit la lutte de classes est, en temps de guerre comme de paix, un outrage contre les « intérêts nationaux » et « la sûreté de la patrie ». A la fois en temps de guerre et en temps de paix, selon que l'on place la lutte de classes ou l'harmonie entre les classes comme facteur fondamental de la vie sociale. En pratique, l'alternative est encore plus claire : soit la social-démocratie doit dire pater peccavi (pardon, mon père, j'ai péché) à la bourgeoisie patriotique (comme ces jeunes démons et aujourd'hui dévots dans nos rangs, faisant déjà acte de contrition) et donc devra réviser fondamentalement toutes ses tactiques et ses principes, en temps de guerre comme en temps de paix, afin de s'adapter à la position social-impérialiste actuelle ; soit le parti devra dire pater peccavi au prolétariat international et adapter son attitude pendant la guerre à ses principes en temps de paix. Et ce qui s'applique au mouvement ouvrier allemand s'applique aussi, bien entendu, au mouvement ouvrier français.



Soit l'Internationale restera un tas d'immondices après la guerre, soit sa résurrection commencera sur la base de la lutte de classes dont elle tire ses forces vitales seul. Non pas en nous racontant la même vieille histoire après la guerre, en revenant tout frais, enthousiastes et audacieux, comme si rien ne s'était passé, en nous jouant les mêmes mélodies qui ont captivé le monde jusqu'au 4 août. C'est seulement par une « dénonciation pénible et profonde de notre indécision et notre faiblesse » de notre propre faillite morale depuis le 4 août, que la reconstruction de l'Internationale pourra commencer. Et le premier pas dans cette direction est d'agir pour mettre rapidement un terme à la guerre et préparer une paix dans les intérêts communs du prolétariat international.

III



Jusqu'à présent, deux positions sur la question de la paix se sont faits voir au sein du parti. La première, défendue par un membre de l'exécutif du parti, Scheidemann, et par plusieurs autres députés et journalistes du Reichstag, fait écho au gouvernement dans son soutien au mot d'ordre : « Tenir bon », et il s'oppose au mouvement pour la paix comme inopportun et dangereux pour les intérêts militaires de la patrie. Ceux qui défendent cette tendance proposent de continuer la guerre et s'assurent donc objectivement que la guerre se poursuivra selon les désirs des classes dominantes « jusqu'à ce qu'une victoire soit remportée, à la mesure des sacrifices faits », jusqu'à ce qu' « une paix stable » soit garantie. En d'autres termes, les partisans de la ligne de « tenir bon » garantissent que le cours de la guerre se rapproche le plus possible des conquêtes impérialistes que le Post, que Rohrbach, Dix et autres prophètes de la domination mondiale de l'Allemagne ont ouvertement déclaré être le but de la guerre. Si ces rêves merveilleux ne devenaient pas réalité, si les arbres de ce jeune impérialisme en croissance n'atteignaient pas les cieux, ce ne serait pas de la faute des gens du Post ni de leurs lièvres social-démocrates. Ce n'est apparemment pas les déclarations solennelles « contre toute politique de conquête » qui sont décisives pour l'issue de la guerre, mais plutôt l'affirmation de la politique de « tenir bon ». La guerre, dont la poursuite est défendue par Scheidemann et d'autres, a sa propre logique. Ses vrais soutiens sont les éléments capitalistes-agrariens qui sont en selle en Allemagne aujourd'hui, non les modestes figures des parlementaires et éditeurs social-démocrates qui ne font que leur tenir l'étrier. Parmi ceux propageant cette tendance, l'attitude social-impérialiste du parti est la plus clairement manifeste.



Tandis qu'en France, aussi, les dirigeants de parti – certes dans une situation militaire complètement différente – s'accrochent au slogan « tenir bon jusqu'à la victoire », un mouvement pour mettre rapidement fin à la guerre se fait progressivement mais sûrement sentir dans tous les pays. La grande caractéristique qui unit toutes ces pensées, ces désirs pour la paix est la préparation la plus prudente des garanties de paix qui devront être exigées avant que la guerre ne soit terminée. Non seulement l'exigence universelle qu'il n'y ait pas d'annexions, mais aussi une série de nouvelles exigences : désarmement universel (ou, plus modestement, limitation systématique de la course aux armements), abolition de la diplomatie secrète, libre-échange pour toutes les nations dans les colonies, et d'autres propositions aussi merveilleuses que celles-ci. L'aspect admirable de toutes ces clauses appelant au bonheur futur de l'humanité, et à la fin de toute guerre future est l'irrépressible optimisme, est qu'il est resté intact après la terrible catastrophe de la guerre que nous vivons, avec lequel de nouvelles résolutions sont gravées sur la tombe des vieilles aspirations. Si l'effondrement du 4 août a prouvé quelque chose, c'est la vérité historique universelle de cet enseignement que la garantie efficace de la paix, le rempart effectif contre les guerres ne résident ni dans les vœux pieux, ni dans d'astucieuses recettes ou des revendications utopiques que l'on adresse aux classes dirigeantes.



La seule garantie effective pour la paix, c'est la ferme volonté du prolétariat de rester, à travers tous les assauts de l'impérialisme, fidèle à sa politique de classe, à sa solidarité internationale. On ne manquait pas de revendications, ni de formules dans les partis socialistes dans ces pays, avant tout en Allemagne ; le manque venait de leur capacité à soutenir ces demandes avec une volonté et des actions restant dans l'esprit de la lutte de classes et de l'internationalisme. Si aujourd'hui, après tout ce que nous avons vécu, nous voyons l'action pour la paix comme un processus visant à trouver les meilleures formules contre la guerre, ce serait le plus grand danger qui planerait sur le socialisme international. Cela voudrait dire, qu'en dépit de ses leçons cruelles, nous n'aurions rien appris ni oublié.



Encore une fois, nous trouvons un des meilleurs exemples en Allemagne. Dans un numéro récent de Die Neue Zeit, le député au Reichstag, Hoch, a exposé un programme de paix – comme l'organe du parti le confirme – qu'il a ardemment défendu. Rien ne manquait dans ce programme : ni une énumération de revendications qui étaient censées empêcher toute guerre futur de la façon la plus sûre et la moins pénible possible, ni une déclaration très convaincante sur le fait qu'une paix imminente était possible, nécessaire et souhaitable. Il ne manquait qu'une seule chose : une explication de la façon dont il agirait pour mettre en œuvre cette paix, et ne pas rester au niveau des souhaits ! L'auteur appartient à la majorité compacte au sein du parti parlementaire qui a non seulement voté deux fois les crédits de guerre, mais a aussi à chaque occasion qualifié son action de nécessité politique, patriotique et socialiste. Et rompu à merveille à cet exercice, ce groupe se prépare à accorder encore plus de crédits pour poursuivre la guerre. Accorder les moyens matériels pour continuer la guerre et, dans le même souffle, louer les mérites d'une paix précoce avec toutes ses prières pour « mettre l'épée dans la main du gouvernement avec une main, et de l'autre agiter le rameau d'olivier dans l'Internationale » - c'est un chapitre classique de la politique quotidienne du marais défendu théoriquement dans la Neue Zeit. Quand les socialistes des pays neutres, par exemple ceux des participants de la Conférence de Copenhague, examinent sérieusement la préparation de revendications, propositions de paix sur le papier comme d'une forme d'action permettant de contribuer à mettre rapidement un terme à la guerre, c'est une erreur relativement bénigne. Comprendre ce point fondamental de la situation actuelle de l'Internationale, les raisons de son effondrement peut et doit être la propriété commune de tous les partis socialistes. L'acte rédempteur pour la restauration de la paix et de l'Internationale ne peut qu'émaner des partis socialistes des pays bélligérants. Le premier pas vers la paix et vers l'Internationale est le rejet du social-impérialisme. Et si les parlementaires social-démocrates continuent de donner des fonds pour mener la guerre, alors leurs désirs et déclarations de paix et leurs proclamations solennelles « contre toute politique de conquête », ne sont qu'hypocrisie et illusion. C'est particulièrement vrai de l'Internationale de Kautsky et de ses membres qui tantôt embrasse l'autre fraternellement, et l'égorge ensuite, tout en déclarant qu'il n'a « rien à se reprocher ». Ici encore, les événements ont leur propre logique. Lorsqu'ils accordent les crédits de guerre, des gens comme Hoch abandonnent les rênes du pouvoir et soutiennent l'opposé de la paix, la politique de « résistance ». Quand des gens comme Scheidemann soutiennent la politique de « résistance », ils laissent les rênes du pouvoir aux gens du Post et réalisent exactement l'inverse de leurs déclarations solennelles contre « toute politique de conquête », c'est-à-dire qu'ils libèrent les instincts impérialistes – jusqu'à ce que le pays saigne à mort. Ici aussi, il n'y a qu'une alternative : ou Bethmann-Hollweg ou Liebknecht. Ou l'impérialisme, ou le socialisme, au sens où Marx l'entendait.



Tout comme on le retrouve dans Marx, les rôles de l'analyste historique précis et du révolutionnaire audacieux, de l'homme d'idées et de l'homme d'action étaient indissolublement liés, se soutenant et se complétant mutuellement, donc pour la première fois dans l'histoire du mouvement ouvrier moderne, l'enseignement socialiste du marxisme a unifié le savoir théorique avec l'énergie révolutionnaire, l'un éclairant et stimulant l'autre. Les deux, dans les mêmes proportions, font partie de l'essence du marxisme ; chacun, séparé de l'autre, transforme le marxisme en une triste caricature de lui-même. Au cours du dernier demi-siècle, la social-démocratie allemande a récolté le fruit le plus riche du savoir théorique du marxisme et, nourri de son jus, s'est fortifiée pour devenir ce corps vigoureux. Placée face à cette grande épreuve historique – une épreuve que, de plus, elle avait vu avec une certitude scientifique, et prédit dans ses grands traits – la social-démocratie s'est trouvée manquer du second élément vital du mouvement ouvrier : la volonté énergique, pas juste de comprendre l'histoire, mais de la changer. Avec tout son savoir théorique exemplaire et sa force d'organisation, le parti a été pris dans le tourbillon du courant historique, se retournant en un rien de temps comme une épave à la dérive, exposée aux vents de l'impérialisme contre lequel il était censé tracer son chemin vers l'île salvatrice du socialisme. Même sans les fautes des autres, la défaite de l'Internationale dans son intégralité était scellée par l'échec de son « avant-garde », son élite la mieux formée et la plus forte.



 

C'est un effondrement historique d'une portée universelle et qui complique et retarde dangereusement la libération de l'humanité de la domination capitaliste. Toutefois, si on en vient à lui, le marxisme même n'est pas exempt de toute faute. Et toutes les tentatives d'adapter le marxisme à la décrépitude présente de la pratique socialiste, de le prostituer au niveau d'apologistes vénaux du social-impérialisme, sont encore plus dangereuses que tous les excès les plus manifestes, flagrants des erreurs nationalistes dans les rangs du parti ; ces tentatives ne tendent pas seulement à effacer les véritables causes de ce grand échec de l'Internationale, mais aussi à épuiser la source de sa reconstruction future. Si l'Internationale, de même que la paix répondant aux intérêts de la classe prolétarienne, ne peuvent voir le jour que si le prolétariat exerce son autocritique, s'il prend conscience de sa propre puissance, la même puissance qui se brise comme un roseau face à la tempête, mais qui, en pleine maturité, est historiquement en mesure d'arracher un chêne millénaire d'injustice sociale et de renverser des montagnes. Le chemin qui mène à cette puissance – qui n'est pas pavé de résolutions – est en même temps le chemin de la paix et de la reconstruction de l'internationale. »

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