Rencontre communiste internationale du 26 février (5) – La situation des communistes en Italie, par L-A Sanchi
30 mars 2011 Rencontre internationale de communistes à Paris le 26 février 2011
La situation des communistes en Italie
par L.-A. Sanchi
Bien que souvent comparée à la France, l’Italie s’en distingue sur plusieurs points qui font d’elle un pays réactionnaire « classique » : elle a notamment inventé le fascisme, accueille en son sein un État théocratique médiéval, le Vatican, et se bat contre de multiples mafias, preuve de l’arriération économique et politique de vastes régions du pays. Mon exposé chronologique sera nécessairement tortueux au vu des nombreux rebondissements que l’histoire comporte ; toutefois, j’essaierai de m’en tenir à trois axes centraux :
- Les conséquences de l’éclatement du PCI, avec la dynamique liquidatrice vers la gauche européenne chez Rifondazione comunista ;
- Le contexte de la « Deuxième république » italienne et des gouvernements de centre-gauche, qui ont provoqué deux vagues de scissions, en 1998 et en 2008 ;
- Les efforts qui ont été entrepris jusqu’ici pour la reconstitution d’un PC unifié en réponse à la poussée des luttes syndicales.
La liquidation du Parti communiste italien et la « Refondation communiste ».
Le PCI a été liquidé entre 1989 et 1991 à l’initiative d’Achille Occhetto, alors secrétaire général du Parti, selon une méthode peu conventionnelle qui a consisté à soumettre sa proposition de dépassement du parti directement à la première séance plénière du Congrès de 1989 : sans passer donc par la discussion au sein du Comité central qui aurait sans nul doute bloqué la tentative. Le processus s’est étiré sur deux années au bout desquelles la majorité du PCI a donné naissance au Parti des Démocrates de Gauche (Partito Democratico di Sinistra, ou PDS). Menée par Armando Cossutta, la minorité créera sur ses conseils non pas un nouveau PC, mais un « Parti de la Refondation communiste » (Partito della Rifondazione comunista), formule derrière laquelle se cachait un dessein fourre-tout gauchisant, allant jusqu’à rassembler des formations trotskystes et, seule force politique organisée, le parti post-soixante-huitard Démocratie prolétarienne (Democrazia proletaria).
La Deuxième république et l’arrivée de Fausto Bertinotti.
Entre 1992 et 1994, le paysage politique change radicalement en Italie. Outre le PCI, deux autres grands partis de l’après-guerre, le PSI et la Démocratie Chrétienne (ou DC) sortent de scène, notamment du fait de l’opération judiciaire dite « Mains propres » combinée à un mouvement de réforme électorale qui réussit à imposer par un référendum le scrutin majoritaire et le vote uninominal. Ce mécanisme favorise la personnalisation de la vie politique au détriment des partis, des idées et des programmes. L’entrée au PRC en 1994 de Bertinotti, en provenance du PDS, a été le fait d’Armando Cossutta. Trois mois seulement après son entrée au Parti, Bertinotti accède au poste de secrétaire sur recommandation de Cossutta et codirige le Parti avec lui. Avant son entrée, Bertinotti a été membre du PSIUP, petite formation à la gauche du PSI, du PSI dans la minorité de gauche, du PCI et du PDS. Jusqu’à sa sortie de RC en 2008, Bertinotti a été une sorte de gourou de Rifondazione comunista, sa personnalité conquérante lui assurant un véritable succès médiatique et faisant ainsi taire les courants minoritaires, qui profitaient eux aussi de la prospérité commune.
Naissance du PdCI et évolution du PRC (1998-2002).
Après un premier gouvernement Berlusconi et un exécutif de transition, en 1996 la direction des affaires passe au rassemblement classé de centre-gauche, avec l’appui extérieur de RC, et dirigé par Romano Prodi, qui conduira l’Italie dans les clous de Maastricht et dans l’euro. Mais en 1998 les tensions liées à la participation à cette coalition amènent le Parti de la Refondation communiste à une scission dramatique : une minorité guidée par Cossutta donne naissance au Parti des Communistes italiens (Partito dei Comunisti italiani ou PdCI) qui entre au gouvernement et accompagnera, outre les privatisations et les mesures antipopulaires, l’opération de l’OTAN contre la Yougoslavie. Imitant les attitudes de l’ancien PCI, le PdCI de Cossutta entend donner l’impression d’un Parti discipliné, « responsable » et réaliste. Il s’appuie sur un nouveau dauphin, Oliviero Diliberto, ministre de la Justice à qui il confiera le poste de secrétaire. Cependant une partie de communistes léninistes sont restés au sein de Rifondazione, posant de ce fait la question de l’unité des communistes en Italie.
Or Bertinotti accélère la mutation de RC. Surfant sur la « galaxie des mouvements » (altermondialistes, antagonistes, ONG, etc.), épousant les thèses de Hardt et Negri sur l’avènement de « l’Empire » (censé dépasser les analyses de Lénine) comme celles de J. Rifkin sur « la fin du travail », Bertinotti prend donc position contre la théorie marxiste et contre l’organisation léniniste du parti. À l’heure où, de son côté, le PDS invite à clore le clivage de 1943-45 en posant l’égalité des victimes des partisans et des fascistes, Bertinotti liquide également la vision d’une « Résistance angélique » en lançant le débat sur les « crimes » des partisans communistes (les « foïbe »). Ce sont ces thèses qu’il présente au congrès de 2002, au cours duquel le courant « Essere comunisti » (qui publie la revue L’Ernesto) propose des thèses alternatives de type léniniste et obtient 25% des suffrages. Entre-temps, l’Italie a élu en juin 2001 un nouveau gouvernement de droite et extrême droite dirigé par Berlusconi et, immédiatement après, a vécu le traumatisme du G8 de Gênes, avec de multiples violences policières. Cela sonne brutalement le glas des « mouvements » que la RC de Bertinotti souhaitait épauler, incarner et diriger.
Des grèves de 2002 à la victoire électorale de 2006
Une période de luttes syndicales et citoyennes contre la politique de Berlusconi s’ouvre en 2002, arrivant jusqu’à rassembler trois millions de manifestants à Rome en mars 2003 (pour le maintien d’un verrou légal contre les licenciements abusifs, menacé d’abrogation), un mois après un immense défilé d’un million de citoyens protestant contre la guerre d’occupation de l’Irak. C’est le moment des « Girotondi » [mouvement de citoyens touchant la plupart des villes Italiennes, lancé pour la défense de la démocratie et des libertés, contre la politique du gouvernement Berlusconi mais aussi contre la faiblesse politique de l’opposition de centre-gauche] où Sergio Cofferati, dirigeant syndical de la CGIL jusqu’en septembre 2002, s’illustre comme leader alternatif de l’opposition italienne à Berlusconi, face au parti des Démocrates de gauche (DS), jugé peu combatif et uniquement intéressé par l’alternance gouvernementale. Pour contrer alors la création d’un « Parti du travail » de la part de Cofferati, entraînant un éclatement des DS, la direction de ce parti parvient à l’écarter de la lutte politique en lui proposant d’être candidat aux élections municipales de Bologne. Bertinotti, quant à lui, lance pour les élections européennes de 2004 le parti transnational de la « Gauche européenne » (GE, ou Sinistra europea, SE) dont il est le premier président.
Au sein des deux formations communistes, les équilibres sont progressivement bousculés dans une dérive parfois opportuniste. Au PdCI, Cossutta et Diliberto entament un virage centralisateur qui affadit les débats internes et pousse à l’extérieur du Parti de nombreux militants ; au sein du courant léniniste de RC, on assiste à une scission en 2005 : le groupe de la revue L’Ernesto, sous ce même nom et sous la direction de F. Sorini et F. Giannini, directeur de la revue, se détache d’« Essere Comunisti » qui reste constitué sous la conduite de C. Grassi et essaie de composer avec la direction du Parti. En vue des élections de 2006, Bertinotti a pu convaincre le PRC d’appuyer la nouvelle coalition de Prodi pour empêcher le retour de Berlusconi. Ainsi la principale raison de la scission de 1998 est éliminée, mais nul ne songe à réunifier les deux partis. Au contraire, après la victoire électorale du centre-gauche le PRC décide cette fois d’entrer au gouvernement et conquiert pour son secrétaire le fauteuil de président du Parlement italien, tandis que le PdCI se borne à proposer des noms extérieurs au Parti pour le ministère qu’on lui accorde.
Dérives du gouvernement Prodi II, 2006-2008
Le gouvernement de Prodi ne dure que deux ans au milieu de graves tensions dues, entre autres, à sa politique antipopulaire qu’avalise aussi le PRC et à son soutien actif à la présence militaire en Afghanistan, malgré l’opposition de quelques députés de RC dont deux du groupe « L’Ernesto ». Pour la première fois, au cours d’un grand mouvement de grèves en octobre 2007, les militants des deux partis communistes défilent ensemble en unissant les deux drapeaux de RC et du PdCI. Ce tournant détermine un changement d’attitude de la part de Diliberto, secrétaire du PdCI auparavant orienté lui aussi vers une démarche de mutation sous la houlette de Cossutta et en accord avec l’aile droite du PdCI, tandis que l’aile gauche de Marco Rizzo entendait rester fidèle au nom et au symbole communiste, dont le maintien électoral faisait déjà débat. Au sein de Refondation communiste, la division entre « l’Ernesto » et « Essere comunisti » complique la tâche d’unification des communistes en Italie. Accusé de tacticisme, « L’Ernesto » ne parvient pas à fédérer autour de soi une dynamique de rassemblement et perd des dirigeants (Pegolo en 2007, Masella un peu plus tard).
Défaite de l’« Arc-en-ciel », marginalisée par le nouveau Parti démocrate, et ses effets
Le mouvement de dispersion des communistes s’accélère avec la campagne électorale perdante de 2008. Trois éléments la caractérisent : le mécanisme électoral prévoit un barrage à 4% des voix pour l’admission de tout groupe aux Chambres ; les petits partis de gauche, rouges et verts, s’unissent sous le drapeau uniquement électoral de « La Gauche – L’Arc-en-ciel » (Sinistra-Arcobaleno) ; au centre-gauche, W. Veltroni a lancé le « Parti démocrate » (Partito democratico, PD) en unissant une partie des DS et quelques formations ex-démocrates-chrétiennes. Surtout, il refuse tout accord électoral avec l’Arc-en-ciel, comptant drainer vers le PD les voix « responsables ». Mission accomplie : la coalition arc-en-ciel échoue et, pour la première fois depuis 1945, il n’y a plus de communistes au parlement italien. Berlusconi a remporté les élections. Deux semaines après la catastrophe électorale et à l’initiative, en coulisses, de « l’Ernesto » et de Diliberto, un Appel des communistes demande l’unité et l’autonomie des communistes au sein d’un nouveau Parti dépassant les deux actuels. On rassemble plusieurs milliers de signatures sans pour autant parvenir à un résultat.
La défaite aux élections a des conséquences de taille chez les deux partis communistes : au congrès de 2008, la majorité de Bertinotti est battue, il décide de quitter immédiatement le PRC avec son dauphin Niki Vendola, qui fonde le parti « Gauche, Écologie et Liberté » (Sinistra, ecologie e libertà, ou SEL), mais en laissant en son intérieur quelques fidèles pour contrôler la nouvelle minorité. La nouvelle majorité est constituée d’un groupe loyaliste détaché de Bertinotti et conduit par l’ancien ministre Paolo Ferrero, allié à présent du courant « L’Ernesto » auquel s’est rallié aussi « Essere comunisti », sur un programme de reconstitution du Parti en vue de l’unité des communistes qui, cependant, ne parviendra pas à exécution ; bientôt « L’Ernesto » sera marginalisé jusque dans le quotidien du parti, Liberazione. Le PdCI a perdu son fondateur Cossutta pendant la campagne électorale, qui, en contraste avec Diliberto, donne vie à un éphémère rassemblement rouge-vert. Diliberto, qui a pris les distances par rapport à l’Union européenne, mûrit ses positions internationalistes et liquide le projet d’une « gauche » (= Die Linke) au profit de l’unité des communistes, perd également l’aile droite, hostile au programme de l’unité des communistes lancé fin 2007, mais aussi le groupe de M. Rizzo, qui accuse avec fracas Diliberto d’être affilié à la Franc-maçonnerie et fonde un mini-parti, « Gauche communiste populaire » (Sinistra comunista popolare), à l’occasion des élections européennes de 2009.
Atomisation des communistes et nouveaux appels à l’unité
En 2009 est lancé un deuxième appel en faveur de l’unité des communistes, partant toutefois d’une position différente de celui de 2008 : « Comunisti uniti », le groupe qui le fonde, animé pour la plupart d’éléments extérieurs aux deux partis constitués, désormais impatient, estime que seule la table rase des groupes dirigeants actuels pourra libérer la place pour faire naître un véritable Parti communiste affranchi des hésitations et du tacticisme qui freinent le processus actuel. De leur côté, les promoteurs de l’appel précédent poussent les dirigeants du PdCI et du groupe de l’Ernesto à se doter au moins d’un organisme unitaire orienté à la formation et à la réflexion théorique : ce sera l’association « MarxXXI », lancée début 2010 lors d’une cérémonie internationaliste. « MarxXXI » s’investit en une campagne de colloques, réunions et débats, culminant début 2011 avec la commémoration de la naissance du PCI. Une forte poussée du monde syndical se réalise entre fin 2010 et début 2011 en réponse aux attaques sans précédent du PdG de Fiat. La branche métallurgie de la CGIL, la FIOM, devient le symbole de la résistance ouvrière. La direction de ce syndicat voit l’entente d’éléments trotskystes comme G. Cremaschi (issu de RC) et d’autres, comme G. Rinaldini et M. Landini, anciens du PCI, à présent proches du SEL de Niki Vendola et hostiles à l’unité des communistes en raison de leurs positions mouvementistes, syndical-révolutionnaires, sur le modèle d’une SPD allemande alliée du syndicat IG-Metall (dans un contexte où le PD italien est bien plus à droite que la SPD).
Par rapport à ce groupe de dirigeants syndicaux, l’Ernesto comme le PdCI sont peu implantés dans le monde du travail. Or la poussée des luttes FIOM en début de 2011 a favorisé le lancement d’un troisième appel pour l’unité des communistes, dans le nouveau climat de lutte. Cela permettra peut-être de contrer l’actuelle politique consistant à créer une fédération de la gauche (RC+PdCI) au sein de laquelle l’unité des communistes reste encore à fonder. C’est dire combien la question de l’autonomie est loin de se poser. Pour conclure sur ce contexte politique, en février 2001, en pleine débâcle de Berlusconi suite à ses frasques judiciaires, Vendola, leader (catholique) de SEL, fait la proposition d’une alliance antiberlusconienne allant de SEL jusqu’aux ex-fascistes de Fini, sous la direction de la candidate alternative Rosy Bindi, dirigeante de l’aile catholique traditionnaliste du PD.
Situation actuelle (début 2011)
À l’heure actuelle, donc, l’unité des communistes est toujours à réaliser. Elle n’est devenue un thème politique que depuis 2007-2008, soit dix ans après la scission PRC-PdCI et presque vingt après la liquidation du PCI. Le projet d’une « Gauche » suivant l’exemple allemand reste vivant malgré les défaites électorales en 2008 et 2009, car il est porté par les successeurs de Bertinotti et entre dans les plans du Parti démocrate. Les dirigeants communistes et les militants sont plus dispersés que jamais après un nombre presque ridicule de scissions tant au sein du PRC qu’au sein du PdCI, depuis 2005. Ni l’une ni l’autre de ces deux forces ne semble avoir la capacité politique de promouvoir un projet unitaire, malgré les bonnes intentions affichées sous l’impulsion d’une base de militants et de sympathisants sans cesse réveillés par les luttes dans le monde du travail. Dans cet ensemble brille l’incapacité des intellectuels communistes à agir concrètement (et de concert) comme levain de l’unité face à des dirigeants peut-être trop pragmatiques.
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