communist-office-508640-swRéponse à ceux qui conseillent aux communistes de devenir sociaux-démocrates

 

 

par Prabhat Patnaik, économiste marxiste*, membre du Parti communiste d'Inde (Marxiste)



Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/



Sur une chaîne de télévision, le jour du dépouillement, les intervenants commentant les résultats électoraux étaient invités à offrir leurs conseils à la gauche [NdLR : En Inde, la gauche est strictement identifiée aux communistes et non aux sociaux-démocrates et aux 'libéraux de gauche' du Parti du Congrès], qui venait de perdre les deux grands États qu'elle dirigeait, un d'entre eux assez largement, sur la manière dont elle devait se réformer pour envisager une future résurrection.



L'opinion dominante était qu'il fallait oublier Lénine et, comme l'a expliqué le présentateur, devenir « sociaux-démocrates ».



La gauche, je présume, devrait être reconnaissante à ces invités d'être si préoccupés par son avenir ; la question à se poser est : faut-il suivre leurs conseils et devenir des « sociaux-démocrates » ?



La différence centrale entre la social-démocratie et le communisme réside dans la prise en compte par ce dernier de la catégorie d'impérialisme ; les autres différences en  découlent. En effet, la scission fondamentale au sein de la II nde Internationale sur l'attitude à adopter face à la première guerre mondiale est née d'une différence de vues sur l'impérialisme.



D'un côté, les sociaux-démocrates qui ont soutenu les efforts de guerre de leurs pays respectifs puisqu'ils ne la percevaient pas comme une « guerre impérialiste » ; de l'autre, ceux qui non seulement n'étaient pas disposés à agir ainsi, puisqu'ils voyaient cette guerre comme une « guerre impérialiste » par laquelle « leurs » bourgeoisies monopolistes respectives essayaient de mettre la main sur de nouveaux « territoires économiques », mais qui voulaient également transformer la « guerre impérialiste » en « guerre civile » pour le renversement de l'ordre capitaliste monopolistique, qui faisait combattre les travailleurs d'un pays contre leurs frères d'un autre pays dans les tranchées (Une troisième position entre les deux premières, qui tentait de réconcilier ces positions inconciliables, a progressivement perdu toute pertinence).



Le second groupe de sociaux-démocrates s'est détaché de leurs partis d'origine pour former des partis communistes et cela comprenait non seulement Lénine mais aussi Rosa Luxembourg, qui, en dépit de ses nombreuses différences avec Lénine, avait assisté au congrès fondateur du Parti communiste allemand une quinzaine de jours avant son assassinat. Cela souligne la centralité de la question de l'impérialisme dans la position communiste vis-à-vis des sociaux-démocrates. 



Et lié à cette question, le caractère indépassable du système : si le capitalisme peut être transformé en un système pacifique, non-impérialiste, non-agressif, comme les sociaux-démocrates croyaient cela possible, alors il peut aussi être « humanisé », et toute nécessité urgente de le dépasser par le système disparaît.



Conseiller aux communistes de devenir sociaux-démocrates revient, donc, à leur demander d'abandonner non seulement leur objectif fondamental du socialisme, mais aussi leur opposition acharnée à l'impérialisme ; en effet, un des invités dans l'émission télévisée mentionnée précédemment à explicitement demander aux communistes d'oublier l' « impérialisme ».



La différence immédiate entre les communistes et la majorité des ONG, y compris certaines hautement progressistes comme celles liées au Forum social mondial, a précisément à voir avec l'impérialisme. L'opposition à la guerre en Irak ou aux interventions américaines, que peuvent exprimer de nombreuses ONG progressistes, ne signifie pas nécessairement l'acception du concept d'impérialisme (même quand les intérêts matériels qui sous-tendent de telles interventions sont identifiés), puisque l'on peut les voir comme des événements épisodiques. Les communistes ne perçoivent pas l'impérialisme comme une suite d’épisodes, mais comme un ordre cohéren t qui naît de la nature même du capitalisme.



Même ceux qui ne voient que les épisodes de l'impérialisme ont manqué, hélas, certains épisodes récents éclairants, comme l'assassinat d'Ousama ben Laden qui a violé toutes les normes du droit international. Un pays a envoyé des troupes pour attaquer une cible dans une autre nation souveraine, avec en gros carte blanche ; a tué un homme désarmé, qui n'offrait aucune résistance, devant sa famille ; on a enlevé son corps et on l'a jeté dans la mer. Ousama ben Laden peut bien avoir été un méchant, mais ce dont il est question ici, premièrement, c'est d'un acte d'agression contre un pays souverain ; et deuxièmement, du caractère éthiquement et légalement discutable de l'assassinat d'une personne sans le moindre procès, chose que l'on a même pas refusé aux meurtriers de masse nazis.



Et pourtant, alors que Fidel Castro et Noam Chomsky ont fait entendre leurs voix sur ces questions, il y eut un silence quasi-total dans notre pays à cet égard, tout comme par ailleurs sur le bombardement de la Libye par l'OTAN, qui constitue une violation du droit international (indépendamment du caractère dictatorial du régime de Kaddafi).



Il ne fait aucun doute qu'il y a moins de preneurs pour le concept de l'impérialisme aujourd'hui qu'il y en eut à l'ère coloniale, où l'ordre impérial était palpable. En particulier, le battage autour des taux de croissance du PIB en Chine et en Inde donnent l'impression aujourd'hui que l’asymétrie précédente entre un premier et un tiers monde, implicite dans le concept de l'impérialisme, disparaît, et que ce dernier émerge comme une reproduction du premier.


 

Cette pseudo-reproduction, cependant, est évidemment fausse : en dépit de taux de croissance élevés, la population laborieuse en Inde et en Chine continue à se composer essentiellement de paysans (dont les paysans sans terre) et de petits producteurs, de plus en plus fragilisés par une telle croissance.



En outre, ce soi-disant nivellement des différences entre les nations a renforcé, et non affaibli, la position du capital du premier monde. Une grande partie de la croissance des exportations Chinoises, par exemple, qui soutient sa forte croissante, est représentée par les grandes entreprises Américaines installant des usines en Chine pour les ré-exporter vers leur économie d'origine. Les capitaux de ces grandes entreprises ont connu une forte croissance tout comme les autres « économies émergentes », mais celles-ci seulement en s'intégrant au capital métropolitain au détriment de leur propre peuple.



Ainsi, le concept d’impérialisme n'a rien perdu de son importance tant dans son aspect sociologique (le capitalisme gagnant du terrain sur les producteurs pré-capitalistes) que dans son aspect spatia l (le capital de la métropole imposant un ordre où il s'accapare les ressources et les biens fondamentaux du monde entier).



Mais obtenir des ressources de l'extérieur au lieu de les produire soi-même, n'est-ce pas cela justement le « commerce » ? Pourquoi devrait-on appeler ce commerce « expropriation » ? Car ce qui sous-tend ce qui apparaît comme du « commerce » normal, c'est un mécanisme complexe qui comprime délibérément la demande des travailleurs du tiers-monde pour « dégager » des ressources épuisables, et des biens pouvant être produits seulement par certains territoriaux tropicaux, pour l'usage du capital métropolitain. A l'époque coloniale, cette compression était organisée par le biais de la fiscalité imposée par le régime colonial, et le « rapatriement » sans aucune contrepartie des biens sur lesquels reposaient ces revenus fiscaux. Aujourd'hui, cette compression se déroule par toute une variété de mesures néo-libérales, chacune d'entre elles limitant le pouvoir d'achat des travailleurs.



Cette compression, l'essence de l’impérialisme, naît à son tour d'une asymétrie : ces ress ources et biens sont soit pas du tout productibles ou ne peuvent être produits dans des quantités suffisantes au sein même des pays métropolitains, mais les biens et services produits dans les métropoles peuvent, une fois les accords adéquats conclus, toujours être produits dans les économies du tiers-monde.



La pratique communiste doit découler de la théorie, dont la seule mise à l'épreuve est la justesse et non la capacité à attraper des voix ici ou là. Leur « oubliez l'iméprialisme », comme les invités le leur conseillent, non seulement en ferait un parti comme les autres et donc historiquement sans importance, mais aussi abandonnerait la résistance à l'impérialisme, qui continuera à exister quoi qu'il arrive, aux terroristes, aux fondamentalistes religieux, et aux Ousama ben Laden.



La réforme qu'ils doivent entreprendre doit non pas abandonner le concept d' « impérialisme », mais tout au contraire s'y tenir avec plus de fermeté. Ils doivent même être encore plus vigilants à apporter aux classes dont ils cherchent à défendre les intérêts – précisément les ouvriers, les paysans, les ouvriers agricoles – une aide pour les sortir de leur détresse (avec les empiétements de l'impérialisme et des intérêts des entreprises nationales).

 

Et, à cette fin, ils doivent ouvrir un espace dans le parti pour le débat, la discussion voire la contestation, afin qu'il devienne la plaque-tournante de l'activité intellectuelle, plutôt qu'une entité monolithique où la décision prise sur ordre de certains bureaucrates ou satrapes locaux dans un État dirigé par la gauche est défendue, comme devoir révolutionnaire, par ses adhérents et ses sympathisants dans l'ensemble du pays.



On peut se demander : est-ce que ce n'est pas cela être « sociaux-démocrates » ? La réponse est « non ». Rosa Luxembourg rejetait la social-démocratie et, elle et Karl Liebknecht, ont été assassinés par des troupes sous un gouvernement social-démocrate ; et elle ne croyait pas au monolithisme. Lénine non plus. Lorsque le gouvernement révolutionnaire assiégé et encerclé a signé sous sa direction le Traité de Brest-Litovsk, en dépit des objections de Bo ukharine et d'autres, ces derniers ont sorti une revue théorique, Kommunist, pour attaquer le traité, que ni le gouvernement Bolchévique ni le parti n'avait alors interdit en cette période pourtant particulière. Un plus grand espace pour la discussion contradictoire dans le parti n'est pas synonyme de « social-démocratie ».


prabhat

Le conseil aux communistes de devenir sociaux-démocrates, donc, puissent-ils partir d'une bonne intention, ne reflète que l'alignement de l'élite Indienne derrière l'impérialisme et son éloignement des intérêts des classes laborieuses.   


 

* professeur émérite du Centre d'études économiques de l'Université Nehru, à New Del hi 



Retour à l'accueil