fredsfyrstenLe discours de l'hypocrisie impériale

 

 

 

 

 

 

 

 

par Miguel Urbano Rodrigues, journaliste et écrivain, dirigeant historique du Parti Communiste Portugais



article paru dans le numéro du 23 décembre d'Avante, hebdomadaire du Parti Communiste Portugais



Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/



Jamais peut-être un Prix Nobel n'avait soulevé une polémique mondiale aussi intense et justifiée comme celui décerné à Barack Obama. Je crois que l'on se rappellera à l'avenir de ce discours qu'il a prononcé à Oslo, le 10 décembre 2009, comme le discours de l'hypocrisie impériale.



Neuf jours auparavant, le citoyen-président Obama décidait d'envoyer 30 000 soldats de plus en Afghanistan, ce qui porte à 100 000 les effectifs de l'armée nord-américaine qui a envahi ce pays il y a 8 ans.



Conscient du fait qu'un discours de paix était, dans ces circonstances, incompatible avec l'engagement actuel des Etats-Unis dans de multiples guerres d'agression, le nouveau Prix Nobel a tenté de les justifier au nom de valeurs éternelles, de la condition humaine.



Il a présenté l'apocalypse afghan comme une « guerre nécessaire » menée pour défendre l'humanité. Il a dit que la guerre « promet une tragédie », reconnaissant, attristé, que dans une guerre « certains vont tuer, d'autres vont être tués ».Il a omit de dire que la tragédie déclenchée au coeur de l'Asie n'est pas une promesse, mais une monstrueuse réalité. Et il a omis aussi de dire que ce sont ses hommes qui, en obéissant à des ordres criminels, tuent et que ce sont les « autres » qui sont tués.



Je ne dis pas qu'en Afghanistan sont morts, jusqu'à la fin Novembre, seulement 849 soldats américains, les agresseurs, mais qu'on en compte plus de 100 000 parmi les agressés, dont la moitié sont morts de faim.

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En traçant une frontière entre les « guerres nécessaires » et celles qui ne le sont pas, Obama affirme qu' « un mouvement non-violent n'aurait pas pu arrêter les armées d'Hitler ». Mais il énonce cette évidence pour établir un parallèle grotesque entre Al Qaeda et le Troisième Reich nazi. Il caractérise l'invasion de l'Afghanistan comme une nécessité pour défendre le peuple Américain puisque « les chefs d'Al Qaeda (organisation qui ne veut rien dire dans un pays où l'arabe est une langue ignorée par le peuple) n'acceptent pas de déposer les armes ».



Implicitement, on reconnaît le fait que l'Etat le plus riche et le plus puissant du monde considère comme essentiel pour sa sécurité que les Forces Armées nord-américaines traversent un océan et deux continents pour aller combattre dans un des pays les plus arriérés et les plus pauvres du monde le leader d'une secte de fanatiques. Pour la première fois dans l'Histoire, un gouvernement a déclaré la guerre non pas à un Etat, mais à un terroriste, lui offrant le statut d'interlocuteur. Avec la particularité que, la localisation de sa cachette nous étant inconnue, la cible et la victime de cette guerre irrationnelle fut et continue d'être le peuple parmi lequel Ben Laden serait censé s'être fondu.



Le même jour qu'Obama recevait le Nobel de la Paix en Norvège, le général Stanley McChrystal comparaissait devant le Congrès des Etats-Unis en tenue de gala, avec la poitrine constellée de décorations – les médailles des chefs de guerre agresseurs sont traditionnellement attribués en fonction de la quantité de massacres qu'ils ont commis au nom du « salut de la patrie ». Le commandant suprême pour la zone Afghanistan-Pakistan a réaffirmé sa conviction que c'était une « guerre juste et nécessaire ». Son discours et celui d'Obama étaient tout à fait complémentaires.



La violence dans l'histoire



Quand Obama était encore en campagne, et dans ses premiers mois au gouvernement, son discours, certes rhétorique, présentait un ton humaniste.



Même parmi ses adversaires idéologiques, le doute a subsisté pendant un moment: est-ce que le jeune président ne sera pas un Homme d'Etat fidèle à ses principes et à ses valeurs éthiques et qui ne pourra tout simplement pas aller plus loin, pris dans l'engrenage du pouvoir?



Le bilan de sa politique après onze mois a de quoi ternir son image. Malgré le battage médiatique visant à l' « ériger » en sauveur dont le capitalisme avait besoin, l'idée que le président des Etats-Unis n'a pas pu tenir ses engagements parce que le grand capital et le Pentagone l'ont empêché est tout simplement contredite par la réalité des choses.



A elle seule, l'escalade en Afghanistan a fait tomber le mythe du président éthique. Il ne reste plus que la rhétorique.



Le discours d'Oslo repose sur la raison et l'éthique, Sous le manteau du « pouvoir moral », Obama, se mouvant dans le labyrinthe de l'hypocrisie et de ses contradictions, cherche à persuader les peuples que le pouvoir impérial américain est au service de l'humanité quand, de manière tragique, il a recours à la violence pour défendre, selon lui, la liberté, la démocratie, la civilisation.



Marx avait saisi la réalité quand il affirmait que la violence a fonctionné comme la sage-femme de l'Histoire.



Peu de choses ont changé en des milliers d'années. A notre époque, l'humanité nage dans un océan de violence. Au cours des 60 dernières années de guerres et de massacres en tout genre, dont la responsabilité incombe fondamentalement à l'impérialisme, près de 60 millions de personnes sont mortes ou ont été blessées, presque autant que pendant la seconde guerre mondiale.



Dans un livre merveilleux [1], Georges Labica – un des grands philosophes du Vingtième siècle et un des très rares intellectuels contemporains qui a pu faire d'un travail académique le ciment d'une oeuvre lumineuse pour l'intelligence et le savoir – nous rappelle que le capitalisme est un système qui asservit (et n'émancipe que par la révolte) et que la mondialisation de la violence reflète au final l'état de la société telle qu'elle a été modelée et opprimée par ses mécanismes de domination.



Les guerres « nécessaires » ne sont pas, cependant, celles que les Etats-Unis mènent en Asie contre des peuples misérables dont les richesses sont pillées.



Celles-ci, les « justes », sont inséparables du droit à la survie des peuples agressés par d'autres, celles qui opposent la violence libératrice à la violence de l'oppresseur. Déjà Machiavel disait que « les soulèvements d'un peuple libre sont rarement pernicieux à sa liberté ».



L'Histoire nous a donné, tout au long des siècles, des exemples expressifs, parfois poignants, de ce type de guerres, de ces authentiques épopées nationales. La résistance armée fait partie de ces grands moments d'expression de la volonté collective.



C'est ce qui s'est passé dans le combat contre la barbarie du Troisième Reich Allemand; dans la lutte du Vietnam contre les Etats-Unis, dans la saga algérienne, dans la bataille pluri-séculaire pour l'indépendance des peuples d'Asie, d'Amérique Latine et d'Afrique contre le colonialisme et pour le droit à construire leur propre futur comme sujet de l'histoire, c'est ce qui se passe aujourd'hui avec la lutte épique du peuple palestinien contre le sionisme, dans la résistance des peuples d'Irak et d'Afghanistan à l'occupation impériale nord-américaine.



Le discours pharisaique d'Obama à Oslo, salué par les clercs du système oppresseur, par ses complices, constitue une injure à l'intelligence et à la dignité des peuples agressés, exploités et humiliés par l'impérialisme.



Site d'Avante: http://www.avante.pt/





[1] Georges Labica, «Théorie de la Violence», Ed. La Citta del Sole, Napoles, e Librairie Philosophique J.Vrin, Paris, Décembre 2007.

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