Nous reproduisons ci-dessous l'article "La situation des femmes en Afghanistan est pire que sous les talibans" publié par Gauchebdo, organe du Parti du travail suisse.

15 ans après l’intervention américaine en Afghanistan, le pays vit un chaos total. L’activiste et ancienne députée afghane Malalai Joya témoigne. Paru dans le bimensuel espagnol Diagonal Propos recueillis Emma Gascó Traduction par la rédaction.

 

Le 7 octobre 2001, les États-Unis lançaient l’opération «Liberté Immuable» en Afghanistan. Quinze ans plus tard, ce pays est en plein chaos. Rencontre avec l’activiste et ancienne députée afghane, Malalai Joya, qui nous parle de l’occupation militaire, de l’oppression des femmes et de la situation politique dans ce pays.

Quelle est la situation des femmes en Afghanistan? Vous sentez-vous libérées?

La situation des femmes en Afghanistan est malheureusement encore plus désastreuse qu’à l’époque des talibans. Les Afghanes et les Afghans ne sont pas du tout libérés. Ils souffrent d’injustices, d’insécurité, de la corruption, du chômage et de la pauvreté. Les femmes et les enfants sont encore plus mal lotis. Si la situation catastrophique des femmes a été une très bonne excuse pour l’OTAN pour occuper notre pays, le régime des seigneurs de la guerre, qui a remplacé celui des talibans, est tout aussi néfaste pour nous. Ils vont main dans la main avec les talibans et trompent le peuple afghan sous leur déguisement de démocrates.

Le dramatique cas de Farjunda, une jeune fille de 27 ans accusée d’avoir brûlé un Coran, illustre la situation de désastre absolu des femmes. Le 19 mars 2015, elle a été brutalement lynchée en plein jour, à seulement quelques kilomètres du palais présidentiel et à proximité de la police afghane et des troupes étrangères. Après avoir reçu des coups, elle a été écrasée par une voiture. Son corps a été brûlé et jeté dans une rivière voisine. Dans les zones rurales, c’est encore pire. La violence contre les femmes a empiré.

Il y a 15 ans, les femmes et les hommes de notre pays avaient un ennemi, qui était les terroristes talibans, mais avec l’occupation, notre peuple en affronte quatre: les seigneurs de guerre, les talibans, les forces d’occupation et Daech. S’il est vrai que dans certaines grandes villes comme Kaboul, Herat ou Mazar-i-Sharif, certaines femmes ont accès au travail et à l’éducation, c’est surtout pour légitimer l’occupation. Mais dans les zones rurales, le régime n’a rien fait.

Comment votre vie a-t-elle changé depuis l’occupation?

Durant la période des talibans, j’étais enseignante clandestine et portais la burka. Aujourd’hui, je dois encore porter cet horrible vêtement. Je pense qu’il est un symbole de l’oppression, mais il me donne la sécurité, ainsi qu’à des milliers d’autres femmes, en particulier celles qui sont militantes. Il leur permet de cacher leur identité.

Les femmes afghanes avaient certains droits dans les années 1960 et 1970. Elles étaient habillées plus ou moins à l’occidentale, avaient un rôle dans la société, marchaient même dans la rue sans foulard. Après quatre décennies de guerre, ce sont elles qui ont le plus souffert. Elles courent beaucoup de dangers, en particulier les militantes.

On a essayé plusieurs fois de me tuer. Je ne peux pas rester dans un endroit, je dois aller d’une maison à l’autre et je ne peux pas vivre avec ma famille. Ce sont des problèmes qui touchent toutes les autres militantes afghanes. On a voulu me faire taire, parce que je dénonce ces fondamentalistes à la population et que j’expose à la lumière leurs crimes de guerre parrainés par les États-Unis et de l’OTAN, qui soutiennent le pouvoir en Afghanistan.

Je vous ai montré la photo d’Angela Merkel dans le bureau d’un de ces seigneurs de guerre fondamentalistes, Atta Mohammad Noor, gouverneur de Mazar-i-Sharif dans le nord de l’Afghanistan. C’est un seigneur de guerre très puissant, qui a participé à la guerre civile de 1992 à 1996. Il a maintenant appris à se raser et à mettre costume et cravate. Il reçoit des millions de dollars des gouvernements occidentaux. Il a une sorte de gouvernement à l’intérieur du gouvernement. Le Washington Post l’a signalé comme un célèbre trafiquant de drogue et un homme corrompu, qui a volé des millions de dollars à la «communauté internationale», destinés à la reconstruction et à l’éducation. Des centaines de millions de dollars que le gouvernement a reçu des Occidentaux ont été volés par ces politiciens corrompus qui sont au pouvoir, mais aussi par des ONG, qu’elles soient afghanes et étrangères.

Pourquoi les gens fuient-ils l’Afghanistan et deviennent des réfugiés?

La situation en Afghanistan est catastrophique. Surtout du fait de l’insécurité et du manque d’emploi. 60% de la population est au chômage, peut-être même plus. Ils quittent le pays pour vivre une vie sûre et obtenir un emploi. Lorsqu’ils s’en vont sur des routes dangereuses, ils affrontent la discrimination et la cruauté. Et cela non seulement dans les pays occidentaux, mais également dans les pays voisins. Ils doivent faire face à la dictature de l’Iran et du Pakistan. Ce que nous voulons, c’est le respect des conventions internationales sur les droits humains, les réfugiés et l’asile. Quand ils sont renvoyés vers l’Afghanistan, ces requérants finissent par être forcés de choisir entre s’enrôler dans les rangs des talibans ou de Daech, qui paient 600 euros par mois, ou devenir toxicomanes.

La responsabilité de cette crise, non seulement en Afghanistan, mais aussi dans d’autres pays comme l’Irak, le Yémen, la Somalie ou la Libye, est le fait des USA et de l’OTAN. Le terrorisme a été utilisé par les hommes politiques pour leur propre stratégie et pour leur intérêt politique et économique. Le peuple en est la victime. Depuis 15 ans, ils ont joué avec le destin des Afghans. Ils ont envahi l’Afghanistan au nom de la guerre contre le terrorisme, en tuant des innocents, dans une prétendue guerre contre les talibans. Ils utilisent l’Afghanistan pour leurs propres intérêts, pour contrôler d’autres puissances asiatiques comme la Chine, l’Iran, la Russie, etc et pour avoir un accès facilité au gaz et au pétrole des états d’Asie. Et, en même temps, gagner des centaines de millions de dollars avec le trafic d’opium. Celui-ci est plus dangereux qu’al-Qaïda et le terrorisme, car il y a plus de trois millions d’Afghans opiomanes, en particulier chez les jeunes.

Le peuple manifeste-il sa colère face à cette situation?

Nous avons un dicton en Afghanistan qui dit: «Où il y a de la cruauté, il y a aussi de la résistance». Les gens en ont assez de cette situation désastreuse. Chaque jour, plus de voix s’élèvent contre l’occupation et le régime. Le 11 novembre 2015, par exemple, une mobilisation historique a eu lieu en Afghanistan, suite à la décapitation d’une fillette de neuf ans et de six autres jeunes personnes appartenant à la minorité ethnique des Hazaras. Les responsables de ces crimes sont les talibans et Daech. Quand on a ramené leurs corps à Kaboul à minuit, des dizaines de milliers de personnes de différentes ethnies ont défilé jusqu’au palais présidentiel pour protester. Mais personne ne les a écoutés. Malgré la pluie, ils sont restés là jusqu’au lendemain, jusqu’à ce que le gouvernement, qui a essayé de manipuler la mobilisation, fasse quelques promesses vides.

Chaque jour, ce type de résistance augmente. La guerre en Afghanistan n’est pas seulement affaire d’invasion militaire, mais aussi de propagande. Nous croyons qu’aucune nation ne peut apporter la libération à une autre. La libération se fera par les Afghans. Mais il faut que les Etats-Unis et l’OTAN nous laissent tranquilles, cessent de mettre des criminels de guerre au pouvoir et de négocier avec les terroristes talibans. Les gens détestent ces fondamentalistes. S’ils cessent de les soutenir, nous croyons qu’ils deviendront «orphelins», sans leur pilier fondamental. La seule alternative pour un avenir de paix en Afghanistan réside chez les forces progressistes, les intellectuels.

Le Parti de la solidarité d’Afghanistan, par exemple, représente un espoir pour la jeunesse qui est la première victime de la guerre. C’est un parti laïc, qui lutte contre l’occupation et le fondamentalisme. Il organise des manifestations et compte des militants actifs et très courageux, qui risquent leur vie. Il est nécessaire que les personnes progressistes en Espagne, aux Etats-Unis ou d’autres pays membres de l’OTAN fassent pression sur leurs gouvernements. Que les alliances de gauche de ces pays nous soutiennent, en particulier en ce qui concerne l’éducation, qui est la clé contre l’occupation et contre l’ignorance.

 

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