Le président Bouteflika et l'éphémère premier ministre Tebboune

Le président Bouteflika et l'éphémère premier ministre Tebboune

Prise dans ses contradictions, la bourgeoisie a préféré limoger Tebboune plutôt que d'accepter la désignation de certains de ses oligarques à la vindicte publique

Publié le 26 Août 2017 par Lien-pads

Le limogeage de Tebboune, après moins de 90 jours passés à la tête du gouvernement; illustre d'une façon très édifiante la nature de classe de l'Etat. Il a traduit de façon spectaculaire aussi les divergences qui opposent diverses fractions de la bourgeoisie entre elles et leurs représentants politiques dans l'Etat. Ces divergences portent sur les méthodes et les moyens à mettre en oeuvre pour faire face à la crise financière provoquée par la chute du prix du pétrole. La crise financière est en train de créer peu à peu les germes d'une crise politique profonde du système capitaliste dépendant algérien.

 

Le train de vie des classes exploiteuses est la cause de la crise financière
 

La chute des recettes d'exportation des hydrocarbures, dont il faut rappeler qu'elles représentent plus de 95% du total des exportations, a poussé le gouvernement à puiser à pleines mains dans les réserves de change pour faire face aux sorties massives de devises. L'ampleur de ces sorties n'a que très peu baissé malgré l'arrêt donné à l'importation des véhicules et le gel de nombreux projets d'équipements publics provenant de l'extérieur. La cause en est que la majeure partie des importations est composée de biens superflus, sans corrélation avec le niveau de développement de la production matérielle du pays. La croissance démesurée des importations depuis le début des années 2000 n'a servi qu'à soutenir la tendance de ces couches parasitaires au luxe tapageur, à la construction d'immenses demeures somptueuses. Elle est liée à leur indifférence pour l'investissement productif et à leur incapacité à promouvoir un développement industriel digne de ce nom, capable de substituer la production nationale aux importations.

Par intérêt de classe, le régime a refusé d'utiliser l'argent du pétrole pour renforcer les bases industrielles du secteur public. Tout ce qui pourrait rappeler les orientations socialistes des années 1970, tout ce qui pourrait préfigurer dans la tête des masses les avantages du socialisme et d'une planification centrale scientifique, tout ce qui pourrait renforcer chez les travailleurs l'idée que le socialisme est l'avenir, tout cela est vécu par les classes exploiteuses comme un cauchemar.


Bouteflika, partisan convaincu d'un régime bourgeois, notoirement connu pour son opposition à Boumediène sur la question du socialisme, a obstinément maintenu le cap sur le refus de réhabiliter le rôle économique structurant du secteur public industriel. Pourtant son existence n'est pas en soi un indicateur de socialisme. Engels le soulignait déjà en réponse à ceux qui y voyaient la possibilité d'une transition paisible vers le socialisme sans prise du pouvoir par la classe ouvrière ni socialisation de la propriété des moyens de production et planification centralisée. Enfermée dans son obstination à sacraliser la propriété privée des moyens de production, la bourgeoisie refuse de lui accorder une place dominante quand bien même il pourrait stimuler le développement d'un capitalisme à base "nationale". Au contraire de divers courants de la gauche social-démocrate algérienne, convaincus qu'il faut aller vers un "partenariat public-privé". Mais qui n'ont pas compris que cette voie hypothétique est cependant contrariée par les tendances réactionnaires de l'impérialisme bloquant l'émergence d'une nation développée relativement autonome.

Les ressources pétrolières ont été détournées de l'objectif fixé depuis l'indépendance de servir de source de financement du développement. Depuis le tournant opéré au début des années 1980, elles sont  essentiellement destinées à satisfaire les besoins de prestige des classes possédantes et affairistes. Ces classes ont prospéré en trente ans de libéralisme et de cadeaux financiers et fiscaux de toutes sortes. Le poids exorbitant de ces cadeaux qui se sont multipliés durant les années 2000 est savamment caché par le régime. Il est enveloppé au milieu des subventions des biens de consommation de base des couches populaires pour faire croire que ce sont ces dépenses qui constituent la source principale du déficit des finances extérieures.

 

Difficile de lancer de façon brutale une vaste offensive contre les acquis sociaux
du peuple en l'absence d'un contexte comparable à celui de la "décennie rouge"

 

Des cercles du pouvoir ont peur d'une banqueroute financière d'une ampleur égale à celle, ou pire, qui a conduit à la signature en avril 1994 de l'accord d'ajustements structurels. Ils ont préconisé d'agir sans perdre de temps sur la réduction des importations afin d'éviter de tomber de nouveau dans la spirale  de l'endettement extérieur. Ce qui a motivé leur choix ce n'est pas, comme ils le prétendent, de préserver ainsi l'indépendance financière du pays. C'est en vérité la peur de ne pas pouvoir contrôler l'explosion du mécontentement des masses que provoqueront des mesures sociales antipopulaires. Le courant qui avait encouragé Tebboune n'est pas certain que se créeront de nouvelles occasions en or semblables au climat de terreur des années 1990 qui a permis à la bourgeoisie et aux prétendants à l'embourgeoisement de réaliser leur programme de classe.


Ces mesures, une autre aile la voit comme une bénédiction. Elle brûle d'impatience pour les mettre en oeuvre. Elle envisage d'employer sans hésitation la répression la plus brutale pour faire rentrer les masses populaires dans le rang. Elle avance derrière la revendication de rompre avec le "populisme". Revendication sans cesse martelée par des "experts" au service du capitalisme et que soutiennent fortement des journaux libéraux influents et hostiles à Bouteflika comme Al-Watan et Liberté, Al Khabar, etc.

 

Comment poursuivre la réalisation du plan d'achèvement de l'accaparement des biens
de la nation et de mise à genoux de la classe ouvrière?

 

 Aujourd'hui des cercles du régime doutent qu'un contexte macabre aussi favorable que celui de la décennie sanglante puisse se reproduire. Ils l'appréhendent même en raison du risque de perdre leur domination politique au profit d'autres forces à la suite d'ingérences impérialistes à la recherche de prétextes "humanitaires" pour mettre la main sur les ressources en hydrocarbures.

Comment réussir à réaliser leur programme?
Ils recherchent le moyen de poursuivre l'application de leur plan de consolidation des bases capitalistes de la société de manière à contrer toute volonté des travailleurs de choisir la voie socialiste. Les choix de l'aile progressiste du pouvoir de l'époque de Boumediène ont en effet laissé dans la mémoire des masses populaires des souvenirs positifs ineffaçables. Bien que le régime économique des années 1970 ne puisse être qualifié de régime socialiste, il s'était s'appuyé sur la propriété publique des grands moyens de production. Il en avait fait un instrument essentiel pour satisfaire les besoins des travailleurs et donner une base économique à la capacité de décision politique indépendante du pays.  

La poursuite de la destruction des lois sociales afin de rendre les travailleurs plus malléables figure au premier plan des objectifs que veulent atteindre, à court ou moyen terme, la bourgeoisie et ses hommes politiques, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, ainsi que l'impérialisme auquel sont maintenant organiquement liés de vastes pans de la bourgeoisie. Cette destruction accompagne d'autres objectifs. Leur rêve le plus cher est de s'emparer directement des gisements de pétrole et de gaz, de contrôler aussi des branches du marché intérieur garantissant sans risque aucun de hauts taux de profits telles que la production et la distribution de l'énergie électrique, du gaz et de l'eau. Sans compter qu'ils font pression pour lever tout contrôle des changes, même s'il n'empêche pas la pratique criminelle de la surfacturation des importations. Ce contrôle, dont les groupes ultra-libéraux les plus enragés veulent obtenir la suppression, a permis jusque-là d'éviter une situation de grave crise financière comparable à celle qui ravage actuellement le Venezuela sous l'action subversive de la bourgeoisie inféodée à l'impérialisme US.


Les "décideurs" du pouvoir attendaient de Tebboune qu'il axât les efforts de son gouvernement sur la création des conditions politiques propices à la réalisation de leur plan, en exploitant le thème de "la crise qui impose l'accélération des réformes". Au lieu de cela il a lancé des enquêtes sur les pratiques illégales des "hommes d'affaires" les plus en vue. Il s'est mis à faire fuir des informations sur leurs trafics, la dilapidation des deniers publics, les surfacturations, etc. On a ainsi appris que le taux de remboursement des crédits au secteur privé n'a jamais dépassé les 10%. Les informations officielles ont confirmé que la fuite en avant dans le montage automobile, de concert avec des multinationales, a asséché les rentrées douanières et fiscales de l'Etat sans avoir rien apporté sur le plan technologique à l'Algérie. Le résultat instantané de cette campagne a été de placer sous le feu des projecteurs les comportements antinationaux des "hommes d'affaires", tous liés au régime depuis bien avant l'arrivée de Bouteflika. En fait il apparaît que certaines franges du pouvoir ont cru "bien faire" en tentant de sacrifier publiquement les nouveaux oligarques les plus connus et les plus "hyperactifs" dans le domaine politique. C'est le seul moyen habile selon eux pour sauver les intérêts à long terme de la bourgeoisie dans son ensemble. Les conséquences politiques de l'action "irréfléchie" de Tebboune ont provoqué une grosse panique au sein des classes privilégiées. Elle allait créer un effet de domino qui aurait fini par faire vaciller les assises de toute la bourgeoisie et de son régime. Une tempête était en train de se lever.

 

En mettant à la porte son premier ministre, Bouteflika croit l'avoir endiguée.
Pour combien de temps encore?

 

Les classes populaires n'attendaient aucune action salutaire de l'intérieur de régime. La sanction qui a frappé l'ex-chef du gouvernement les a cependant choquées par sa brutalité et sa rapidité inattendues, par le fait que ce qu'il avait dit était vrai. Ont été encore beaucoup plus choquées de larges franges des couches moyennes. Elles qui attendaient désespérément l'arrivée de "homme providentiel" à la tête de l'Etat avaient pensé pendant quelques jours que ce moment inespéré venait de se réaliser.
Le résultat de l'épisode éphémère Tebboune est qu'il a jeté publiquement la lumière sur la nature de classe bourgeoise de l'Etat. Il a donné une leçon concrète sur l'impossibilité de changements radicaux sans une puissante intervention populaire organisée dans une orientation socialiste.


Ceux qui concentrent le tir sur Bouteflika sans dénoncer le principe même des libéralisations et sans relier les résultats de sa "gouvernance" au choix du capitalisme, cherchent simplement un bouc émissaire pour sauver le régime bourgeois d'une insurrection populaire. Ils travaillent seulement à changer le personnel politique discrédité de la bourgeoisie pour ancrer plus solidement le régime économique de cette classe.


Ils veulent étouffer tout débat mettant en accusation le capitalisme pour son incapacité à jeter les bases de la relance d'une politique d'indépendance du pays par rapport à la domination impérialiste, pour son incapacité à offrir au peuple, aux jeunes qui veulent vivre chez eux et ne pas prendre le risque de mourir en mer, les conditions d'une vie assurée et dans la dignité.

Ils veulent détourner les travailleurs de toute réflexion tendant à remettre à l'ordre du jour la lutte pour le socialisme.

Rédaction du Lien

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