rockwell the-problem-we-all-live-withLa ségrégation dans les écoles américaines est plus marquée en 2014 que dans les années 1960, selon une étude de l'UCLA

 

Article AC pour http://www.solidarite-internationale-pcf.fr/

 

Les Etats-unis, stade suprême du capitalisme, image terrifiante de ce à quoi peut ressembler notre avenir : des dizaines de millions d'Américains soumis à l'incarcération de masse, aux bons alimentaires pour survivre, à l'absence de couverture santé, à l’endettement insoutenable et la ségrégation encore et toujours.

 

On l'oublie souvent aujourd'hui, mais les Etats-unis présentés comme « bastion de la liberté » par le Président Truman pendant la Guerre froide était un pays qui tolérait l'« apartheid », la « ségrégation » dans les États du Sud.

 

Officiellement, la ségrégation n'a été déclarée inconstitutionelle qu'en 1954 avec l'arrêt de la Cour suprême Brown vs Board of Education.

 

L'idée raciste, faussement tolérante et multi-culturelle, « separate but equal » (être séparés mais égaux) devient « separate is inherenty unequal » (être séparés est en soi inégalitaire).

 

Il a fallu attendre 1964 – et les mobilisations massives du Mouvement pour les droits civiques, soutenu par les communistes –, le « Civil rights act » pour que la ségrégation soit officiellement abolie.

 

Les livres d'histoire s'arrêtent généralement là. Pourtant, ceux qui connaissent le système éducatif américain de l'intérieur sont frappés aujourd'hui de constater la prégnance d'écoles encore fortement ségrégées, sur une base de race et de classe.

 

C'est à partir de cette intuition que deux chercheurs de l'UCLA (Université de Californie-Los Angeles) Gary Orfield et Erica Frankenberg vont mener une étude posant une question qui dérange : les écoles américaines sont-elles plus, ou moins ségrégées que dans les années 1960 ?

 

Le titre de l'étude révèle à la fois une thèse claire mais nuancée : « Brown a 60 ans : de grands progrès, un long recul et un avenir incertain ».

 

Les chercheurs ont adopté un parti heureux, qui étaye et renforce leur enquête : celui de ne pas dissocier la question « raciale » de celle « sociale », donc d'intégrer la dimension de classe, de l'origine socio-économique des élèves à l'étude de la ségrégation.

 

Le constat délivré par les chercheurs de l'UCLA est édifiant, il peut être résumé en quatre points :

 

1 – De la dé-ségrégation dans le Sud à la re-segrégation, une situation pire qu'en 1968 !

 

Pour prouver le succès ou non de la politique de « déségrégation », il faut examiner la situation des élèves noirs dans les États du Sud, héritiers de la ségrégation institutionnelle.

 

Lapalissade, la situation ne pouvait que s'améliorer par rapport à 1954 où 0 % des étudiants, bien entendu, étudiaient dans des écoles à majorité blanche dans le Sud. Le chiffre est encore de 0,1 % en 1960, 2,3 % en 1964, preuve de la vacuité de l'arrêt « Brown vs Board of education ».

 

A partir des années 1960, la situation va grandement s'améliorer : en 1968, 23 % des élèves noirs du Sud assistent à des cours dans des écoles à majorité blanche, un chiffre qui monte à 37 % en 1980, pour atteindre un pic de 43 % en 1988.

 

Depuis, les Etats du sud connaissent un processus de re-ségrégation : la part d'élèves noirs au Sud inscrits dans des écoles à majorité blanche chute à 31 % en 2000, et moins de 23 % en 2011. Les écoles du Sud sont donc autant voire plus ségrégées aujourd'hui qu'en 1968 !

 

2 – Plus de ségrégation raciale partout en 2011 qu'en 1968, sur une base de classe

 

L'échec de la déségrégation peut être étendu à tout le pays. Aujourd'hui, en 2011, la majorité des étudiants blancs, latino et noirs sont enregistrés dans des écoles où la majorité des élèves sont de leur « groupe ethnique ».

 

Aujourd'hui, un étudiant blanc a dans sa classe 73 % de Blancs, 8 % de Noirs, 11 % de Latino. Sur une classe de 25 élèves, cela fait 18 blancs, 2 noirs et 3 latino-américains.

 

Un étudiant noir a, lui, 50 % de camarades de classe noirs, 27 % de Blancs, 17 % de Latino. Sur 25 élèves, cela fait 13 noirs, 7 blancs, 4 latino-américains.

 

Enfin, un étudiant latino-américain compte 57 % d'étudiants latino, 25 % de blancs, 10 % de noirs. Toujours dans une salle de classe de 25 élèves typique pour un étudiant latino, on a 14 latino-américains, 6 blancs et 3 noirs.

 

Ce simple constat numérique permet de constater la persistance d'une forte ségrégation dans les écoles de l'ensemble du pays.

 

A juste titre, les chercheurs évoquent le concept de « double ségrégation » pour expliquer cette résurgence du phénomène ségrégatif : ségrégation sur une base de « race » et sur une base de classe.

 

Les chercheurs rappellent d'abord que 45 % des étudiants américains sont considérés comme pauvres (!), c'est-à-dire devant bénéficier de repas gratuits ou à tarif réduit pour pouvoir manger à leur faim.

 

Ensuite, ils mettent en corrélation concentration raciale et niveau de pauvreté, en mentionnant le fait que les écoles situées dans les quartiers aisés, à majorité blanche sont celles avec les meilleures conditions d'éducation : moyens économiques, enseignants bien formés, entre-soi des élèves au bagage culturel suffisant.

 

Dans les écoles où on a moins de 10 % de Noirs et Latino (un tiers des écoles) : seuls 4 % des étudiants vivent dans des écoles où le taux de pauvreté des enfants est supérieur à 80 %

 

Par contre, dans les écoles où on a plus de 80 % de Noirs et Latino : 75 % des étudiants vivent dans des écoles où le taux de pauvreté est supérieur à 70 %.

 

Ces chiffes se passent de commentaires : la ségrégation de classe et de race est bien prégnante, encore aux Etats-unis.

 

3 – Une ségrégation géographique renforcée dans les villes, notamment du Nord-est :

 

L'étude précise des deux chercheurs de l'UCLA ne s'arrête pas là. Elle fournit d'utiles indicateurs pour mesurer comment cette ségrégation se manifeste sur le territoire, dans les villes, dans les régions.

 

Les métropoles américaines sont ainsi fortement ségrégées, comme nous le savons, entre des centre-villes pauvres, aux services publics de faible qualité, pour les minorités raciales et des banlieues (suburbs) habitées par des populations blanches, aisées, avec des services semi-privatisés.

 

Ainsi, dans les grandes métropoles, en centre-ville, les écoles ont en moyenne : 20 % de Blancs seulement, mais 27 % de Noirs, 41 % de Latino-américains. Elles sont donc composées à 80 % de minorités.

 

Dans les suburbs de ces grandes métropoles : la majorité (50%) des étudiants sont blancs, avec 14 % de Noirs et 25 % de Latino-américains, et une forte minorité d'asiatiques.

 

Pour venir à l'appui de ce raisonnement – sachant que les plus grandes métropoles se trouvent dans le Nord-est du pays –, les chercheurs en viennent à rappeler que si le « Deep south » raciste s'est légèrement déségrégé depuis les années 1950, tout comme le Mid-west, le Nord-est a connu une phénomène de re-ségrégation effective depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

 

On oublie que le Nord-est, malgré son image libérale, tolérante, multi-raciale était déjà une région marquée par une ségrégation de fait, peut-être plus hypocrite.

 

Ainsi, en 1968, 42 % des élèves noirs se trouvaient dans des écoles à plus de 90 % composées de minorités. En 2011, c'est le cas pour 51 % des élèves noirs.

 

Les Etats qui connaissent le plus fort taux de ségrégation – qu'on peut mesurer par le pourcentage d'élèves noirs dans des écoles avec plus de 90 % de jeunes issus des minorités – sont tous dans le Nord-est : New York (64 %), l'Illinois (61 %), le Maryland (53 %), le New Jersey (48 %), la Pennsylvanie (46 %) devançant désormais la Géorgie, l'Alabama ou le Misssouri.

 

4 – Les Latinos, victime d'une nouvelle ségrégation massive

 

Le grand apport des deux chercheurs est aussi celui de ne pas limiter la question de la déségrégation à la « question noire », révélant qu'il existe désormais tout autant une question latino, alors qu'on compte cinq fois plus d'élèves latino qu'en 1968, ils représentent désormais un quart des étudiants.

 

Or, les Latino-américains connaissent, eux, un processus de « ségrégation » qui atteint des proportions incomparables avec les années 1960 ou même 1980.

 

Entre 1968 et 2011, la part des étudiants latinos se trouvant dans des écoles composées à plus de 90 % de minorités reste stable dans le Nord-est (44 %), augmente dans le Sud (de 33 à 41 %), quadruple dans le Midwest (6 à 26 %), ainsi que dans l'Ouest (11 à 44 %) où se trouvent la majorité des Latino-américains.

 

La Californie, premier État pour le nombre de jeunes latino-américains avec un quart des étudiants de ce groupe, était dans les années 1970 un des États les plus intégrateurs.

 

En 2011, c'est celui qui a le taux d'intégration le plus faible : 7 % des Latino-américains sont dans des écoles à majorité blanche.

 

Le constat que dresse ces chercheurs sur la situation de l'éducation aux États-Unis est terrifiant, il nous éclaire sur la logique de l'école capitaliste, un système éducatif à plusieurs vitesses, qui produit et reproduit la ségrégation sur des bases de race et de classe, surtout.

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