Lettre ouverte de Adrien Welsh, secrétaire général du Parti Communiste du Québec (PCQ-PCC), à l’occasion du décès de Mikhaïl Gorbatchev. ***

Gorbatchev est apparu dans dans des publicités pour le groupe américain Pizza Hut en 1997 , le groupe de luxe Louis Vuitton en 2007.

 

Gorbatchev vient, sans doute pour la première fois de sa vie, de passer l’arme à gauche! Fossoyeur de l’URSS, renégat du socialisme, traitre au mouvement communiste international comme aux luttes de libération nationale, partisan de la compromission avec l’impérialisme, les qualificatifs ne manquent pas pour se rappeler le mal que cet homme a pu faire pour la classe ouvrière et les peuples en lutte à travers le monde.

Les Afghans qui, aujourd’hui, gouttent à nouveau à la doctrine islamo-fasciste des Talibans après des décennies d’occupation américaine elle-même précédée du régime taliban à cause de la trahison soviétique initiée par Gorbatchev ne le pleureront pas. Le peuple cubain ne versera non plus aucune larme devant celui qui, indirectement, a plongé le pays dans la période spéciale des années 1990. Les travailleur-euses de l’Allemagne démocratique victimes d’un second Anschluss dont les conséquences se font encore sentir, ne verseront aucune larme pour cet ami de l’impérialisme. Les travailleur-euses des républiques socialistes soviétiques, notamment les ouvrier-ères du Kazakhstan, ceux d’Azerbaïdjan et d’Arménie ligués les uns aux autres par leurs nouveaux maitres, ou encore les peuples autochtones de Sibérie et de l’Extrême-Orient russe qui vivaient dans une égalité nationale et dans une fraternité de classe ne pleureront pas celui qui a sabordé l’URSS qui avait réussi à conjuguer l’unité de la classe ouvrière et l’égalité nationale. Les professeurs d’université forcés à l’exil ou à la mendicité, les femmes ouvrières, techniciennes, fonctionnaires, institutrices forcées à vendre un rein pour joindre les deux bouts ou encore forcées à la prostitution non plus, ne le pleureront pas. Les travailleur-euses du monde entier ne le pleureront pas non plus, lui qui les a livrés sur plateau d’argent aux rapaces exploiteurs et parasitaires du monde entier qui n’ont plus à craindre momentanément l’existence du camp socialiste comme contrepoids à l’exploitation humaine.

Les seuls à le pleurer seront les banquiers, oligarques russes et ceux des ex-républiques socialistes soviétiques grâce à qui ils ont pu bâtir leurs empires économiques sur la ruine orchestrée du premier État ouvrier et paysanl. Ils seront suivis dans ce cortège de pleurs par l’OTAN qui, sans Pacte de Varsovie pour tenir en respect ce cartel criminel impérialiste, en a profité pour s’étendre vers l’Est non sans violences barbares dont en Yougoslavie. Puis viendront les chantres de l’Union européenne du Capital qui a colonisé de nouveaux marchés dans la foulée. Les partisans de Thatcher, qui disait de lui que c’est un « homme avec qui on peut traiter » comme ceux de Reagan ou du sioniste Shimon Peres verseront également des larmes pour leur vieil allié… Sans doute sera-t-il également encensé par les grandes marques de luxe comme Louis Vuitton qui se sont imposées en Russie et pour qui il n’a pas hésité à vendre son image, ce qui lui a permis de vivre en « anarchiste de grand-seigneur », pour reprendre les termes de Lénine.

En cédant aux impérialistes, Gorbatchev pensait au mieux naïvement ou alors de façon hypocrite, qu’il mettrait fin à la Guerre froide. Il n’a fait que la réchauffer. Si on pouvait la qualifier de « froide », c’est justement parce que cet affrontement avait lieu entre un camp belliciste capitaliste-impérialiste et un camp dirigé par les forces vives capables d’imposer la paix à travers le monde, un camp socialiste. Gorbatchev l’a fait basculer dans l’autre camp, comme on peut le constater depuis le 24 février dernier où monopolistes russes s’affrontent indirectement à l’OTAN sur un champ de bataille où le peuple ukrainien se retrouve pris entre le marteau et l’enclume.

Jamais, avant son arrivée à la tête de l’URSS les peuples du monde n’ont été mis en compétition les uns contre les autres comme aujourd’hui avec le triomphe de la mondialisation capitaliste, dont il est, objectivement, l’un des principaux instigateurs. Jamais le danger de guerre n’a été aussi exacerbé qu’aujourd’hui avec, en parallèle, une absence totale de riposte populaire depuis que les forces partisanes de la paix sont aujourd’hui orphelines depuis la victoire temporaire de la contre-révolution en URSS et en Europe de l’Est. Jamais les travailleur-euses du monde entier n’ont souffert des mesures d’austérité antisociales, antisyndicales et antipopulaires qui sont notre lot quotidien depuis plus de 30 ans déjà pendant qu’en parallèle, la « gauche » ne cherche plus à renverser le rapport de forces entre le capital et le travail, mais s’empêtre plutôt dans l’accompagnement du néolibéralisme tout en se mobilisant autour de questions sociétales.

Bien sûr, Gorbatchev n’est pas le seul responsable dans cette histoire. Il reste qu’il personnifie, en tant que Secrétaire général du PCUS, cette contre-révolution. Artisan de la Glasnost et de la Perestroïka, c’est sous couvert de cette libéralisation de façade de l’URSS qu’il permet la légalisation d’une économie parallèle dirigée par des cleptocrates qu’il consolide une base socio-économique dont l’objectif est d’en finir avec l’URSS comme État ouvrier et paysan.

En effet, avec la Glasnost – dont l’un des artisans est nul autre que l’ancien ambassadeur au Canada, Yakovlev - il « ouvre » les médias de communication à tous, y compris à des éléments stipendiés par la radio Free Europe, mais les ferme au Parti communiste. Avec la Perestroïka, il propose de régler les problèmes économiques en ayant recours au capitalisme sous couvert de stimuler l’économie et l’initiative individuelle notamment à travers des « coopératives ».

Il est vrai que l’URSS des années 1980 souffre de sérieux problèmes tant sur le plan économique que politique. Les années Khrouchtchev et Brejnev plongent le pays dans une forme de conformisme et d’ossification notamment avec le concept de « permanence des cadres » du Parti, ce qui contrevient à l’un des principes fondamentaux du socialisme hérité de la Commune de Paris, à savoir la révocation des élus en tout temps. En conséquence, se développe une « nomenklatura » pratiquement intouchable : les postes de cadre deviennent une sinécure. Économiquement, une économie parallèle de marché noir qui mobilise entre 10 et 15% de la force de travail soviétique et dont 25% de la population tire ses bénéfices principaux. Devenue incontrôlable au point où le gendre de Brejnev lui-même est mêlé à un scandale de corruption, elle prend des proportions monstres dans les Républiques soviétiques, notamment en Arménie, où son poids représente 64% de l’économie officielle. De plus, pour ce pays dont le PIB a constitué au mieux 75% de celui des États-Unis, les pressions de l’OTAN et de l’impérialisme notamment à travers une course aux armements provoquée dans le but de saigner l’URSS force un investissement disproportionnellement élevé dans l’industrie militaire qui n’est pas sans conséquences.

L’économie soviétique n’est cependant pas encore en crise : exception faite des années de guerre, elle croit de 1917 à 1985. Les conditions de vie et de travail également croissent pour les travailleurs, mais surtout pour les travailleuses qui peuvent prendre leur retraite dès 55 ans (contre 60 ans pour les hommes), bénéficient du droit universel aux congés de maternité, ont accès à des services de garde gratuits, des cantines et des blanchisseries publiques, elles sont pleinement intégrées dès 1917 sur le marché du travail etc. L’URSS est le pays où on lit, fréquente les musées, théâtres, cinémas etc. le plus à travers le monde.

Bref, contrairement à ce qui est souvent mis de l’avant, il n’y a pas, en Union soviétique, de « crise » tous azimuts insurmontable, en particulier dans ce pays qui a su, sans jamais trahir le socialisme, se relever d’épisodes d’autant plus graves dont la Guerre civile des années 1920 et la Deuxième Guerre mondiale qui a laissé le pays en ruines et couté la vie à 24 millions d’individus.

D’ailleurs, le prédécesseur de Gorbatchev, Iouri Andropov, avait pris conscience des problèmes qui guettaient l’URSS. Il s’est assuré d’y répondre du mieux possible tout en renforçant les principes du socialisme. Ses réformes portent fruit au point où, au tout début de son mandat, Gorbatchev poursuit en ce sens. Néanmoins, dès 1987, il les transforme soudainement en contre-réformes. C’est à partir de ce moment que les queues devant les magasins se généralisent, que le pays connait ses plus graves pénuries en raison d’une économie qui périclite, où des tensions apparaissent entre les différentes nations (à commencer par les républiques baltes).

Comme l’affirmait Egor Ligatchev, qui considérait son appui initial à Gorbatchev comme sa plus grande erreur : « À la place des vieux éléments corrompus qui, depuis des dizaines d’années, avaient suppuré dans le corps du Parti communiste et de la société en général, soudainement, en l’espace d’un an ou deux, des forces encore plus horribles et plus abslument corrompues ont fait leur apparition et elles ont bloqué le renouveau qui avait commencé dans le Parti et dans le pays à partir d’avril 1985. »

La différence entre les deux tient au fait que contrairement à son prédécesseur, « Gorbi » cherche à « régler » les problèmes en injectant un soupçon de capitalisme dans l’économie socialiste. Ce faisant, il les aggrave en plus de donner le champ libre aux cleptocrates qui, depuis des décennies, s’enrichissent grâce à la seconde économie de marché noir en légalisant leur activité.

Pourquoi ce revirement de situation? Qu’est-ce qui a incité Gorbatchev à considérer une « ouverture » au capitalisme comme solution valable aux problèmes contemporains de l’URSS?

La réponse à cette question impose un retour dans le temps, aux origines mêmes du Parti communiste de l’Union soviétique où se sont toujours confrontées deux lignes politiques. L’une, petite-bourgeoise représentée par Boukharine, Trotsky, puis Khrouchtchev entre autres s’oppose à une ligne prolétarienne représentée par Lénine, Staline et Andropov etc.

Dans ses mémoires, Molotov rappelle qu’il y a « devant nousune lutte pour le Parti. Khrouchtchev n’était pas un accident. Nous sommes principalement un pays paysan, et l’aile droite y est puissante. Avons-nous la garantie de pouvoir l’empêcher de prendre le dessus? » Autrement dit, dès les années 1950, cette lutte est manifeste.

Or, avec l’économie parallèle qui s’installe dans les années 1950, puis qui s’impose et se structure au cours des deux décennies suivantes, se crée une petite-bourgeoisie qui partage des intérêts de classe divergents de ceux des travailleur-euses. Sa prolifération est d’abord facilitée notamment par la faiblesse des forces productives au moment de la Révolution de 1917, mais en capitulant devant elle et en l’intégrant à l’économie officielle, Gorbatchev lui donne toute la latitude nécessaire pour qu’elle puisse influer sur les orientations économiques, politiques et économiques de l’URSS tant en matière de politique intérieure qu’extérieure. En capitulant devant elle, il capitule devant la contre-révolution.

Fidel disait, à ce sujet : « le socialisme n’est pas mort du fait de causes naturelles : nous avons ici affaire à un cas de suicide. »

En cette année où nous célébrons le centenaire de la création de l’URSS, trois leçons sont à retenir.

1) Toute tentative de régler les problèmes du socialisme en ayant recours aux mécanismes capitalistes présente un problème fondamental, à savoir celui de créer à court ou moyen terme une classe petite-bourgeoise dont les intérêts sont fondamentalement opposés à la construction du socialisme. Si dans certains cas, une telle retraite tactique et temporaire s’impose, il importe de s’assurer non seulement d’en limiter son application et de la contrôler au maximum de sorte que les secteurs clés (banques, industries stratégiques, etc. restent sous contrôle public), mais aussi de s’assurer que les entrepreneurs et autres capitalistes ne puissent accéder au Parti communiste.

2) Le Parti communiste n’est pas le parti du peuple tout entier, mais le détachement d’avant-garde de la classe ouvrière. S’il lui est important de maintenir des liens privilégiés avec d’autres secteurs de la population, il reste qu’il doit défendre corps et âme sa nature de classe, à savoir, la prédominance d’ouvriers dans les différences instances du parti, de haut en bas et ce, plus particulièrement dans les instances dirigeantes. Il ne s’agit pas de barrer la route aux intellectuel-les et autres représentants des couches moyennes, mais plutôt de s’assurer que ceux-ci s’intègrent à un collectif partisan à prédominance ouvrière et en adoptent la vision du monde.

3) Enfin, la question idéologique reste, en tout temps, au coeur de la bataille. Désarmés idéologiquement, les communistes sont vulnérables à l’offensive idéologique de la classe dirigeante y compris lorsqu’ils habitent un pays socialiste. Celle-ci peut prendre plusieurs formes, il ne s’agit pas nécessairement de celle à laquelle on peut s’attendre. En URSS à l’époque de Gorbatchev, il s’agissait de faire croire qu’avec la Perestroïka et la Glasnost, en stimulant l’économie et en ouvrant la presse aux critiques, on en viendrait à dynamiser la société soviétique. Sur papier, une telle proposition est attirante. Pourtant, une telle proposition cherche d’abord et avant tout à marginaliser le Parti communiste, garant à la fois de la démocratie ouvrière – malgré quelques ratées – et l’égalité entre les nations. Avec ses contre-réformes, Gorbatchev diminue le rôle du Parti, ciment de l’unité ouvrière en URSS là où c’est justement au sein du Parti que de tels débats auraient dû avoir lieu.

Au final, Gorbatchev s’est assuré de son propre gré de devenir le traitre qu’il est devenu devant la classe ouvrière. Personne ne l’a forcé si ce n’est l’aile droite du PCUS composée de cleptocrates qui ont vu en lui celui qui leur permettrait de réaliser leur potentiel capitaliste.

Plus que le dernier dirigeant de l’URSS, il a surtout été le premier dirigeant de sa restauration capitaliste.

Adrien Welsh

 

 

***Note de Solidarité Internationale PCF : Il est important de rappeler que nombre de communistes à travers le monde ont ressenti un vent d’espoir – sceptique pour les plus clairvoyants - à l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev. Sa jeunesse, sa volonté de réforme de l’appareil et le soutient d’une large part des tenants d’une ligne « prolétarienne » au sein du PCUS, faisaient entrevoir une possible sortie de l’immobilisme décadent Brejnevien. Le tournant de 1987 vers une casse organisée des fondements de l’URSS n’en a été ressenti que plus durement. Depuis 1991, le temps a fait son œuvre et 30 ans ont suffi à atténuer la colère et l’amertume de nombreux camarades contre un personnage qui n’a fait qu’incarner l’œuvre de rapaces « cleptocrates » pour reprendre les mots d’Adrien. Il reste aujourd’hui difficile de juger précisément du niveau d’engagement communiste ou d’esprit de renoncement de Gorbatchev aux différentes étapes de sa vie politique, y compris au début de son court mandat de 5 ans de secrétaire du PCUS. Nous renvoyons les lecteurs à des livres tel que « Le Socialisme trahi » de Roger Keeran et Thomas Kenny pour une analyse détaillée de cette période.

Ces considérations n’enlèvent rien au plaisir que nous avons eu à lire ce texte au ton la fois vindicatif et drôle et dont nous apprécions la justesse d’analyse.

 

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