rousseffPrésidentielles au Brésil: victoire quasi certaine de la candidate du « capitalisme du XXIème siècle » et la raison d'être des communistes comme alternative de gauche au lulisme


(Légende de la photo – Traduction de la phrase de Dilma Rousseff en titre: « La réalité a changé, et nous avec elle »)



Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/




Dimanche 3 octobre, 20h au Brésil: selon les premiers sondages à la sortie des urnes publiés par la chaîne Globo News, la candidate soutenue par le président Lula, la « PTiste » Dilma Rousseff devrait être élue présidente de la république au premier tour avec 51% des voix. La droite classique représenté par le social-démocrate (PSD) José Serra serait largement battue avec 30% des voix, tandis que la candidate écologiste Marina Silva ne parvenait pas à percer comme alternative de gauche modérée au lulisme, avec 18% des voix.



Mais selon les dernières estimations reposant sur le dépouillement de près de 3/4 des suffrages, l'écart serait bien plus serré: la candidate du PT récolterait 45% des voix contre 34% pour le candidat social-démocrate, et un deuxième tour serait alors à envisager.



Dans l'hypothèse même d'un second tour, l'avance considérable de la candidate du « PT » sur le candidat social-démocrate ne laisserait subsister que peu de doute sur l'issue du scrutin, prévu pour le 31 octobre prochain.



Le PT: parti du capitalisme brésilien du XXIème siècle?



Peut-on interpréter cette victoire certaine comme une victoire pour le processus révolutionnaire latino-américain progressiste en cours?



Il convient plutôt de prêter attention à cette éditorial de Carlos Tautz pour le quotidien national O Globoqui voit dans la lutte entre PT et PSD un affrontement entre deux fractions de la bourgeoisie brésilienne pour le pouvoir d'Etat. Pour lui, cette élection est « une occasion unique pour le PT de devenir le parti du capitalisme du XXIème siècle au Brésil. »


 

Les médias français dominants, porteurs de l'idéologie dominante, semblent partager ce constat, mais en s'en faisant les propagandistes plutôt que les froids analystes: Le Figaro (2 octobre) se fait porte-parole des entreprises et des capitaux français affluant dans l'el-dorado du Brésil de Lula, le Monde (30 septembre) dresse le bilan presque hagiographique d'une « assez belle histoire » (il l'avait élu homme de l'année en 2009 comme représentant d'une gauche responsable) tandis que l'éditorialiste des Echos (1er octobre) note avec ironie les ressemblances avec François Mitterrand - les mêmes espérances déçues, les mêmes retournements de veste - pour finalement le définir comme un « Mitterand qui aurait réussi ».


 

Même l'Humanité se joint au choeur, avec des articles a-critiques dans l'ensemble et apporte une caution de gauche au lulisme, en interviewant notamment un sociologue brésilien qui se permet une référence historique douteuse en parlant avec enthousiasme de « bilan globalement positif! » (1er octobre)



L'analyse nuancée mais lucide de huit ans de lulisme tendrait à corroborer cette thèse selon laquelle la bourgeoisie brésilienne n'aurait fait qu'à travers Lula et le PT que trouver la forme politique idoine qui lui manquait depuis plusieurs décennies pour concrétiser sa domination économique.




Bilan du lulisme (1): Une politique étrangère de grande puissance dans les intérêts du capital brésilien




Certes, pour contrer la désillusion qu'a entraîné la politique menée par Lula sur le plan intérieur, Lula a surtout cherché à valorisé sa politique étrangère « indépendante et souveraine », une véritable politique de grande puissance. Toutefois, cette politique s'est révélée dans les faits bien prudente quant à son contenu subversif.



Le Brésil a maintenu durant ses huit années à la tête de l'État des bonnes relations tant avec les Etats-Unis et l'Union Européenne qu'avec l'éventail de tous les gouvernements progressistes du continent, de Kirchner à Chavez. Il a contribué à mettre en échec les projets d'union régionale patronnés par les Etats-Unis (ALCA) mais a boudé ostensiblement le projet alternatif (ALBA) porté par le Vénézuela, Cuba et la Bolivie. En réalité,le Brésil de Lula se rêve être la force hégémonique d'une organisation régionale de libre-échange, et tente à cette fin de réactiver le MERCOSUR, dont il serait le leader naturel.



Derrière ce grand-écart diplomatique apparaît évident la priorité accordée aux intérêts nationaux du Brésil, assimilés aux intérêts économiques du grand capital brésilien. Bon élève du FMI, champion du libre-échange auprès de l'OMC, le Brésil profite de ses bonnes relations avec les puissances capitalistes traditionnelles pour attirer les capitaux étrangers (les IDE au Brésil ont été multipliés par 4 entre 2002 et 2008; le Brésil est devenue la 4ème destination préférée des 400 plus grandes multi-nationales), promeut une politique de consolidation de « champions nationaux » compétitifs dans la mondialisation capitaliste et développe une politique économique agressive vis-à-vis de ses voisins latino-américains.



Entre 2002 et 2010, le volume du commerce entre le Brésil et les autres pays latino-américains a été multiplié par trois, le volume de ses exportations vers cette zone par cinq.Le Brésil a développé selon certains économistes une variante régionale du commerce inégal: il exporte à ces pays des produits à haute valeur ajoutée et importe en échange matières premières bon marché et produits avec une forte intensité de travail incorporée.




Le lulisme comme « Social-libéralisme »... privatisations, et insertion dans la mondialisation, réduction de la pauvreté cet explosion des inégalités capital-travail




Ce grand-écart sur le plan international, le gouvernement de Lula l'a poussé au maximum sur le plan intérieur. Lula s'est fait le défenseur du « social-libéralisme » à la brésilienne. Avec le plus de libéralisme, et le moins de social possible pourrait-on ajouter.



Car l'essentiel de la politique économique des huit années de lulisme reste imprégnée du libéralisme hérité de l'ancien président Henrique Cardoso: orthodoxie budgétaire et financière(taux d'intérêts élevés/faible taxation du capital) pour attirer les capitaux internationaux; politique de privatisation et de libéralisation;contre-disant le « Ni, ni » déjà défensif prôné par Lula en 2002, Lula a continué la politique de privatisations de son prédécesseur, qui touche désormais des secteurs-clés comme l'éducation, la santé et la sécurité sociale, et se banalise notamment pour ce qui est de l'exploitation des matières premières, à travers les partenariats public-privé (PPP); politique de concentration des capitaux, en vue de la constitution de monopoles nationaux privés, compétitifs sur le marché mondial: Petrobrasprivatisé est désormais un géant pétrolier (numéro 4 mondial)prospectant les gisements pétroliers sur tout le continent, traitant avec les autres Etats latino-américains comme le font les majors américaines; Brasil foods, que l'Etat brésilien a aidé à créer à travers la fusion de deux groupes privés, est le leader régional incontesté de l'agro-alimentaire. De tels exemples tendent à se multiplier (on peut penser aux champions privatisés Embraer dans l'aéronautique et Vale do rio docedans le secteur minier) montrant le succès de la politique de Lula d'insertion du Brésil dans la mondialisation capitaliste.



Et le volet social du programme de Lula?Il ne peut être séparé du volet libéral de son projet. En effet, la théorie économique dont s'inspire Lula ressemble fortement à la doctrine libérale du « trickle-down » (ruissellement): seule une croissance économique forte, reposant sur une libéralisation totale du marché intérieur et visant à l'accumulation de capital avant tout, permettra de créer des emplois, réduire la pauvreté, augmenter les salaires et financer à la marge certains programmes sociaux bénéficiant aux plus pauvres.



Certes les programmes sociaux du gouvernement Lula, dont l'emblématique « Bolsa familia » qui concerne 12,6 millions de familles, ont contribué à réduire la pauvreté au Brésil (près de 20 millions de Brésiliens seraient sortis de la pauvreté sous la présidence Lula), à soulager les conditions de vie quotidiennes des familles les plus démunis du Brésil. Mais, ce type de programme ne consiste qu'en des transferts de revenus modestes (de 15 à 115 euros par mois par famille) sur une part infime du budget national (5,5 milliards d'euros totaux de transferts par an).



Contraste saisissant: alors que le programme « Bolsa Familia » transfère donc en tout 5,5 milliards d'euros par an à 12 millions de démunis, chaque année l'Etat brésilien verse, dans le cadre des intérêts de la dette, 190 milliards d'euros à 20 000 familles brésiliennes parmi les plus riches du pays.



Les 20 000 familles brésiliennes parmi les plus riches touchent directement de l'Etat brésilien 23 fois plus que les 12 millions de familles les plus pauvres.



C'est à partir de ce type d'exemple concret qu'apparaît la contradiction entre le discours sur la réduction des inégalités au Brésil et la réalité. Si les inégalités entre salariés auraient légèrement baissé sous l'ère Lula, les inégalités entre capital et travail ont elles explosé. De 56% de la richesse nationale revenant au Travail en 1996, on est passé en 2010 à 43%.



Le capitalisme financier brésilien ne connaît pas la crise lui. Entre 2002 et 2010, les profits des grands groupes bancaires brésiliens ont augmenté de 420%.



Ce tableau social relativement sombre ne peut ne pas inclure la question de la réforme agraire, portée depuis des décennies par le « mouvement des Sans-terre », et dont le gouvernement Lula a trahi beaucoup des espérances. Au contraire, il a favorisé la mise en place d'une agriculture intensive de type capitaliste destinée à l'exportation et a intensifié la politique de privatisation des ressources naturelles et des terres, et de la forêt Amazonienne en particulier.




La raison d'être de la candidature portée par le Parti communiste brésilien: porter une alternative de gauche au lulisme




C'est à partir d'une analyse divergente de ce qu'est le lulisme, que se divisent fortement les deux Partis se revendiquant du communisme au Brésil.



Le Parti communiste du Brésil (PcdoB), issu d'une scission maoïste du PCB historique, soutient, avec des critiques assez timides, le pouvoir luliste depuis le début des années 2000 et s'est donc logiquement aligné derrière la candidate du PT lors de ce scrutin.



Le Parti communiste brésilien (PCB), héritier du Parti communiste de Luis Carlos Prestes, développe lui une critique lucide des dérives droitières des huit années du gouvernement Lula.Rejoignant les propos de l'éditorialiste d' « O Globo », pour lui, c'est la lutte entre deux fractions de la bourgeoisie en concurrence pour le contrôle du pouvoir politique qui est en jeu lors de ce scrutin:

« Les élections de cette année divisent, en apparence, les deux blocs qui représentent les intérêts de la bourgeoisie: d'un côté, le PSDB et ses alliés, soutenus par le grand capital financier, proposant plus de néo-libéralisme, moins de droits pour les travailleurs, plus de liberté pour les capitaux, plus de dépendance envers les Etats-unis et ses alliés; de l'autre, le PT et ses alliés, perpétuant la domination bourgeoise et la politique économique néo-libérale, avec ces certaines concessions de nature assistantialiste et une certaine dose de plus grande indépendance sur le plan international. Dans le fond, la querelle se joue autour de la gestion de l'appareil d'Etat, avec peu de différences quant au projet politique en soi ».



A partir de cette analyse d'un scrutin où les deux blocs en compétition sont, dans le fond, d'accord sur l'essentiel, le PCB a jugé nécessaire de présenter une candidature communiste, celle de son secrétaire-général, Ivan Pinheiro, avec comme mot d'ordre: « Construire le pouvoir populaire, avancer dans la lutte pour le socialisme ».



Le programme politique du PCB articulait revendications immédiates et proposition d'une alternative socialiste. En tout point, les idées avancées contre-disent la pratique actuelle du PT et de ses alliés, et rejoindraient plutôt l'esprit du PT originel: valorisation de la démocratie directe (le Pouvoir populaire); nationalisation des grands moyens de production et planification démocratique en vue de la satisfaction des besoins du peuple; réforme agraire avec distribution de terres et constitution de coopératives de production; réforme fiscale avec taxation des profits des grandes entreprises, des revenus financiers et des grandes fortunes; réaffirmation d'une Sécurité sociale et d'un système de santé et d'éducation public, universel et gratuit; augmentation conséquente des salaires et des retraites, en particulier du salaire minimum; enfin sur le plan international une politique indépendante participant au processus révolutionnaire latino-américain (ALBA, Unasur) et rompant avec l'inféodation aux obligations du FMI et des Etats-Unis.



Certes, la candidature du PCB n'a pas eu les moyens de peser dans le débat politique, noyauté par les médias dominantes et par le vaste réseau clientéliste – politique et social – assuré par le PT, et elle n'a réussi qu'à mobiliser que quelques dizaines de milliers de voix, mais elle était légitime par sa seule existence.



Sa raison d'être était de porter une alternative politique de gauche au lulisme, qui porte le nom de socialisme, qu'elle a été quasiment la seule force politique a porté avec conséquence depuis 2002.

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