La « Question communiste » et l'unité de la Gauche

 

de Fosco Giannini, directeur de l'Ernesto, dirigeant national de Rifondazione Comunista


dans Rinascita della Sinistra, journal du PdCI, 23 juillet 2009


Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/


Le 18 juillet, à Rome, dirigeants de Rifondazione et du PdCI fêtaient la concrétisation de leur projet unitaire. L'unité des communistes? Pas vraiment, et on pourrait même dire qu'on s'en éloigne. En effet, on fêtait la naissance de la « Fédération de la Gauche ». Selon leurs calculs et leurs positionnements, ses promoteurs y rajouteront l'épithète vague et consensuel « d' alternative ». Bien que regroupant essentiellement les deux partis communistes italiens, ceux qui la défendent ne cessent de la présenter comme l'union de toute la gauche d'alternative. Car le projet qui se cache derrière cette Fédération est quelque part l'antithèse du projet d'autonomie et de réunification des communistes en Italie. Ce projet, qui ressemble trop à Izquierda Unida pour être innocent, porte en lui l'effacement de l'identité communiste, la destruction ce qu'il reste de l'organisation communiste, une vision électoraliste à court terme qui rappelle le pire du bertinottisme. En somme, la rupture avec le bertinottisme en fait pour mieux éposuer ses conceptions. Comme les diatribes de Vendola en 1991 contre le projet liquidateur d'Occhetto pour réaliser en 2008 que les deux partagent les mêmes conceptions liquidatrices.


Ce projet marque un premier succès de la stratégie des Bertinottiens/Vendoliens. Un pied dedans, un pied dehors; les uns partent à l'aventure, les autres gardent la maison. D'une scission tapageuse, on redistribue les cartes et on tue dans l'oeuf les forces communistes et leur projet, enfin on s'assure une recomposition fatale pour le communisme en Italie. Le processus de liquidation des forces communistes loin d'être arrêté, s'acccélèrerait. C'était le projet que Fosco Giannini dénonçait dans l'article sybillin de Bonnando, bertinottien resté à Rifondazione, « Pour une gauche d'alternative » (cf l'article précédant: Rifondazione: les liquidateurs restés au parti mis devant leurs contradictions, par le directeur de L'Ernesto ). Peu étonnant est le ralliement de Paolo Ferrero et de son courant. Ce dernier, qui a fait obstacle – de manière intelligente – au projet d'unité des communistes, aux positions et conceptions souvent peu claires, n'a qu'une idée fixe, construire l'unité de la gauche, pas celle des communistes. C'est en bonne voie.


Plus étonnant, le ralliement du PdCI et du courant Essere Communisti à ce projet. Ralliement critique mais constructif. Résigné mais pourtant enthousiaste. Diliberto, du PdCI et Claudio Grassi d'Essere Comunisti (cf l'introduction à l'article précédemment cité pour la description des différents courants à Rifondazione) posent certes les bonnes questions, apportent des propositions intéressantes (cf plus bas), mais il n'est pas difficile de voir qu'ils apportent – bon gré, mal gré – une caution de gauche à ce projet liquidateur. L'Ernesto se démontre conséquent idéologiquement en ne participant pas à ce simulacre unitaire. Son directeur, Fosco Giannini, critique ici l'essence mutante-liquidatrice de ce projet, qui, sur le plan du projet d'unité des communistes et de reconstruction d'un PCI sur des bases marxistes et communistes, pourrait être caractérisé ainsi: un pas en avant, deux pas en arrière.

AC

 


Depuis de nombreuses années, en Italie, se pose ce qu'on appelle « la question communiste ». Ceux qui la posent pensent plus précisément à la relance d'une pensée, d'une praxis et, en fin de compte, d'un parti communiste qui – à travers une réflexion critique (mais pas liquidatrice) sur le mouvement communiste du XXème siècle et plus particulièrement sur l'expérience communiste en Italie – puisse de nouveau jouer un rôle socialement et culturellement incisif et offrir de nouveau dans notre pays une option anti-impérialiste, anti-capitaliste et révolutionnaire.



Il n'est pas facile de définir, dans le temps, le moment où la « question communiste », en Italie, a commencé à se poser, dans le sens qu'il n'est pas simple – étant lui-même un processus – d'établir le « véritable moment » où commence le déclin du mouvement communiste italien. Ce que désormais, en l'absence d'études plus minitieuses, nous pouvons affirmer c'est qu'un tel déclin prend corps bien avant la « Bolognina » [nom donné à l'épisode du Congrès de Bologne de 1991 où Attilio Occhetto, alors secrétaire-général du PCI, parvient à liquider le Parti], qu'il s'aggrave dans la phase de l'euro-communisme, durant laquelle nous assistons à une mise en avant cocardière du rôle historique et mondial des organisations du mouvement ouvrier européen qui aboutit, d'une part, à privilégier toujours plus – de la part du PCI – les relations avec la social-démocratie européenne aux détriment des forces communistes européennes et, d'autre part, à la rupture avec des parties prépondérantes du mouvement communiste et anti-impérialiste mondial, auquel « on confie » un rôle révolutionnaire marginal par rapport au mouvement européen (et nous pensons à quel point cette pensée euro-communiste serait risible aujourd'hui vis-à-vis du grand processus de libération de l'Amérique Latine et au rôle mondial de la Chine); un déclin qui se manifeste dans sa forme finale par la « Bolognina » (un désastre politique et un point noir sur le plan culturel, puisque le saut soudain et apparemment irrationnel entre l'essence social-démocrate du PCI de la fin et le projet improvisé d'essence « radicale » d'Occhetto, qui efface même du cadre politique du pays une option social-démocrate classique et de masse, apparaît désormais incompréhensible); un processus de déclin qui nous emmène (après un premier espoir) à la phase véritablement nihiliste du « bertinottisme », qui ne tue pas seulement dans l'oeuf le projet théorique et politique de refondation communiste mais envoie un nouvel uppercut, fatal, à ce qu'il restait de l'autonomie communiste italienne.



Les conditions actuelles, dramatiques, politiques, théoriques, organisationnelles, électorales, économiques, du mouvement communiste italien (nous disons, ce n'est pas un hasard, italien, puisque les dernières élections européennes ont justement démontré; au contraire, la persistence et même la progression des partis communistes) sont, exactement, le produit final de cette longue suite de régressions.



Le problème est que le niveau le plus bas et le plus critique historiquement atteint par le mouvement communiste italien – contemporain – coincide avec une phase particulièrement aigue des contradictions capitalistes: on prévoit déjà, pour l'automne prochain, que la crise du capital mettra des centaines de milliers de travailleurs au chômage dans le cadre global d'un régime politique, Berlusconien, anti-ouvrier, raciste et d'une droite revancharde. Une phase, en fait, dans laquelle un parti communiste devrait et pourrait jouer un rôle centrale dans les luttes, à partir duquel on pourrait lui redonner son sens social et historique tout en rétablissant nos liens avec les masses. La crise, pour tout dire, comme une occasion, pour les communistes, de se sortir du pétrin dans lequel la ligne désastreuse eurocommunisme/Bolognina/Bertinottisme nous a mis et, pour l'instant, auquel elle nous a condamné. Une occasion pour les communistes de lutter, en apportant notre valeur sociale ajoutée: celle de rassembler autour de notre conception de la lutte et de notre projet politique l'ensemble de la gauche d'altenative; la valeur aujoutée, en somme, de l'unité de la gauche anti-capitaliste comme produit de l'initiative communiste.



Donc: nous sommes confrontés, actuellement, à une crise potentiellement mortelle pour le mouvement communiste et – dans le même temps – à une crise du capital qui se présente comme une sorte d'occasion pour la résurrection de ce même mouvement communiste. Aujourd'hui, pour les communistes, trois conditions sont nécessaires, c'est même une question de survie:

  • une accumulation de forces (et c'est pour cela que nous nous sommes tant battus – en vain, à cause du niet de Paolo Ferrero – pour l'unité des communistes, pour la réunification du PRC, du PdCI et de la diaspora communiste);

  • une autonomie politique et culturelle complète qui dote le mouvement communiste d'un bagage politique et théorie d'inspiration léniniste et gramscienne, et donc, critique et révolutionnaire (de ce point de vue, il faudrait donner suite à la proposition avancée par le camarade Diliberto lors de l'initiative du 18 juillet à Rome, c'est-à-dire créer un Centre d'études ayant comme tâche d'ouvrir un nouveau cycle de recherche théorique qui, sur une base marxiste et matérialiste, se fixe l'objectif de redéfinir tant une analyse sérieuse de la société italienne qu'un projet de transition au socialisme);

  • enfin une capacité d'unir (sur le terrain, dans l'unité d'action) toute la gauche anti-capitaliste.



Aujourd'hui la question qui se pose est: lesquelles de ces trois conditions sont réunies et pourraient se développer dans le cadre de la Fédération de gauche (appelons-la, quand même, « communiste et de gauche »?) qui est née à Rome, le 18 juillet?



Disons-le clairement: l'accumulation de forces communistes (c'est-à-dire le processus unitaire impliquant le PRC, le PdCI et les autres groupes communistes); la recherche et le développement d'une identité politique et théorique capable, comme un pur-sang, de chasser les mouches de l'occhettisme et du bertinottisme et de dessiner les contours d'une identité politique et théorique à la hauteur de notre temps et de l'affrontement de classe; l'objectif de réunir autour de l'axe communiste la gauche anti-capitaliste et anti-libérale dispersée; ces trois conditions peuvent seulement voir le jour si, à l'intérieur de la Fédération, les communistes restent autonomes, sur le plan culturel, politique, organisationnel et économique; si les communistes ne disparaissent pas au sein de la Fédération; si la Fédération ne se met pas dans la tête l'idée de devenir un « nouveau sujet politique et partisan » qui inévitablement, affaiblirait petit à petit la culture communiste (ce qu'il en reste, et déjà affaiblie) jusqu'à aboutir à son extinction.



Pour résumer, la question qui se pose est la suivante: la construction du parti communiste est une chose et la Fédération en est une autre; la reconstruction d'un parti communiste de nature véritablement révolutionnaire (et donc non maximaliste) est une chose et l'unité de la gauche en est une autre. Si cette distinction venait à être respectée, on pourrait – de manière dialectique – construire autant un parti communiste plus fort que l'unité de la gauche de classe. Si une telle distinction venait à être effacée, nous serions confrontés à l'échec de ces deux options.



Nous devons savoir de manière critique tirer, en tant que matérialistes, les leçons de l'histoire. Et se rappeler, donc, que les expériences de fédérations de gauche, en Europe, ont déjà eu lieu et qu'elles se sont toutes mal terminées pour les communistes.

  • En Grèce, la tentative – au début des années 1990 – du Synaspismos dirigé par Maria Damanaki (qui a fini aujourd'hui, c'est pas un hasard, au Parti Socialiste Grec) de supprimer – à travers ;a Fédération – l'autonomie du Parti Communiste Grec a abouti à une scission très grave du KKE.

  • En Espagne, dans cette désormais longue expérience que constitue Izquierda Unida, le Parti Communiste Espagnol n'a trouvé en vérité qu'une voie vers sa propre disparition entraînant avec lui la Gauche même – animal politique plus ambigu que jamais – qui se trouve désormais dans une situation d'échec politique et électoral.

  • En Norvège, l'Alliance de Gauche a duré jusqu'au moment où les communistes ont à nouveau posé le problème de la sortie de l'OTAN: à ce moment, ils sont été exclus de la Fédération de gauche.



Nous le répétons: il n'est pas question de refuser en soi la Fédération, en Italie, ainsi nous devons réaffirmer que l'unité de la gauche de classe n'est pas seulement, socialement, « juste en soi » mais – si elle est bien menée – aussi la base matérielle pour le renforcement du point de vue communiste même; le problème, c'est qu'elle ne doit pas devenir le tombeau de l'autonomie communiste. Elle ne doit pas se fixer comme objectif de se transformer – de manière Bertinottienne, vendolienne – en un nouveau parti politique, en un nouvel Arcobaleno.



Nous le disons, parce que, au contraire, les forces qui poussent à sa transformation dans un nouveau parti politique de gauche sont puissantes (pour la transformer en un « Die Linke italien », a affirmé clairement Vittorio Agnoletto à Rome, le 18 juillet, alors que nous n'oublions pas que, dans les derniers documents politiques de Die Linke, on efface toute l'histoire du mouvement communiste révolutionnaire en reprenant entièrement l'esprit ainsi que la lettre de la Seconde Internationale). Et c'est Cesare Salvi, dans son allocation introdcutive lors du meeting romain de la Fédération, qui a posé clairement le problème de la « nécessité », pour chaque élément de la Fédération, de concéder sa souveraineté, politique et culturelle. L'histoire se répète: déjà dans le Statut du début des années 1980 d'Izquierda Unida on imposait à ses différentes composantes (surtout le PCE, qui en était l'élément le plus fort) des concessions de souveraineté, à travers le refus, dans deux articles décisifs, du développement d'une politique internationale autonome et d'un enracinement social autonome. Ce sont ces concessions continues de souveraineté, qui ont été la cause essentielle du déclin profond des communistes italiens. La concession de souveraineté, dans la Fédération italienne, toucherait seulement les deux éléments forts et déterminants de cette fédération: le PRC et le PdCI



Les communistes, en Italie, peuvent repartir seulement à condition de pouvoir développer, en toute autonomie, une politique anti-impérialiste et anti-capitaliste. Si cela n'était pas possible, pieds et poings liés que nous serions aux expériences de type Izquierda Unida, le mouvement communsite italien, déjà moribond, courrait à sa perte.



C'est le camarade Claudio Grassi qui a relevé que la question centrale ne doit pas être quel « type de contenant » doit être la Fédération, mais que doit-elle faire en termes de lutte sociale: voilà comment le problème doit être posé.



C'est la camarade Manuela Palermi, à Rome, le 18, qui a réaffirmé avec force (affrontant les petits sourires de certains dirigeants du PRC bertinottiens) l'exigence – aussi à l'intérieur de la Fédération – de maintenir et de développer l'identité communiste.



Voici la voie à suivre: autonomie communiste et unité de la gauche anti-capitaliste. Si ce rapport dialectique se brisait en faveur d'une dérive à la Izquierda Unida, l'unité des communistes et le Parti Communiste, en Italie (dans les conditions actuelles), peut-être pour un long moment, ne trouverait plus les conditions pour se matérialiser concrètement.



Traduction du texte de l'image – « Le symbole communiste, c'est cela: une faucille, un marteau, une étoile sur un drapeau » Enrico Berlinguer


 


Traduit de l'italien depuis le site de L'Ernesto: http://www.lernesto.it/


Article précédant la naissance de la Fédération de Gauche et critiquant ce type de projet chez le Bertinottien Bonnando: Rifondazione: les liquidateurs restés au parti mis devant leurs contradictions, par le directeur de L'Ernesto

 

 

Retour à l'accueil