ng1683962Entretien avec Jéronimo de Sousa, secrétaire-général du PCP, avant le XIXème Congrès

 

« Ce lien profond avec les travailleurs est au cœur de la raison d’être du Parti communiste »

 

Nous publions ci-dessous de larges extraits de l’entretien donné par Jeronimo de Sousa, secrétaire-général du Parti communiste portugais à Avante, organe central du PCP. Au cœur de l’entretien, les enjeux du XIXème Congrès du PCP qui se tiendra du 30 novembre au 2 décembre, à Almada, dans la banlieue de Lisbonne. Pas de bouleversements à l’horizon pour le Parti mais une actualisation de son programme, au vu de l’attaque sans précédent de l’UE et du FMI contre le peuple portugais.

 

Traduction MO pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

 

Tu as dit à plusieurs reprises que ce XIX ème Congrès du Parti, au vu du contexte politique et social dans lequel il se prépare, ne pouvait être comparé qu’à celui du VIII ème Congrès de 1976, pourquoi ?


En 1976, c’était le tout début des politiques de droite, dont l’objectif était la restauration capitaliste, renvoyer la révolution d’Avril à l’histoire. Si on peut dire que, au cours de ces 36 dernières années, l’offensive a toujours été présente, on doit avoir en tête que l’offensive actuelle est plus profonde, plus globale et d’une plus grande ampleur, aggravée par le processus d’intégration dans l’Union Européenne et par la crise du capitalisme. C’est une situation d’une gravité sans précédent depuis le fascisme.


Voilà pourquoi nous considérons que ce n’est pas un congrès comme les autres, réalisés dans une situation sociale et politique plus ou moins stable. 

 

Quel bilan peut-on faire à ce jour de la préparation du XIX ème Congrès du PCP ?


En dépit de toutes les difficultés, qui émergent de nos tâches quotidiennes et de la nécessité de répondre parfois à deux, voire trois tâches en même temps, on peut dire que les militants du parti s’identifient pleinement aux grandes lignes qui président aux modifications du Programme et au projet de Résolution Politique, avec un esprit constructif de discussion et de contribution pour les deux documents.


Il ne serait pas exagéré de dire que le Parti est aujourd’hui plus uni et soudé et qu’on arrivera certainement à construire un Congrès à la hauteur du Parti que nous avons et du Parti que nous sommes.     


Une actualisation du programme du parti

 

Le Comité Central a proposé que ce Congrès procède à des modifications du Programme du Parti. Qu’est-ce qui motive cette décision ?


D’abord, il faut rappeler que lors des congrès précédents la question de la modification de notre Programme a été posée. Et pour ce congrès, le Comité Central a décidé ne pas proposer un nouveau Programme, mais de procéder à des modifications et des actualisations du Programme actuel.


Ce qui est mis au débat aujourd’hui dans le Parti est le résultat, dans un premier temps, de la contribution d’un certain nombre de militants et d’organisations avec un point de départ que j’aimerais souligner : notre Programme a une actualité et une perspective d’avenir qui nous ont conduit, indépendamment des modifications et actualisations à intégrer, à garder telles quelles les grandes orientations, ce qui est notre patrimoine collectif, ce qui vient de notre histoire et de notre lutte.


Il ne s’agit pas de modifications qui laissent toutes les portes ouvertes : le point de départ est ce grand patrimoine, qui nous conduit à garder cette perspective d’un Programme d’une Démocratie Avancée avec les valeurs de la révolution d’Avril inscrites dans l’avenir de notre pays.

 

Dans le chapitre II du Programme, consacré à la démocratie avancée, certains changements importants sont proposés : on parle d’une « rupture anti-monopoliste et anti-impérialiste » et du rôle décisif de la lute de masses pour la réaliser. Ce qui est proposé est donc un changement profond dans la société …


Nous considérons que dans certaines phases historiques la résistance est la première pierre à l’édifice. Le plus facile, ce serait d’éluder la complexité d’un processus, de minimiser l’importance des étapes, de verser dans l’optimisme historique et de se borner à renvoyer le socialisme dans un avenir programmé mais indéterminé.


Avec ce Programme le parti, sans jamais perdre de vue cet objectif suprême, ne choisit pas la  fuite en avant. En s’appuyant sur sa propre histoire, celle d’un parti qui a appliqué de façon créative la théorie marxiste-léniniste aux conditions concrètes du pays, et qui a défini un cap dont les objectifs s’enracinent dans la réalité et dans notre lutte quotidienne.


Notre camarade Alvaro Cunhal disait que dans la recherche, l’étude et l’analyse de ces questions on doit toujours avoir en tête une idée fondamentale : que la société est une réalité en mouvement, avec des éléments stables et d’autres qui le sont moins, et dans un Programme il est nécessaire de discerner les éléments caractéristiques d’une époque donnée ou d’un moment déterminé plus ou moins long dans la vie de la nation. C’est ce qu’on fait avec la proposition de la Démocratie Avancée, qui j’insiste, a toujours le socialisme comme horizon.


« Le capital n’a jamais eu peur de la lutte non-organisée, ce qu’il craint c’est la lutte organisée. »

 

Nous nous trouvons face à l’apparition de nouveaux mouvements qui s’affirment « en dehors des partis » et « en dehors des syndicats ». Comment le parti appréhende cette réalité ?


Nous avons toujours estimé que les luttes non-organisées pouvaient faire avancer certaines choses mais qu’elles ne pouvaient jamais remporter des victoires plus ou moins stables et durables. Nous avons toujours considéré que c’est dans la lutte organisée, portant des objectifs, qui non seulement obtiennent des résultats mais aussi permet de développer la conscience de ceux qui y participent.


Nous avons aujourd’hui au Portugal une forte expression de mouvements plus ou moins non-organisés. La participation à ces manifestations « non-organisées », toutefois souvent avec des objectifs et des cibles erronés, constitue une nouveauté importante, car, j’insiste, il s’agit de secteurs qui étaient plus ou moins neutralisés, qui étaient anesthésiés, qui étaient criblés de préjugés sur la lutte des travailleurs et la lutte du parti, avec des vies et des emplois plus ou moins stables. Mais les politiques de droite, servant le grand capital, a touché ces secteurs et ces couches, jusqu’ici neutralisés ou même prêt à les soutenir.


Quelle est la position du Parti face à ces mouvements et ces mobilisations ?


Le Parti a accompagné ces luttes, n’y est pas hostile. Nous avons même marqué notre présence dans certaines de ces mobilisations, évidemment pas en se diluant en leur sein.


Mais cela ne change pas ce qui pour nous est une question centrale : le caractère stratégique de la lutte de masses allant dans une direction organisée, manifestant une grande conscience, avec une direction et des objectifs clairs. Si l’on ne le fait pas, on court le risque de cette indignation qui ne dépasse pas le cri du cœur, en dépit des bonnes intentions et de la juste indignation et protestation.


Se manifeste nettement l’idée que le grand capital a parfaitement conscient de qui est son véritable ennemi. Ces derniers temps, nous avons vu revenir en force la violence verbale envers le PCP, en même temps que d’autres mouvements sont traités avec sympathie et compréhension.


Le capital n’a jamais eu peur de la lutte non-organisée, ce qu’il craint c’est la lutte organisée. Et s’il existe un Parti communiste qui reste fidèle à son nom, qui mobilise et organise les travailleurs, qui prenne en main avec une grande résolution et confiance cette même lutte, une lutte qui libère de nouvelles énergies, conduise de nouvelles personnes dans la lutte, dans une action quotidienne permanente, avec des avancées, des reculs, des victoires et des défaites, mais jamais de répit – voilà l’ennemi du capital.


Nous constatons une grande compréhension, pour ne pas utiliser un autre adjectif, par rapport à certains de ces mouvements (je ne dis pas cela de tous), avec une couverture exceptionnelle de la part des grands médias.


En même temps que l’on cherche à dissimuler et passer sous silence les actions de notre parti, son action, ses initiatives et manifestations, comme cela se produit avec les organisations de masse véritablement représentatives comme la CGTP-IN. Dès qu’ils sentent le danger, ils en remettent une couche… Ceux qui ici, il y a quelques années, déclaraient la mort du PCP sont les mêmes qui aujourd’hui crient avec haine, mais aussi avec crainte, contre ce parti.

 

« Rupture avec cette alternance sans alternative »

 

La question qui se pose est si cette politique proposée par le Parti est possible dans le système dans lequel nous vivons …


Dans le cadre de ce système socioéconomique non. Mais dans le cadre du régime démocratique consacré par la Constitution de la République, oui, c’est possible.   


Dans nos propositions, nous considérons qu’il est impossible de construire une alternative patriotique et de gauche sans ruptures : rupture avec ce pacte d’agression (le pacte FMI-UE-BCE), qui martyrise le peuple portugais ; rupture avec cette intégration européenne ; rupture avec cette alternance sans alternative ; rupture avec les politiques de droite.


Et ce n’est pas la peine de penser qu’une véritable alternative est possible seulement en aménageant le pacte d’agression, en s’accommodant de ces politiques de droite, de cette intégration européenne et de ses conceptions fédéralistes et néo-libérales, dominée par un directoire des grandes puissances.


Et cette voie passe-t-elle, oui ou non, par une révolution ?


Je n’aime pas répondre à une question par une autre question, mais tout d’abord il faut savoir ce que l’on entend par révolution. Le parti, en même temps qu’il reconnaît les lois générales du processus révolutionnaire, notamment celles qui ont trait au rôle de la classe ouvrière, de la lutte de masses, du parti, du pouvoir, de la propriété, a formulé il y a longtemps la thèse selon laquelle il ne peut y avoir de modèle de révolution et de socialisme.


Regardons l’originalité de la révolution d’Avril. Marx et Lénine ne l’ont pas théorisée, elle est le fruit de la réalité concrète de notre pays, de la lutte et des analyses de ce parti communiste et, en ce sens, en ayant en tête dans notre action et dans notre lutte la révolution et la transformation, nous pensons que les questions concrètes de l’édification de la nouvelle société et de la conquête du pouvoir ne s’exportent pas et ne se copient pas, mais seront construites selon les situations concrètes de chaque pays.


Et pour la révolution, nous pourrions utiliser l’image que nous utilisions encore il y a peu : elle n’est pas au coin de la rue mais il y a une voie à suivre au-delà du coin de cette rue. Qu’est-ce que, dans la conception léniniste, une révolution sinon un vigoureux mouvement de masses ?


Nous sommes aujourd’hui dans une situation très difficile et ceux qui ne s’en inquiètent pas ne sont juste pas dans le coup. Nous sommes la seule force qui affirme comme principe que, à côté de graves périls il existe de grandes potentialités. C’est une thèse centrale que nous avançons, tant au plan international que, et que nous mettons beaucoup en avant.

 

« L’Union Européenne n’est pas réformable »

 

Les points du Programme où les modifications sont les plus profondes sont ceux qui portent sur l’intégration européenne. Pourquoi ?


L’actualisation du programme est faite à partir d’un patrimoine d’analyses et de mises en garde du PCP depuis l’intégration du Portugal dans la CEE. Entre temps, 20 ans se sont écoulés et il y a eu naturellement des approfondissements, notamment dans l’intégration, avec la signature de traités, de mesures allant dans un sens toujours plus fédéraliste, avec des restrictions à la souveraineté et au droit des Portugais à décider de leur avenir.


Les modifications correspondent, d’abord, à la clarification des six axes fondamentaux de notre positionnement vis-à-vis du Parlement Européen et de l’Union Européenne : défendre toujours fermement les intérêts des Portugais, résister à toute décision qui fasse du tort à notre peuple ; minimiser par des mesures concrètes les conséquences de l’intégration ; se battre contre les diktats supranationaux et les restrictions à la démocratie et à la volonté des peuples ;  utiliser tous les outils à notre disposition pour améliorer les conditions de vie des Portugais ; agir avec les travailleurs et les peuples d’autres pays pour rompre avec ce processus d’intégration et promouvoir une Europe de paix et coopération basée sur des états libres, souverains et égaux, et lutter pour le développement souverain en accord avec les intérêts nationaux des travailleurs et du peuple.     

 

Il s’agit donc d’atténuer toute la violence des politiques européennes ? Dans les Thèses, il est dit que l’Union Européenne n’est pas réformable…


Pour nous, il est clair que l’Union Européenne n’est pas réformable. Dans le cadre actuel, et en ne perdant pas de vu la question centrale du caractère et de la nature de l’UE, qui elle sert et quels sont ses objectifs, le Parti doit se fixer comme objectif de défendre l’intérêt national, des travailleurs et du peuple portugais. Voilà vers quoi doit s’orienter notre action. Sans abdiquer aucune de nos conceptions, principes, et notre analyse de cette UE fédéraliste, néolibérale et militariste. 

 

« Le socialisme est à nouveau une référence pour des millions d’êtres humains. »

 

Dans le chapitre Le Socialisme, l’avenir du Portugal, apparaissent également des modifications importantes. Certaines d’entre elles portent des éléments d’analyse des expériences du socialisme et de ses défaites. Quelle est leur importance ?


Nous n’éludons pas les retards, erreurs et déformations contraires à la légalité socialiste et à l’idéal communiste qui ont eu lieu, mais nous mettons en avant les acquis et réalisations obtenus avec le projet de construction du socialisme, en URSS et dans d’autres pays, et qui constituent des avancées civilisationnelles fascinantes. Personne ne peut cacher cette réalité, ce processus de progrès, de transformation et d’émancipation humaine qui fut acté dans la construction du socialisme.


Nous analysons également les conséquences des défaites du socialisme, à 20 ans de distance, non seulement dans les pays où il était construit, mais à l’échelle globale, où le capitalisme, libéré de son contre-poids, révèle sa vraie nature, son caractère prédateur, ne portant que l’exploitation, le recul social et civilisationnel ainsi que la guerre. C’est une actualisation importante car plus le temps passera, et plus l’humanité percevra ce qu’elle a perdu avec ces défaites.

 

Dans le même chapitre, on retrouve une analyse plus profonde du capitalisme et de sa crise, en concluant à la nécessité de son dépassement. La question du passage du capitalisme au socialisme est-elle posée ?


Il n’y a aucun doute que cette crise du capitalisme et son offensive, en termes de facteurs objectifs, crée de meilleures conditions, mais c’est aussi évident qu’en ce qui concerne les facteurs subjectifs on rencontre plus d’obstacles. Que ce soient le rapport de forces, l’existence de partis communistes forts et influents ou le développement de la lutte de masses.


Nous croyons que dans l’équilibre entre facteurs subjectifs et objectifs, il y a clairement un mouvement de relance, dans l’imaginaire collectif, dans lequel le socialisme est à nouveau une référence pour des millions d’êtres humains.

 

Renforcer le parti : une question centrale

 

Renforcer le Parti, à tous les niveaux, apparaît comme une question centrale. Quel bilan sera présenté au congrès à ce sujet ?


On va souligner la responsabilisation et la formation de nouveaux cadres, l’existence de 5800 nouveaux militants ; le renforcement de l’organisation et de l’engagement aux côtés de la classe ouvrière et des travailleurs ; la réalisation de 500 assemblées d’organisation, tout cela fournit la preuve d’un Parti vivant, qui connaît certes des difficultés et des insuffisances, mais avec a un travail, une action et une implication d’une grande valeur.

 

Quelles sont les lignes prioritaires pour le renforcement du Parti à l’avenir ?


La pierre angulaire sera certainement le renfort de l’action, de l’intervention et de l’organisation au sein de la classe ouvrière et des travailleurs. C’est peut-être le travail le plus difficile, si on prend en compte par exemple le nombre de chômeurs et de précaires, mais c’est aussi le travail le plus important. Pour ce Parti Communiste, son lien profond avec les travailleurs est un élément au cœur de sa raison d’être et la raison qui nous pousse à lutter. 

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