1229533771405zapaccgrandednUn dirigeant fondateur du syndicat des Commissions ouvrières (CC.OO) revient sur la mutation réformiste du syndicat historique de la classe ouvrière espagnole

Intervention de Quim Boix dirigeant fondateur des Commissions ouvrières (CC.OO) au 13ème Congrès de la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP)

Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

L'histoire glorieuse des CC.OO


Elles naquirent en pleine dictature, en tant qu'organisation clandestine. Elles ont résisté à une dure répression (qui est allé jusqu'à l'assassinat, sans compter les disparus, torturés et prisonniers ou encore les exilés) et ont gagné le respect et le soutien de la majorité des salariés. C'est seulement ainsi que l'on peut expliquer comment nous avons sorti Marcelino Camacho de prison, ainsi que de nombreux autres dirigeants.

Au sein des Commissions ouvrières, il était alors la norme de respecter les accords des assemblées de travailleurs. La démocratie de base a fait la force des CC.OO, en dépit de la répression fasciste.

Correspondent à cette étape, qui dure jusqu'au milieu des années 1980, les grands gains et conquêtes revendicatives pour la classe ouvrière, dans les conditions de travail (conventions collectives), dans la sécurité au travail, la formation syndicale, la sécurité sociale (y compris la santé et les retraites) etc. Des conquêtes qui commencèrent par de grandes luttes, grèves, manifestations et de nombreuses assemblées, dont les résultats étaient, au sommet, respectés par les dirigeants des CC.OO. Les CC.OO se définissaient alors elles-mêmes comme un syndicat de classe, démocratique, indépendant, de base, revendicatif et socio-politique.

Cette glorieuse histoire a commencé à se dégrader lorsque le PCE s'est transformé en un parti euro-communiste et que son secrétaire-général, Santiago Carrillo (aujourd'hui au PSOE, parti social-démocrate qui gère le capitalisme en alternant, en Espagne, avec le PP) est intervenu dans les affaires syndicales, rentrant en conflit avec les aspirations de la base militante des CC.OO.

Un exemple éclairant en est l' « Accord interconfédéral » signé par la direction des CC.OO en 1983. Des assemblées se sont tenues sur tous les lieux de travail, en particulier en Catalogne, pour que les travailleurs décident s'ils jugeaient opportuns de signer le pacte social en question. La grande majorité a dit « Non » à la signature, mais le premier secrétaire des CC.OO en Catalogne, José Luís López Bulla, a voté « Oui » à Madrid (sous pression de la direction du PCE) au moment de la décision étatique sur la signature. Dès lors, a clairement commencé le processus de dégradation du syndicalisme de classe au sein de l’État espagnol.

Les efforts de près de 30 ans de lutte interne pour corriger ces attitudes de capitulation face au système capitaliste n'ont conduit qu'à des expulsions régulières de cadres dirigeants des CC.OO. Ainsi naquirent en Espagne, au cours des dernières décennies, un trop grand nombre d'organisations syndicales de classe (nombre d'entre elles, au niveau de l'entreprise et face aux CC.OO, sont devenues majoritaires), aujourd'hui guère coordonnées entre elles.

La triste réalité de l'actuelle direction des CC.OO


Ceux qui décident aujourd'hui au sein des CC.OO ne sont plus ses adhérents, qui dans leur grande majorité sont encore partisans du syndicalisme de classe, contre le syndicalisme de concertation ou de conciliation avec le patronat. Actuellement, les CC.OO ne se définissent plus comme syndicat de classe, puisqu'ils ont abandonné cette terminologie et utilisent désormais celle d' « agents sociaux » au lieu de parler de classes sociales – autrement dit, elles utilisent (et pas seulement sur cette question) la terminologie du patronat.

Les finances du syndicat  reposent, dans des proportions très élevées (bien supérieures à 70%, avec des variations annuelles), sur des subventions très diverses que les CC.OO reçoivent du patronat et de divers gouvernements (européen, étatique, régional, municipal) et de nombreuses institutions, justifiées par la présence dans diverses réunions des dirigeants syndicaux, le paiement de cours de formation, la contribution des fonds publics (par exemple, les CC.OO reçoivent chaque année plus de 10 millions d'euros du Budget général de l'Etat). La forme encore plus perverse de collecte de fonds par les CC.OO  est cette somme pour chaque travailleur licencié que les entreprises versent aux syndicats qui signent, facilitant les licenciements, les papiers de résiliation de contrat. Cela signifie que plus il y a de licenciements, plus le syndicat ramasse (et pas des petites sommes, des millions au total).

Indépendamment de cela, les CC.OO reçoivent annuellement, pour « les investir » directement en Amérique latine, des centaines de millions d'euros de l'UE (Union européenne), justifiés dans le fond comme des « projets d'aide », également appelés Projets de Solidarité, qui sont employés de bien des manières différentes – cours de formation (avec quel contenu?), publicités dans des publications des syndicats latino-américains (par exemple dans la seconde page du mensuel du PIT-CNT d'Uruguay et dans le Bulletin des femmes de la CGT du Pérou), ou comme aides pour organiser des Congrès ou acheter des locaux pour l'activité syndicale.

Comme preuve de la dégradation des dirigeants des CC.OO, trois exemples :

1)Antonio Gutierrez Vegara, qui a remplacé Marcelino Camacho (qui n'a jamais été corrompu, lui), est passé de secrétaire des CC.OO à député du PSOE et (sauf deux exceptions) a toujours voté toutes les mesures anti-ouvrières adoptées par la social-démocratie ; 2) José María Fidalgo, qui a pris la succession d'Antonio Gutierrez, fut un des signataires (avec 49 grands patrons) du document « Transformer l'Espagne », qui indique les mesures anti-ouvrières que le capitalisme souhaite imposer, et a approuvé la récente campagne du Parti populaire pour prendre le pouvoir (il a soutenu par des déclarations et des photos avec Rato, ancien du FMI, et Rajoy aux Canaries, le 18 septembre 2011 lors d'une rencontre publique de la direction du PP) ; 3) Juan Coscubiela, qui fut pendant 13 ans secrétaire des CC.OO en Catalogne, est passé de secrétaire-général du syndicat à professeur à l'ESADE, université des jésuites où les enfants de la bourgeoisie apprennent leur futur métier de patrons.

Cette réalité de ces dirigeants qui « se font acheter » ne se limite pas à une petite minorité ; hélas la contagion a agi au fil des années touchant la majorité des dirigeants des structures territoriales et fédérales du syndicat. Le cas le plus scandaleux fut celui de Maria-Jesus Paredes, secrétaire-générale de la CONFIA (secteur financier des CC.OO) lorsque Fidalgo était secrétaire-général, qui a touché plusieurs millions pour faciliter la signature des accords sur les Caisses d'Epargne et les Banques. Dans les autres cas, l'entreprise s'est tout simplement servi de la mise à disposition arbitraire des heures syndicales, des promotions de carrière sélectives, des primes ou des congés, et d'autres types d'avantages.

En cohérence avec tout cela, au cours des dernières années, on note de plus en plus d'Accords sociaux signés par les dirigeants des CC.OO, sans aucune consultation des intéressés. Ceux qui ont fait le plus de mal à la classe ouvrière, ce sont les accords étatiques. Le dernier, datant de 2011, marque le recul de l'âge de la retraite de 65 à 67 ans et l'augmentation du nombre d'années nécessaires au calcul du montant des retraites (celles-ci, en quelques années et avec le soutien des CC.OO, sont passées de 2 à 25 ans, ce qui représente une diminution moyenne de 35% des retraites perçues). Tout cela signé par les directions du syndicat sans consulter ni la base militante ni les travailleurs concernés. Ils ont demandé à être consultés, par plusieurs centaines de lettres et résolutions, que la direction des CC.OO a systématiquement ignoré. Dans le même temps, les CC.OO en collaboration avec l'UGT ont participé aux conseils d'administration des fonds de pension privés, que les dirigeants syndicats suggèrent – lorsqu'ils ne les rendent pas obligatoires par convention, comme à SEAT, pour les travailleurs embauché après 2002, à la place des augmentations automatiques de salaires tous les trois ans – comme complément à leur pension publique misérable. On remarque par ailleurs que SEAT facilite les renouvellements réguliers des voitures particulières des dirigeants syndicaux des CC.OO au sein de l'entreprise.

Pour achever leur soumission au système bourgeois, ils ont laissé sans soutien des milliers de travailleurs licenciés. Le cas le plus douloureux est celui de Telefónica, avec le soutien à des suppressions de milliers de postes de travail (de 75 000 à 36 000 actuellement, parmi lesquels les CC.OO acceptent désormais que l'on en supprime 6 000 de plus). C'est pour cela qu'aujourd'hui les nouveaux syndicats à la Telefonica (AST et COBAS) sont redevenus majoritaires sur les principales concentrations de travailleurs, comme à Madrid et à Barcelone (dans les petites unités dispersées, le patronat contribue à l'existence de délégués des CC.OO). Mais cela ne s'est pas uniquement produit à Telefónica; à SEAT, en 2005, les CC.OO ont signé un accord pour le licenciement de 600 travailleurs sans écouter leur avis.

Pour conclure, il faut souligner que sur les trois dernières années, les CC.OO n'ont convoqué qu'une seule grève générale, le 29 septembre 2010, mais sans volonté de la mener. De la même façon, dans la majorité des manifestations auxquelles elle appelle, son objectif est seulement celui de canaliser la colère des travailleurs contre la bourgeoisie et le gouvernement (sans chercher à gagner des droits), comme le reconnaissent publiquement leurs dirigeants. Juste un exemple : dans la grève générale en question, il y a plus d'un an, les dirigeants du territoire de La Rioja étaient à la tête d'un piquet anti-jaune (sur le marché central MercaRioja). Ils ont négocié avec la police, sur le point de le démonter, pour qu'ils les laissent  prendre des images télévisées d'eux à la tête du piquet, et une fois les images prises les dirigeants ont demandé aux grévistes de démonter le piquet, chose qu'ils ont refusé. Les dirigeants sont alors partis et ont laissé les grévistes se faire tabasser par la police. Hélas, cela ne fait que représenter l'orientation générale donnée par la direction nationale des CC.OO vis-à-vis des piquets de soutien à la grève générale.

Triste réalité de la trahison des dirigeants actuels des CC.OO

Retour à l'accueil