owsdeblasiosupporterjpg.jpgUn maire « progressiste » à New York après une campagne sur la fracture sociale … sans froisser les intérêts de Wall Street

 

Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

 

La campagne du nouveau maire de New York, axée sur la réduction de la fracture sociale, en dit long sur la radicalisation de la société américaine en temps de crise … mais le profil du vainqueur reste éclairant sur le verrouillage créatif de la vie politique par la classe dominante.

 

73 %, c'est le score du candidat démocrate Bill de Blasio, élu maire de New York ce mercredi. Qui aurait prédire que celui qui n'était que l'outsider des primaires démocrates allait quelques mois après écraser son candidat républicain ?

 

Une victoire conquise auprès des jeunes, des minorités hispaniques et noires. Et surtout auprès des couches populaires et moyennes de la ville exaspérées par sa transformation en métropole pour les « super-riches », sous la gouvernance du milliardaire Michael Bloomberg.

 

Une victoire aussi à relativiser. Moins de 20 % des électeurs se sont déplacés aux urnes, dans une ville qui a voté à 80 % pour Barack Obama, lors des élections présidentielles de 2012.

 

Toutefois, cette victoire est éclairante à la fois sur les transformations de New-York – à mettre en parallèle avec celles de Paris – mais aussi sur la structure de classe de la société américaine, et la prie de conscience progressive de sa réalité au sein de la population.

 

Une conscience diffuse de classe dans la ville des millionnaires et des miséreux, transformée par le milliardaire Bloomberg

 

New York est la ville des super-millionnaires : elle en compte 400 000 dans la deuxième ville du monde, au PIB équivalent à celui de l'Espagne. La proportion de ménages touchant plus de 200 000 $ annuels a doublé en dix ans.

 

C'est aussi la ville des miséreux. 21 % de la population, 1,7 million de personnes vivent sous le seuil de pauvreté,. Près de la moitié des habitants de la « grande pomme » sont soit en-dessous, soit juste au-dessus du seuil de pauvreté, 20 % de la population survit grâce aux bons alimentaires.

 

Au cours de la dernière décennie, le revenu médian a baissé de 4 % - révélant un appauvrissement de la majorité – tandis que les dépenses contraintes (loyer, électricité, gaz) ont augmenté de 9 %.

 

L'explosion des loyers chasse les pauvres, mais aussi les classes moyennes du centre-ville. Elle prive même ceux qui ont un travail de l'accès au logement, 15 % des sans-abris sont salariés.

 

Le « conte des deux villes », métaphore de la fracture sociale entre une ville de « super-riches » et la ville des miséreux évoquée pendant la campagne par De Blasio a fait mouche. Elle visait la décennie Bloomberg (2002-2013), d'enrichissement forcené d'une petite minorité.

 

L'homme de Wall Street, septième fortune du monde, avait pu se faire passer pour un progressiste. Défenseur du mariage gay, partisan de la ville écologique, promoteur des pistes cyclables, son programme n'aurait pas été renié par un Bertrand Delanoe ou un Gérard Collomb !

 

Dans sa politique de classe, Bloomberg a livré la ville aux intérêts privés, étendant la privatisation aux hôpitaux, au ramassage des déchets, l'entretien des voies … jusqu'aux parcs et parc-mètres !

 

Tandis que les écoles et hôpitaux publics ont vu leurs services se dégrader, les établissements fermer, les revenus des super-riches ont grimpé en flèche : 1 % des New-Yorkais contrôlent désormais 40 % de la richesse de la ville. C'était 12 % en 1980.

 

La spéculation immobilière, alimentée par les grands projets urbains – on peut penser à la gentrification d'Harlem – a appauvri jusqu'aux classes moyennes et enrichi les promoteurs et financiers, qui s'échangent des immeubles de Manhattan en millions de dollars !

 

Face à cette ville pour les « super-riches » construite par Bloomberg, De Blasio a su habilement manier l'arme électorale de la « taxation des riches », modeste avec la hausse de l'impôt municipal sur le revenu de 3,8 à 4,4 %, au-dessus de 500 000 $ de revenus par an.

 

Une mesure censéer permettre de dégager 530 millions de $ et financer la pré-scolarisation (« prekindergarten ») des enfants dans des crèches publiques, tandis que le futur maire a promis aussi de financer les hôpitaux publics et les écoles, tout en construisant 200 000 logements sociaux.

 

Dans une ville où s'est développé le tout-sécuritaire, la stigmatisation des minorités – avec le dispositif « stop and frisk »/arrête et fouille, institutionnalisant le délit de faciès et les fouilles inopinées – De Blasio a aussi promis de transformer en profondeur la police municipale.

 

Ce discours répond à une très vague conscience sociale née du « mouvement des 99% », de l'opposition entre les intérêts d'une immense majorité et celle des « 1% », des super-riches.

 

Un sondage du Pew Research center, en janvier 2012, révélait que deux-tiers (66%) des Américains estimaient qu'il y avait de « forts conflits de classe entre les riches et les pauvres » aux Etats-unis, contre 47 % en 2009.

 

Le pouvoir de l'argent aux Etats-unis : un outsider adoubé par Wall Street

 

Bill de Blasio est-il un marxiste ? La question peut faire sourire, elle a enflammé les milieux conservateurs américains. Bien qu'il en soit très loin, la radicalité de sa campagne peut trancher avec la tiédeur d'une Anne Hidalgo ou d'un François Hollande ces derniers mois.

 

Sur le plan seulement de son discours, De Blasio se revendique de l'héritage du « New Deal de Roosevelt et de la social-démocratie européenne », cette idéologie d'un capitalisme régulé suffit à le classer à l'extrême-gauche de l'échiquier politique américain !

 

La personnalité de De Blasio, de son passé politique incitent à relativiser son statut d'outsider. Tacticien rusé, sa rhétorique populiste a su saisir l'esprit de son temps, profitant des erreurs aussi de ses concurrents, telle la favorite démocrate Christine Quinn, trop proche de l'ancien maire.

 

Les médias conservateurs aiment à rappeler ses voyages de jeunesse dans le Nicaragua sandiniste, sa lune de miel à Cuba, marques des idéaux de sa jeunesse. Son passé récent d'homme politique au cœur du système politique américain est plus révélateur

 

De Blasio est d'abord un clintonien. Entré en politique comme membre de l'équipe new-yorkaise pour la campagne présidentielle de Clinton en 1992, il est le chef d'équipe d'Hillary Clinton dans sa campagne pour le Sénat en 2000.

 

Elu conseiller municipal à Brooklyn en 2002, il se distingue alors par sa propension à voter systématiquement tous les grands projets de spéculation immobilière – tels Atlantic Yards et Brooklyn Bridge Park – qui ont contribué à la gentrification du quartier.

 

Le président de la Chambre de commerce de Brooklyn, Carlo Scissura, vante lui un « pragmatique », avec qui il travaille depuis dix ans, dont le « discours de campagne cessera lorsque son règne commencera ».

 

Même son de cloche du côté des financiers de Wall Street, que De Blasio a rencontré le 11 octobre dernier pour les assurer qu'il ne toucherait pas à « cette industrie locale ».

 

Pendant la campagne, il a rencontré les barons de la finance Llloyd Blankfein (PDG de Goldman Sachs), Neil Mitchell (PDG de Morgan Stanley), les magnats de la presse Mort Zuckerman et Rupert Murdoch vendant une image de « progressiste pragmatique, responsable ».

 

Parmi ses conseillers proches, on trouve les financiers Orin Kramer ou William Marlow. Un de ses principaux soutiens se trouve être le spéculateur George Soros. Pendant sa campagne, le démocrate de Blasio a levé trois fois plus de fonds que le républicain Lhota.

 

Parmi ses principaux donateurs de campagne, on retrouve le puissant lobby de l'industrie du taxi ou encore plusieurs grands promoteurs immobiliers, dont Bruce Ratner … dont il a soutenu les projets à Brooklyn qui ont conduit à l'explosion des loyers.

 

Pour ces grands patrons, De Blasio peut être celui qui réconciliera capital et travail – il bénéficie du soutien unanime des syndicats – pour donner un nouvel élan au développement de la ville.

 

Vers une nouvelle désillusion : un Obama bis ?

 

La comparaison avec Obama saute aux yeux. Outsider au profil progressiste, capable de mobiliser les minorités – grâce à sa femme afro-américaine, bi-sexuelle, féministe, ses enfants métis –, donner l'espoir du changement.

 

Une différence est marquante. Le climat de la campagne, beaucoup plus radicalisé à New York. L'effet d'une crise qui depuis 2008, dans la ville du « mouvement Occupy », a fait évoluer les consciences, et a discrédité le discours pro-capitaliste d'un Bloomberg ou d'une Christine Quinn.

 

Obama était un « modéré » dès 2008, à droite sur les questions sociales d'Hillary Clinton ou du « progressiste » John Edwards. De Blasio était le candidat « radical », à gauche par rapport à Anthony Weiser ou Christine Quinn.

 

Une similitude toutefois, encore à révéler dans la pratique. Le hiatus entre ce qu'a pu promettre de Blasio et ce qu'il sera en mesure de réaliser, au vu de ses attaches de classe, ses liens avec les promoteurs immobiliers et les financiers de Wall Street.

 

Son programme de développement des services publics, de construction de logements sociaux, de taxation des riches est ambitieux, au moins autant que le programme initial de couverture santé d'Obama. Irréalisable sans s'attaquer aux pouvoirs des 1 % les plus riches.

 

Or, cinq ans après, Obama n'a adopté aucune mesure sociale progressiste. L' « Obamacare », négocié avec les Républicains, ressemble plus à un plan d'ouverture de nouveaux secteurs de profits pour l'industrie de la santé qu'à une couverture médicale universelle.

 

Au contraire, il a impulsé en 2008 le plus grand plan de renflouement de l'industrie et des banques de l'histoire mondiale, et est en train de négocier des coupes budgétaires automatiques (« sequester ») dans les services sociaux qui toucheront d'abord les plus modestes.

 

Le projet de réduction, voire de suppression, des bons alimentaires pourraient déjà mettre en péril la survie de centaines de milliers de New-Yorkais, qui dépendent chaque jour des « food stamps ».

 

De Blasio doit aussi faire avec l'héritage de la politique ultra-libérale de Bloomberg : un trou de 2 milliards de $ creusé par les privatisations et les cadeaux aux riches, et un conflit social avec les 300 000 employés de la ville, en arriérés de salaire depuis … 7 ans, soit 7 milliards de $.

 

Ce sera le premier test pour le nouveau maire, qui pourrait déjà sonner le glas des illusions de la gauche américaine, si De Blasio décide de ne pas lâcher face aux revendications des employés municipaux.

 

En tout état de cause, l’élection du liberal (radical, aux Etats-unis) de Blasio est instructive à la fois sur la capacité de la classe dominante à maîtriser, canaliser mais aussi réagir avec souplesse à la radicalisation d'une population, en attente d'une alternative introuvable.

 

 

 

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