A propos de la guerre impérialiste  et de la position du Parti Communiste de la Fédération de Russie (KPRF)

Document de la Section des Relations Internationales du CC du KKE. Publié dans Rizospastis, journal officiel du KKE, le 23-24 avril 2022. Traduction FS pour Solidarité Internationale PCF

"La lutte pour les marchés et le pillage des pays étrangers, la tendance à étouffer le mouvement révolutionnaire du prolétariat et de la démocratie à l’intérieur des pays, la tendance à endormir, fragmenter et pourchasser les prolétaires de tous les pays, en poussant les esclaves salariés d’une nation contre les esclaves salariés d’une autre nation pour le bénéfice de la bourgeoisie, c’est tout cela le véritable contenu, l’unique et le vrai sens de la guerre." (V.I Lénine, t. 26, p.1)

Tout ce qu'observait, il y a plus de 100 ans, le chef de la Révolution d’Octobre s’applique totalement à la guerre actuelle qui se mène en Ukraine. Dans de nombreux articles récents, nous avons insisté la part prise par la lutte pour les marchés, les matières premières, les voies de transport des marchandises. Le KKE a également exprimé des positions claires dans le cadre du Mouvement Communiste International. Malheureusement certains PC, comme le Parti Communiste de la Fédération de Russie (KPRF) soutiennent des positions diamétralement opposées aux nôtres.

Quelques éléments au sujet du KPRF

Le KPRF, créé en 1993, est une force significative de la vie politique de la Russie capitaliste. Lors des dernières élections parlementaires en 2021, il a recueilli 18,9% des suffrages devenant ainsi la 2ème force politique avec 56 députés (sur un total de 450 sièges). Depuis la dissolution de l’URSS, le KPRF a exercé des positions gouvernementales, notamment en 1998-1999 : le premier Ministre G. Primakov avait géré la crise capitaliste qui frappait alors le pays. Le programme du KPRF, qui soutient une « ligne » de transition progressive du capitalisme au socialisme en de nombreuses étapes, prône des solutions gouvernementales de « centre-gauche ». Le KPRF, malgré son importante force parlementaire, n’apporte aucune contribution substantielle à la reconstruction du mouvement syndical ouvrier de Russie, comptant des forces déterminantes désormais passées sous contrôle de l’état et des employeurs.

La position que prônait le KPRF avant le début de l’invasion russe était une ligne de coexistence avec le parti gouvernemental Russie Unie et le président V. Poutine. C’est sur proposition du KPRF que fut approuvée à la Douma la reconnaissance de l’« indépendance » des dites « Républiques Populaires » du Dombass (Donetsk et Lougansk), reconnaissance qui fut d'ailleurs l'« effet déclencheur » de l’intervention  russe en Ukraine. Le KPRF « régurgite » les arguments officiels du gouvernement russe sur la nécessité pour l’Etat russe d’écraser le fascisme en Ukraine, en y menant une « opération militaire spéciale », terminologie imposée en Russie, pour éviter d’employer le mot guerre. En fait, le KPRF considère que cette politique extérieure « antifasciste » doit aussi s’accompagner d’un « virage à gauche » en Russie, réclamant pour la énième fois un remaniement ministériel et leur participation au gouvernement.

1. La « guerre des civilisations » : le « milliard doré » face au « monde russe »

Mais le pire de tous les services rendus par le KPRF est son silence total sur les causes réelles des guerres impérialistes qui, comme celle en Ukraine, sont menées au profit des intérêts des monopoles et des bourgeoisies, et non au profit des peuples. Ce sont des guerres pour les matières premières, les richesses minérales, pour les voies de transport de marchandises, pour des points d’appuis géopolitiques, pour les parts de marché. Il n’est pas possible que le KPRF ignore l’importance pour le capital - tant russe qu’occidental - qu’ont les riches potentialités de l’Ukraine : ses richesses minérales (le titane par exemple, indispensable pour l’industrie aéronautique), les ports de Marioupol et d’Odessa, ses fertiles terres arables, les acquis des années du socialisme, mais également son importante base industrielle, l’énorme réseau de gazoducs qui quadrille le pays. Il n’est pas non plus possible que le KPRF puisse ignorer la farouche compétition que se livrent les Etats bourgeois dans de nombreuses régions du globe, pour les ressources, pour les voies de transport et les pipelines énergétiques, pour les parts des monopoles dans le marché de l’Énergie en Europe, pour les parts de marché des armes, etc. Une compétition impérialiste, dans laquelle interfèrent les monopoles et les Etats des USA, de l’UE, de la Russie, de la Chine, mais aussi d’autres « acteurs » périphériques comme la Turquie, Israël, les monarchies du Golfe, etc.

Par ses positions, le KPRF se place du côté des monopoles russes et chinois dans leur compétition avec les monopoles occidentaux qui ont tous transformé le peuple ukrainien en « punching ball ». Ce parti, depuis déjà de nombreuses années, « flirte » avec une approche nationaliste et avec des mouvements se présentant comme « patriotiques ».

Dans son livre Mondialisation et le sort de l’humanité (2002), le président du KPRF a repris la thèse de l’américain Samuel Philip Huntington sur le « choc des civilisations » ; une thèse selon laquelle le conflit ne s’applique plus entre Etats mais entre des forces de traditions culturelles différentes. Il voit ainsi dans les manœuvres d’encerclement de la Russie par l’OTAN, l’UE et les USA une « guerre totale » contre la Russie, lancée par les pays du prétendu « milliard doré », comme sont qualifiés les 30 pays membres de l'OCDE (Organisation pour la Coopération Économique et le Développement), dont fait partie la Grèce, totalisant une population de près d’un milliard d’habitants. Selon cette conception, il y a une « modération » des oppositions sociales et de classe au sein des sociétés du « milliard doré » mais il y a surtout une opposition fondamentale s’exprimant au niveau international « sur la base d’un axe Nord riche – Sud pauvre, non moins radicale que celle qui séparait auparavant le prolétariat de ses exploiteurs au sein d’un même pays»1 . Dans un document programmatique du KPRF, le caractère impérialiste de la Russie d’aujourd’hui n’est pas mis en avant, alors qu’il considère que « la Fédération de Russie s’est transformée en l’objet d’un nouveau partage du monde, en une annexe de matières premières pour les états impérialistes », remarquant aussi que « dans la deuxième moitié du 20ème siècle grâce à l’exploitation prédatrice des stocks de la planète, via la spéculation financière, les guerres et l’emploi de nouveaux modes sophistiqués de colonialisme, un groupe de pays capitalistes développés, le dénommé « milliard doré » est passé au stade de la « société de consommation », dans laquelle la consommation transforme le fonctionnement naturel d’une organisation humaine en une « obligation sacrée » dont la pleine réalisation détermine totalement son statut social…»2.

Selon cette approche fallacieuse dénuée de classes, au « milliard doré » s’oppose le prétendu « monde russe » qui est aujourd’hui un des axes fondamentaux de la politique extérieure de l’état bourgeois russe. Sous ce concept se cache la manipulation par la Russie de millions de russes et russophones, au gré des options du capitalisme russe. « Nous sommes tous obligés de défendre le « monde russe » (...)  Le monde russe est rassemblé ici depuis des milliers d’années. Et l’on accueille non seulement les russes mais aussi les ukrainiens et les biélorusses. Nous avons une foi commune, des victoires communes, une même langue, une même culture », a dit le président du KPRF dans son discours au Parlement russe au cours des débats sur la reconnaissance de l’indépendance des dites « Républiques populaires»3. Sur cette base-là, le KPRF fournit un soutien total à la politique extérieure de la classe dirigeante russe et à la constitution d’unions capitalistes transnationales telles que l’Union Économique Européenne et l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) sur le sol de l’ex-URSS. Il est significatif qu’en janvier dernier le KPRF ait soutenu la mission militaire des forces de l’OTSC au Kazakhstan envoyée réprimer le soulèvement populaire et ouvrier.

En conclusion, tout en déclarant que son objectif est le socialisme, le KPRF envisage d’y parvenir par la voie électorale et parlementaire, préconisant un programme réformiste de gestion du système capitaliste qui s’accorde pleinement avec les objectifs de la bourgeoisie russe et avec les projets de l’Etat russe. Cela se reflète aussi dans les questions de politique extérieure.

2. Silence sur la responsabilité du gouvernement russe

Le KPRF, en ne pointant que les grandes et indéniables responsabilités des autres forces impérialistes (USA, OTAN, UE), celles du « fascisme libéral » comme il les nomme, n’évoque nullement les responsabilités de la bourgeoisie russe. Pourtant, après la dissolution de l’URSS, des millions de Russes et de russophones se sont retrouvés hors des frontières de la Fédération de Russie, comme par exemple dans les régions de Crimée et du Donbass. Alors qu’elles démantelaient l’URSS, les forces contre-révolutionnaires russes se sont-elles préoccupées des droits de ces gens, à quel pays allaient désormais appartenir les régions dans lesquelles ils vivaient ? Non, bien sûr que non ! Ces populations étaient considérées par la toute nouvelle bourgeoisie russe comme des « pions » pour ses projets géopolitiques sur les territoires de l’ex-URSS.

En même temps, et ce depuis 30 ans, la bourgeoisie ukrainienne « abreuve » méthodiquement le peuple ukrainien du « poison » de l'anticommunisme, de la propagande à la Goebbels sur le « génocide » du peuple ukrainien par les bolcheviks, les communistes ou les Russes. En 1998, le président de l'époque, L. Koutchma, a signé le premier décret présidentiel effectif officialisant cette propagande, la répandant dans tout le système éducatif. Dès 2006, sous le président V. Iouchtchenko, débuta l’entreprise de « reconnaissance internationale » du prétendu « génocide », tandis qu’à l’intérieur toute opinion le refutant était passible de poursuites peinales. En 2010, le président pro-russe V. Ianoukovitch – c’est ainsi qu’on le qualifie –, tout en conservant ces dispositions, déclara qu'il ne s'agissait pas d'un génocide du peuple ukrainien mais d'un « crime du régime totalitaire stalinien ». C’est sur ce mythe qu’a grandi toute une génération d'Ukrainiens. Et sur ce plan-là les organisations fascistes l'ont « doublé » pour se reconstruire idéologiquement et politiquement.

Qu’ont fait, durant toute ces années, les autorités russes actuelles pour empêcher cette évolution inacceptable ? Du business, comme l'a fièrement déclaré V. Poutine : « en 2011 la balance du commerce bilatéral dépassait les 50 milliards de dollars »4 . À l’heure où se développait en Ukraine une propagande digne de Goebbels, la Russie lui apportait un « soutien matériel » : rien que pour la période 1991- 2013 (où les idées fascistes se sont enracinées) le budget ukrainien était excédentaire de 250 milliards, grâce à un prêt préférentiel de la Russie et aux tarifs spéciaux de l’énergie russe. Quant aux dettes de l’Ukraine contractées du temps de l’URSS, elles furent entièrement garanties par la Russie. 

La renaissance de la propagande fasciste et nazie en Ukraine est-elle donc de la seule responsabilité des ukrainiens ? La  bourgeoisie russe n’en est-elle pas aussi  responsable ? Le KPRF ignorait-il tout de cela ? 

3. A propos de la lutte contre le fascisme

Depuis des années, l’Etat russe dépose chaque année à l’ONU un projet de résolution condamnant la « glorification » du nazisme et invitant à des mesures de restriction du phénomène nazi, particulièrement dans les Etats baltes et en Ukraine. Les USA ont systématiquement voté contre tandis que les pays de l’UE se sont abstenus. Parallèlement, une fois par an le 9 mai, jour de la Victoire Antifasciste des Peuples, le drapeau rouge flotte en Russie. La bourgeoise dirigeante de Russie s’efforce ainsi de détourner la victoire et les sentiments antifascistes du peuple russe.

Au même moment, dans les écoles de Russie, on « abreuve » les enfants du le poison de l’anticommunisme, en citant par exemple l’antisoviétique bien connu Soljenitsyne qui justifiait la collaboration des russes avec les nazis, admirait Franco et soutenait Pinochet. Les médias tant publics que privés débordent d’anticommunisme, et la victoire contre l’Allemagne fasciste y est présentée comme un exploit qui fut réalisé sans et parfois malgré l’action du parti des bolchéviks. V. Poutine lui-même a publiquement déclaré qu’il étudiait l’œuvre d’Ivan Iline, un idéologue russe du fascisme et la recommandait à la jeunesse. Il s’est d’ailleurs rendu sur sa tombe pour y déposer des fleurs.

Cela démontre une fois encore que lorsque la lutte contre le fascisme se détourne de la « matrice » qui l’a engendré, du combat contre le capitalisme, il s’agit alors d’une posture totalement hypocrite dans le but de promouvoir d’autres objectifs, comme c’est le cas aujourd’hui en Ukraine, où l’intervention militaire russe a soi-disant pour objectif la « dénazification » de l’Ukraine. Qui va la faire cette dénazification ? L’admirateur du fasciste I. Iline, avec le drapeau et les emblèmes de l’empire tsariste, cette « prison des peuples » comme l’appelait Lénine ? Il n’est pas possible pour le KPRF de ne pas être conscient de l’hypocrisie de cette posture.

4. Silence sur l’anticommunisme du gouvernement

Le KPRF constate l’anticommunisme des « autorités fascistes » ukrainiennes, comme il les qualifie, mais ne remarque absolument pas celui qui émane de la plus officielle des voix de Russie, celle du président V. Poutine, lors de son discours justifiant la guerre imminente. Rappelons-nous comment celui-ci a utilisé ces mêmes qualificatifs nauséabonds, qu’utilisent l’UE et les USA à propos de l’Union Soviétique : « dictature stalinienne », « régime totalitaire », « terrorisme rouge », etc. 

Il est très significatif que le KPRF n’ait pas réagi à cette inacceptable attaque anticommuniste lancée par le président russe V. Poutine. Il n’a pas même répondu à ses accusations tout autant inacceptables, rendant Lénine et les bolchéviques responsables de la désintégration de l’URSS et non les forces économiques et politiques de la contre-révolution, auxquelles Poutine a lui-même participé aux côtés du maire de Léningrad (A. Sobtchak, bras droit de B. Eltsine qui, avec M. Gorbatchev, a mené l’offensive anticommuniste et antisoviétique contre les forces qui luttaient pour sauver le socialisme et l’URSS).

5. La falsification des thèses du KKE à propos de la guerre

Dans les circonstances actuelles le KPRF s’est efforcé de tromper le peuple russe sur la position du KKE quant aux événements en Ukraine. Il lui a caché que, dès les premiers instants, le KKE avait condamné l’invasion en Ukraine, qu’il avait organisé une manifestation à Athènes depuis l’ambassade russe jusqu’à l’ambassade américaine, qu’il s’est prononcé contre les deux camps de ce conflit impérialiste, appelant les deux peuples à ne pas choisir entre des « brigands », qu’il mobilise contre l’extension de l’« incendie » de la guerre impérialiste et l’implication permanente et toujours plus profonde de la Grèce, notamment par le transit d’armes meurtrières vers le lieu du conflit.

Au contraire, Le KPRF a cherché à tirer profit de la mobilisation de masse du KKE, pour continuer à manipuler le peuple russe. Ainsi, sur les réseaux sociaux G. Ziouganov a republié une photo de la mobilisation du KKE en la présentant comme un soutien au prétendu « monde russe ». En outre, dans un message de solidarité qu’il a envoyé à la suite de l’arrestation de responsables du KKE et de la répression de la manifestation de Thessalonique, le KPRF s’est efforcé d’y intégrer sa thèse sur la « guerre totale de l’OTAN contre la Russie ». Thèse qui cherche à justifier l’invasion russe en Ukraine. Ce message a trouvé l’« hospitalité » d’un journal bourgeois de notre pays, qui s’en est servi pour accuser le KKE de double langage et d'un soi-disant soutien à la Russie capitaliste.

Or, si dans notre pays des mobilisations populaires se déroulent devant les bases, camps, ports et gares ferroviaires d’où partent les forces américano-otaniennes, c’est bien parce que que notre pays est déjà engagé dans l'un des camps de ce conflit : celui de l’OTAN et des américains. Nous réclamons ainsi que la Grèce se désengage de la guerre, des projets criminels de l’euro-atlantisme qui menacent notre peuple. Personne ne peut « traduire » cela comme un soutien à la Russie capitaliste, sauf le KPRF et quelques autres partis communistes qui fournissent un alibi politique et idéologique aux projets de la bourgeoisie russe.

Le KKE et 40 autres partis communistes et 30 organisations de jeunesse communiste du monde entier ont déclaré que :

- Ils condamnent la guerre impérialiste en soulignant que « les événements en Ukraine, qui se déroulent sur le sol du capitalisme monopoliste, sont liés aux visées des USA, de l’OTAN, de l’UE, et à leur ingérence dans la région dans le cadre de la féroce compétition de ces forces avec la Russie capitaliste.

- Ils manifestent leur solidarité « aux communistes et aux peuples de Russie et d’Ukraine », appelant à renforcer le front contre le nationalisme que cultivent toutes les bourgeoisies. Les peuples de ces deux pays qui ont vécu ensemble en paix dans le cadre de l’URSS, mais aussi tous les autres peuples n’ont aucuns intérêts à se ranger dans le camp de l’un ou l’autre des impérialismes, dans l’une ou l’autre des alliances qui ne servent que les intérêts des monopoles.

- Ils soulignent : «  Les intérêts de la classe ouvrière et des couches populaires nécessitent de renforcer les critères de classe dans l’analyse des événements, de suivre notre propre route indépendante contre les monopoles et les bourgeoisies, pour renverser le capitalisme, pour intensifier le combat de classe contre la guerre impérialiste et pour le socialisme qui reste toujours d’actualité et nécessaire. »

Références

1. G. Ziouganov : «Mondialisation : impasse ou sortie ?» (2001)

2. Programme du KPRF ΚΚΡΟ. https://kprf.ru/party/program

3. G. Ziouganov : La reconnaissance des  Républiques Populaires du Dombas est une question de principes.  https://kprf.ru/party-live/cknews/208757.html

4. V. Poutine. Message du président de la Fédération de Russie du 21/02/22  http://kremlin.ru/events/president/news/67828

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