sanidad.jpgLutte contre la privatisation de la santé en Espagne

 

Troisième semaine de grève pour les personnels hospitaliers madrilènes



Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/



« Une marée blanche » : plusieurs dizaines de milliers de blouses blanches ont inondé les rues de Madrid dimanche pour protester contre le plan du gouvernement régional de privatisation de la santé, dans la troisième semaine d'un mouvement de grève historique.



« La santé ne se vend pas, elle se défend » : ce mot d'ordre a rassemblé plus de 25 000 travailleurs de la santé ce dimanche dans la capitale espagnole. Il continue de mobiliser au moment où la grève des médecins hospitaliers entre dans sa troisième semaine.



Le mouvement de grève convoqué par le Syndicat des médecins spécialistes madrilènes(AFEM) mobilisait encore 77% des médecins ce lundi 10 décembre.



Première dans l'histoire du secteur de la santé, ce mouvement de grève généralea pu rassembler médecins, infirmiers et l'ensemble des personnels de la santé et non-sanitaires.Ce fut le cas les 26 et 27 novembre, puis les 5 et 6 décembre, avec un taux d'adhésion de 90% dans les deux cas.



Une grève qui bénéficie d'un soutien inédit du côté du corps médical.

Le Corps des médecins, les sociétés scientifiques mais aussi 600 chefs de service ont exprimé leur opposition à un processus de privatisation dans lequel ils perçoivent des menaces de dégradation des soins et de remise en cause de son caractère universel.



En cause le« Plan de garantie de la durabilité du système sanitaire public »adopté par la communauté autonome de Madrid, gouverné par le Parti populaire (droite).



Un plan de privatisation larvé qui prévoit entre autres mesures : l'externalisation de la gestion non-sanitaire de tous les hôpitaux publics, l'externalisation de la gestion des soins de 6 hôpitaux et 27 centres de santé publics, la privatisation de tous les personnels non-sanitaires et enfin l'institution du forfait de 1 € par visite médicale.



Une privatisation déguisée de la santé financée par la région



Outre les mesures de coupes dans la santé publique, c'est bien le plan d'externalisation des soins assurés par les hôpitaux publics qui suscite l'opposition la plus résolue : dégradation de la qualité des soins, médecine à deux vitesses et surtout aide déguisée à la santé privée, dans un système entièrement régionalisé.



Le scandale est aussi celui de la formule adoptée, celle d'une « privatisation déguisée », selon le terme repris par les syndicats.



Les hôpitaux resteront formellement propriété publique mais leur gestion sera déléguée à des groupes sanitaires privés, moyennant un contrat négocié avec la région en fonction du coût annuel estimé. A charge de l'opérateur privé de diminuer les coûts pour réaliser sa marge.



A l'origine, une étude réalisée par une société de conseil selon laquelle les hôpitaux publics seraient moins efficaces et plus coûteux que les cliniques privées (440 € par an par patient potentiel contre 600 € dans le public).



Une étude fortement contestée par les syndicats de médecins. D'une part car elle sous-estime le poids des dépenses complémentaires liées au service public de la santé(prise en charge des opérations moins rentables, missions de formation et de recherche), d'autre part par la véracité même de chiffres, publiés sans preuve à l'appui.



Le collectifMi salud no es un negocio, regroupant les médecins et professionnels opposés à la privatisation,a livré sa contre-expertise et révélé que la Communauté autonome de Madrid réservait un budget de 277 000 € par an et par lit pour les hôpitaux publics, contre 440 000 € par an et par lit pour les hôpitaux privés et semi-privés.



Les professionnels soulignent par ailleurs que les six hôpitaux publics menacés de privatisation ont des coûts inférieurs à 450 € par an et par patient personnel, quatre d'entre eux inférieurs à 400 € par an et par patient.



Socialisation des pertes et privatisation des profits



Pourquoi une telle sur-estimation des coûts de l'hôpital public et sous-estimation de ceux du privé ?



Non seulement pour légitimer l'externalisation mais aussi pour négocier des contrats sur-évalués permettant aux opérateurs privés de dégager de substantiels profitstout en continuant de grever les budgets publics.



Un exemple parlant, celui de l'hôpital de l'Infante Leonor à Madrid. Un hôpital public dont les dépenses annuelles s'élèvent à 100 millions d'euros pour un bassin de 300 000 patients, soit un coût de 350 € par patient.



Dans le contrat fixé avec un opérateur privé, si le seuil arbitraire est ramené à 440 € par an et par patient potentiel, le contrat signé par la région s'élève déjà à 150 millions d'euros.



Sans toucher aux coûts actuels, l'entreprise privée est assurée de réaliser une marge de 50 millions d'euros, sans risques, en attendant de comprimer encore les dépenses – au détriment de la qualité des soins – pour accroître ses profits.



Le scandale du financement public des profits sanitaires privés est au cœur de la lutte actuelle. « Ils démantèlent l'ensemble du secteur public pour engraisser le secteur public », souligne Pilar Jimeno, déléguée CCOO à l'hôpital La Princesa.



Dans le budget 2011 de la région, le financement des hôpitaux publics a diminué de 9% tandis que celui des soins privés a augmenté de 30%.



Les groupes de santé privés : grands gagnants de ce hold-up



Qui seront les bénéficiaires de l'opération ?



Les grands groupes privés du secteur : le suédois CAPIO et les espagnols Ribera Salud et USP-Quiron. Le marché que vient d'ouvrir la région est estimé à 500 millions d'euros.



Selon la FADSP (Fédération des associations pour la défense de la santé publique), ces groupes privés devraient réaliser 150 millions de bénéfices netssur l'externalisation de ces hôpitaux, en ayant l'assurance de voir les coûts (800 millions d'euros) couverts par le contribuable.



Un exemple, CAPIO a réalisé un chiffre d'affaires l'an dernier de 650 millions d'euros, en Espagne seule à travers la gestion de 25 hôpitaux.



Il assume avec orgueil et cynisme le fait de participer à des « hôpitaux publics mais de gestion privée ». CAPIO est financé à 65% par les pouvoirs publics.



Socialisation des coûts et privatisation des profits, tout en alimentant une dette artificiellement gonflée par les subventions et les contrats sous-évalués accordés au privé.



La lutte continue en Espagne, comme en Grèce, au Portugal contre la casse de la santé publique. Une lutte qui sonne aussi comme un avertissement pour nous en France



Un démantèlement alliant régionalisation préalable, organisation d'une santé à deux vitesses, financement de la santé privée et réductions budgétaires pour le public au nom d'une dette montée de toute pièce : ce schéma incite à la vigilance en France également.

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